Le chardonneret – 1654 Carel Fabritius

Carel Fabritius (1622-1654)

Le chardonneret

1654

Huile sur bois

Dim 33,5 x 22,8

Conservé à la Haye au musée Mauritshuis

Le peintre

Né dans le village néerlandais de Middenbeemster, Fabritius découvre la peinture auprès de son père, avant de devenir l’élève de Rembrandt. Il est l’un de ses élèves les plus talentueux. Carel Fabritius quitte l’atelier de Rembrandt vers 1648 pour s’installer à Delft. Il rejoint la guilde de Saint Luc en 1652, en tant que peintre d’Histoire. Il suit le précepte de son maître « suivre la nature » et tente de créer une illusion aussi vivante que possible.
C’est à sa maîtrise hors pair de la perspective qu’il doit sa réputation.

En 1654, la déflagration d’un entrepôt, où se trouvaient des explosifs, ravage la moitié de Delft. Ce drame a des conséquences dévastatrices. Une centaine de personnes meurt et la majorité des œuvres de Fabritius sont détruites.
Fabritius est encore en vie lorsqu’il est évacué des décombres, mais il meurt une heure plus tard à l’hôpital.

 

Le tableau

Le tableau a été peint quelques mois avant le décès du Fabritius.
Il est l’un des rares tableaux à avoir échappé à l’incendie.
Il a rendu Fabritius immortel.

Un petit oiseau capturé dans un cadre d’un extraordinaire réalisme.

L’œuvre était probablement destinée à une famille provenant de la Haye dont le nom : « De Putter » signifie chardonneret en néerlandais.

Le tableau a été perdu pendant plus de deux siècles.
En 1859 Le chardonneret est retrouvé à Bruxelles par Théophile Thoré-Burger, chez un riche collectionneur.
Trente ans plus tard, le Mauritshuis de la Haye rachète le tableau aux enchères.

Il a été restauré au début des années 2000 par Jørgen Wadum conservateur au Mauritshuis entre 1991 et 2005.

 


Composition

Fabritius représente un chardonneret juché sur le perchoir de sa mangeoire.

Fabritius représente l’oiseau dans sa forme, sa matérialité et sa couleur.

L’oiseau a le corps de profil et la tête de face.
Cette représentation donne plus de présence et de vie à l’oiseau.

L’oiseau est peint en taille réelle.
Les ailes noires rayées d’une bande jaune sont celles d’un chardonneret.

Une fine chainette passée à la patte de l’oiseau le retient captif.

Les barres du perchoir en demi-cercle et l’ombre de l’oiseau projetée sur le mur, donnent de la profondeur.

Les connaissances en géométrie de Fabritius lui permettent de créer un espace logique, construit selon les lois de la perspective. Au lieu de construire l’espace pictural comme s’il était observé d’un endroit fixe situé à l’extérieur du tableau, Fabritius place le regardeur à l’intérieur, lui donnant l’illusion de regarder de façon plus réelle, plus nuancée qu’avec une perspective traditionnelle.

Fabritius utilise de lâches coups de pinceau de peinture épaisse pour représenter le plumage, créant une illusion parfaite lorsque la toile serait fixée sur un mur couleur crème.

La lumière est douce et éclatante à la fois, son jeu subtil est d’une simplicité poétique.

Paul Valery : « Même l’objet le plus familier à nos yeux devient tout autre si on s’applique à le dessiner, on s’aperçoit qu’on ne l’avait jamais vu. »

 

 

Analyse

Les artistes actifs à Delft, en hollande, entre 1640 et 1650, partagèrent un intérêt soutenu pour les effets de lumière et de couleur naturalistes. Ils considérèrent la peinture comme une science destinée à tromper l’œil et à donner l’illusion parfaite de la réalité. Pour cela, ils firent appel à différents instruments optiques, ainsi qu’à de nouvelles conventions de la perspective.
Les artistes ont le souci de la véracité à la fois thématique et esthétique.
Les artistes d’Europe du Nord ont souvent substitué des illusions optiques à la
« réalité ».
La boîte optique était en vogue.

Fabritius l’utilise dans sa Vue de Delft.
Il représente un coin de rue avec la nouvelle église au centre.

Comme Vermeer, Fabritius s’intéresse aux instruments d’optique. Vue de Delft est une vue panoramique conçue à l‘aide d’un système de lentilles, les fortes distorsions en attestent.

La représentation d’un oiseau supposant l’existence d’un regardeur et le rendu des effets de lumière sur le bois impliquent une compréhension des problèmes scientifiques tels que l’évaluation et la représentation bidimensionnelle de l’espace ou les effets de la lumière et de l’ombre sur la perception.

 I-   Fabritius substitue les illusions d’optique à la réalité.

Il modifie les rapports dans l’espace.

Fabritius manie le trompe-l’œil avec virtuosité. Il inscrit l’oiseau dans une représentation en deux dimensions tout en donnant l’illusion de la troisième dimension.

Il est attentif aux détails.

Fabritius a une parfaite connaissance des lois de la perspective et prête attention à ses effets.

