Valentin de Boulogne dit Le Valentin (1591-1632)
Le concert au bas-relief
1622-1625
Huile sur toile
Dim 214 x 173 cm
Conservé au musée du Louvre
Fils d’un peintre et verrier, Valentin est né à Coulommiers, à l’est de Paris. Il fait l’essentiel de sa carrière à Rome où il arrive vers 1614.
Il devient l’un des artistes de prédilection de la famille Barberini dans les années 1627-1630.
On pense au Christ chassant les marchands du Temple -Palais Barberini et à L’allégorie de l’Italie
Il meurt à Rome à l’âge de 41 ans.
Valentin est répertorié comme un grand caravagesque français. Il se situe au juste équilibre entre le naturel italien et l’esprit français.
En Italie il mène une vie de bohème, vivant dans les quartiers les plus populaires de Rome. Il peint un monde nocturne et violent fait de bohémiens et de voleurs qu’il enferme dans l’espaces clos des tavernes où suintent les désirs, la débauche et la solitude.
Valentin aime la musique et peindra plusieurs toiles sur le thème des concerts, comme Le Grand Concert –1628
Composition
Valentin fait preuve d’une grande maîtrise dans cette composition.
Il met en scène un groupe de personnages distribués autour d’un bloc de pierre qui fait office de table et dont l’angle émergeant, éclairé par un reflet de lumière, souligne l’axe du tableau.
Le cadrage est serré.
Sur un fond neutre, les personnages occupent tout l’espace. Leurs visages -léchés par la lumière- semblent surgir de la pénombre.
Chaque arête du bloc de pierre, surlignée par un faisceau de lumière, est une ligne de force qui conduit le regard du spectateur vers un musicien.
À droite du tableau, le joueur de luth ; à gauche du tableau le joueur de violon ; la joueuse de guitare sur le côté opposé, a le buste et le visage inondés de lumière ; dans la diagonale un homme se tient debout feuilletant les pages d’une partition de musique, devant lui, un enfant assis est accoudé sur la pierre, le coude et la main gauche posés sur la partition en empêchant la lecture – comme font les chats qui sautent sur la lettre que leur maître est entrain d’écrire pour manifester leur présence et susciter leur intérêt. Son visage est dans la lumière éclairé par un projecteur imaginaire : regardez-moi. L’enfant a le regard absent, est-il en train de rêver ou lutte-t-il contre le sommeil ?
Au premier plan, cachant en partie la scène sculptée du bas-relief, un joyeux sire remplit un verre d’alcool, il fait écho au larron qui, au fond du tableau tourne le dos et boit au goulot de la bombonne. Le rouge et le vert de son habit scintillent dans la lumière.
Valentin s’inspire des couleurs vénitiennes.
Le bleu, le vert, le rouge foncé, le beige, le peintre manie sa palette chromatique dans une lumière de clair-obscur qui glisse sur les couleurs mettant en relief les étoffes, les plumes et le bois des instruments.
Valentin est un peintre naturaliste.
Chaque visage recèle une intériorité profonde, souligné par les parts d’ombre et de lumière.
La composition a une dimension psychologique empreinte de mélancolie.
Réflexions
Comme Ribera, Caravage et Manfredi, Valentin peint des sujets du quotidien.
Cependant il se démarque en prenant des modèles appartenant au peuple romain. Dans ce tableau il peint une scène de taverne.
Valentin arrive à Rome après la mort de Caravage mais il s’imprègne totalement de la révolution initiée par le peintre italien.
Le concert au bas-relief est une scène de genre – un portrait collectif dans une taverne- identifiée par la présence d’un bas-relief.
Les buveurs et les musiciens s’enivrent de vin et de mélodie et nous transmettent leur angoisse leur tristesse et leur mélancolie.
Leurs éloquentes gravités intérieures interpellent le spectateur.
Valentin peint une allégorie poétique et critique de la condition humaine.
La scène sculptée sur le bloc de pierre, est reconnaissable, c’est la plaque de Campana : scène nuptiale, noces de Thétis et de Pelée.
Un hommage à l’héritage de l’antiquité romaine, symbole de beauté idéale figée pour l’éternité.
Cette terre cuite est conservée au Louvre.
Dans ce tableau Valentin met en concurrence une scène de débauche et un mythe archéologique.
Le peintre mêle deux mondes opposés : « Le concert aux deux visages »
En distribuant ces personnages autour d’un bas-relief représentant une scène mythologique, Il donne à sa scène de troubadour une dimension historique.
Le spectateur est sensible à la poésie humaine qui émane du réalisme des figures. Les traits des visages, reflets et miroirs de l’âme, ont une profondeur mélancolique. Leurs regards perdus, dénoncent leur solitude.
L’enfant a le regard noyé dans ses pensées ou luttant contre le sommeil …représenté comme un point d’orgue au centre du tableau, un fragment de solitude juxtaposé à la solitude des musiciens.
La musique et le vin habituellement génèrent de la joie et des rires.
Est-ce une illustration des noces sculptées sur le bas-relief :
La belle Thétis aux pieds d’argent, refusa de s’unir au mortel Pelée, vieux roi de Phtie en Thessalie. Thétis fut mariée contre son gré à Pelée.
Symbole d’une beauté idéale, figée pour l’éternité, les personnages de Valentin expriment le trouble de Thétis, le tableau est une allégorie.
Est-ce parce que c’est le bout de la nuit et que la fatigue exprimée par l’enfant a gagné tous les musiciens ; le tableau est une illustration réaliste.
Est-ce le ressenti du peintre créant et mélangeant ce qu’il voit et ce qu’il vit, Valentin peint d’après nature en célébrant la couleur.
La lame à double tranchant du réalisme, génère une ambivalence entre la tension naturaliste et une forme allégorique.
Le spectateur prit par un sentiment de drame en suspend assiste à la scène.
Comme un papillon par la lumière, il est attiré par l’attention que Valentin porte au visage de la joueuse de guitare, un beau visage inquiet et émouvant.
Conclusion
Dans les années qui suivirent la mort de Caravage en 1610, Ribera et Valentin de Boulogne sont les deux plus importants protagonistes de la peinture naturaliste à Rome.
Considéré comme le plus brillant des peintres à la suite de Caravage et comme l’un des plus grands artistes français à l’égal de Poussin, Valentin de Boulogne passa l’essentiel de sa carrière à Rome où il reçut de prestigieuses commandes, notamment du pape Urbain VIII (qui lui commanda un retable pour la basilique saint Pierre).
Les puissants collectionnent son œuvre, parmi eux figurent Mazarin et Louis XIV (qui achète la série des quatre évangélistes en 1670).
Valentin fut un des artistes les plus célèbre tout au long du XVIIe, XVIIIe et XIXe
Au XIXe il servit de modèle à des maîtres aussi différents que David, Courbet ou Manet.
Aussi libre que Caravage, Valentin lui emprunte un réalisme dramatique, une tension suscitée par le clair-obscur et ses thèmes venus du quotidien, tavernes, concerts…Mais il les transfigure par une touche inédite à la fois d’introspection et de mélancolie ainsi qu’une sensibilité à la couleur d’inspiration néo-vénitienne.
Le concert au bas-relief, tableau entre réalisme et allégorie, clair-obscur et introspection est atypique et captivant.
Au début du XVIIe, il condense à Rome, raffinement et culture.