Quentin Metsys (1465-1530)
Le changeur et sa femme
1514
Huile sur panneau de bois
Dim 71 x 68 cm
Conservé au Louvre
Le tableau
Représente un banquier et son épouse en train de peser leur argent, activité matérielle qui contraste avec la spiritualité suggérée par le missel que feuillette distraitement la femme.
Composition
Les personnages occupent le premier plan du tableau. Ils se partagent l’espace dans d’égales proportions et une parfaite symétrie d’attitudes; L’homme a le buste et le visage légèrement incliné vers sa femme et vice-versa. Leurs mains vont dans le même sens.
Ils sont représentés à mi-corps, accoudés à une table recouverte d’un tapis vert.
L’homme, à gauche dans le tableau, est vêtu d’une robe bleue (couleur de la fidélité) à col et manches de fourrure. Il est coiffé d’un chaperon noir. Devant lui sont étalées des pièces d’or, il est occupé à les peser avec un trébuchet (nom de la petite balance portative à fléau). La valeur des pièces était déterminée par leur poids en métaux.
La femme, à droite dans le tableau, est vêtue d’une robe rouge (couleur de la passion) bordée de fourrure grise. Elle porte sur la tête une coiffe surmontée d’un chapeau. Elle interrompt la lecture de son missel richement enluminé pour observer les gestes de son mari.
Au premier plan, sur la table, à gauche du tableau, sont représentés, un ciboire de cristal d’orfèvrerie, un sachet de velours rempli de perles, un rouleau de papier sur lequel sont enfilées quatre bagues serties de pierres précieuses et, un petit miroir qui reflète une fenêtre montrant la place, à l’extérieur, et un visiteur -coiffé d’un chaperon rouge, qui vient peut-être faire appel aux services du prêteur.
Au second plan, à droite du tableau, par une porte entrebâillée on aperçoit deux silhouettes semblant en grande conversation.
Dans le prolongement de la porte, le fond du tableau est occupé par des étagères sur lesquelles chaque objet est en corrélation avec l’aspect moral de la composition.
La carafe d’eau et le chapelet suspendu à l’étagère évoque l’immaculée conception.
La bougie éteinte signale la mort
Le fruit rappelle le péché originel.
La composition n’a pas de profondeur, la perspective est à peine perceptible. Les personnages sont cadrés très serrés.
Tous les objets, les vêtements sont rendus avec une extrême minutie.
Les visages ont une grande profondeur d’expression -perspicacité et concentration que souligne la profusion des détails.
L’homme est éclairé par une source lumineuse provenant de la fenêtre (visible dans le reflet du miroir) qui est à sa droite – comme l’indiquent les ombres de sa main et sur son visage.
Le visage de la femme n’a pas d’ombre, il est éclairé par une lumière surnaturelle émanant de son livre.
Analyse
Le changeur et sa femme est un exemple de combinaisons variées d’éléments archaïques et d’éléments italianisants.
Quentin Metsys réside à Anvers dans la lumière de la cité la plus riche, la plus moderne et la plus cosmopolite d’Europe de Nord, où italiens, portugais, allemands et africains se mélangent à la population locale.
La présence d’une communauté internationale utilisant diverses monnaies a pour conséquence, l’ouverture de boutiques de changeurs.
C’est dans un de ces lieux que se situe Le changeur et sa femme.
Metsys a grandi dans l’ombre de la grande Descente de croix –1435 de Rogier Van der Weyden. Il a besoin du style des vieux maîtres comme élément stabilisateur et comme préparation à l’assimilation de l’art italien.
En raison de cette attitude plus distanciée et plus libre il peut effectuer une authentique synthèse entre la tradition régionale et la haute Renaissance italienne.
L’intérieur avec ses étagères qui exposent des livres et des ustensiles d’écriture traités en natures mortes et sa table jonchée de pièces de monnaie et d’autres objets brillants, se rapproche du tableau de Van Eyck achevé par Petrus Christus, Saint Jérôme dans son cabinet de travail-1442.
La femme du changeur porte un vêtement presque identique à celui de Marguerite Van Eyck -portrait de Bruges –1439 de Van Eyck
Le miroir convexe posé sur la table et tourné vers la fenêtre figure dans le Saint Éloi –1449 de Petrus Christus.
C’est un archaïsme de surface, perceptif dans les costumes et l’utilisation des coloris (vert- rouge et bleu)
Metsys adapte ces innovations anciennes pour les fondre avec des éléments italiens.
C’est à l’Italie que Metsys empreinte sa technique.
Il minimise l’effet de masse et de volume au profit de la structure et de la ligne.
Ses portraits stylisés semblent dérivés des caricatures de Léonard de Vinci.
Le changeur et sa femme est une scène de genre évoquant la vie quotidienne. Metsys oppose la vanité des biens terrestres à la richesse spirituelle.
Le sacré et le profane sont présents dans cette œuvre.
Le tableau a un contenu allégorique :
La présence de symboles chrétiens : le trébuchet est la balance du jugement dernier
Metsys dénonce dans cette représentation moralisatrice de la vie quotidienne des vices de l’humanité :
La dénonciation de l’avarice (l’attrait de l’or détourne la femme de son occupation spirituelle, la lecture des textes saints) et, l’exaltation de l’honnêteté.
Tout le tableau semble suspendu à un fil, le spectateur perçoit l’atmosphère de la mesure, celui de la pesée.
Conclusion
Metsys réalise avec ce double portrait de marchands au travail, une scène de genre saisissante.
Aux cours des deux siècles suivants, ce style présentant des tranches de vie tout en portant un message moral puissant allait devenir une spécialité flamande.
Metsys peint Le changeur et sa femme en 1514, trois ans avant que Luther édite ses 95 thèses qui marqueront le début de la Réforme protestante, et trente et un an avant que Jean Calvin publie la Lettre sur l’usure –1545, dans laquelle il est le premier à légaliser la pratique du prêt à taux d’intérêt.
Metsys peint les prémisses d’un conflit moral et religieux qui va enflammer l’Europe pour de longues années.