Dans ce tableau Fabritius gomme la frontière entre l’espace réel et l’espace représenté.

Le désir d’induire le regardeur en erreur renforce la popularité du trompe-l’œil.
Le chardonneret de Fabritius en témoigne : l’illusion est telle que les bords du cadre s’effacent et le regardeur croit qu’il observe un oiseau vivant.

Ce tableau est représentatif du réalisme et de la minutie de Fabritius.
Cette modernité est liée à l’usage de la peinture à l’huile.

Le chardonneret dans sa simplicité est un tableau remarquable.
L’oiseau perché sur sa mangeoire apparait d’un réalisme saisissant.

Pourtant l’oiseau est peint contre un mur blanchi à la chaux, comme dans les études d’insectes de De Gheyn, où les animaux projettent des ombres sur un parchemin couleur crème.

Le rendu subtil du plumage s’inscrit dans une tradition de la peinture hollandaise vieille d’au moins deux siècles.

Fabritius associe des procédés réalistes et des procédés délibérément artificiels.

Par un traitement méticuleux des effets de lumière, de la mangeoire en raccourci et de l’ombre portée sur le fond du tableau, le peintre réussit à donner l’illusion de la tridimensionnalité.

Fabritius peint en s’inspirant de la manière dont la lumière définit les couleurs et les formes.
Il souligne la lumière par des très fins traits de pigment blanc que l’on repère sur la barre semi-circulaire du la mangeoire, sur les pattes de l’oiseau et sur l’anneau de la chaîne en métal.

 

II-   Fabritius provoque un dialogue entre l’oiseau et le regardeur.

En choisissant de représenter un chardonneret, oiseau de compagnie courant à cette époque, apprécié pour son chant mélodieux et son intelligence -l’oiseau est capable de puiser lui-même son eau et sa nourriture.

Fabritius multipliait ses chances de tromper le regardeur.
Son oiseau est dans l’espace réel du regardeur.

Fabritius présente le chardonneret sur un mur nu, légèrement surélevé, les perchoirs peints en raccourci avec une lumière étonnamment naturelle de sorte que placé sur un mur similaire et sans cadre, l’illusion est parfaite.

L’épaisseur inhabituelle du panneau indique que l’œuvre n’était pas destinée à être encadrée, mais accrochée en hauteur sur un mur -ce qui explique la perspective du barreau inférieur de la mangeoire.
Fabritius utilise un système de deux axes orthogonaux, avec des points de fuite positionnés à l‘extérieur de l’image.

Le regardeur s’interroge sur le rapport entre ce qu’il voit et ce que le tableau exprime.

C’est dans les écrits de Samuel Van Hoogstraten que se manifeste le plus clairement la conscience des difficultés et des avantages de l’illusionnisme.
Van Hoogstraten définit un tableau « parfait » comme « un miroir de la nature, qui semble donner vie à des choses inexistantes et qui trompe d’une façon licite, divertissante et louable ».

 

III-   Outre le sens « quotidien » l’oiseau possède un sens religieux.
Le chardonneret a une histoire culturelle.

Le chardonneret se nourrie de chardon dont les épines symbolisent le martyr du Christ. À ce titre le chardonneret est souvent représenté dans les œuvres ayant pour thème la Vierge à l’Enfant.
Le tableau le plus fameux étant celui de Raphaël : La Vierge au chardonneret –1507 conservé aux Offices à Florence.

Si le sens quotidien est considéré comme clair, le sens spirituel permet de nombreuses ambiguïtés.
Le chardonneret est devenu une allégorie de la passion du Christ.

Erwin Panofsky parle d’un « symbolisme dissimulé », d’une structure religieuse caché sous l’enveloppe des apparences.

 

Conclusion

Bien que le réalisme semble être le plus hollandais de styles picturaux, il attirait aussi des amateurs étrangers, à Londres et à la cour du Danemark notamment.

Fabritius est un peintre touche à tout, et enclin aux expérimentations picturales les plus diverses ; bien qu’enregistré comme peintre d’Histoire, il peint des natures mortes, des portraits et des autoportraits.

Avec Le chardonneret il pousse l’audace en explorant le genre du trompe-l’œil.

Le peintre Philips Angel souligne sans son Éloge de la peinture le prestige d’une représentation fidèle. Il évoque le célèbre mythe grec de Zeuxis et Parrhasios. Zeuxis peint des raisins si convaincants que les oiseaux viennent les picorer. Désirant dépasser son rival, Parrhasios l’invite à contempler l’un de ses tableaux, recouvert d’un tissu. Incapable d’ôter celui-ci, Zeuxis comprit la perfection de l’illusion.

Fabritius exerça une influence considérable sur l’œuvre de Vermeer.

L’écrivaine américaine, Donna louise Tartt a écrit un livre – en 2014, faisant référence au tableau de Fabritius qui remporta le prix Pulitzer de la fiction.
En 2019, il est adapté au cinéma et réalisé par John Crowley.

Ce coup de projecteur donne un regain de popularité au Chardonneret qui est devenu une attraction touristique et l’un des tableaux stars du musée Mauritshuis.