Gustave Courbet (1819-1877)
L’Atelier du peintre
Titre complet :
L’atelier du peintre, Allégorie Réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique
1854-55
Huile sur toile
Dim 361 x 598 cm
Conservé à Paris au musée d’Orsay
Le peintre
Jean-Daniel Baltassat : » Ses « chers parents » le destinent à Polytechnique. Lui n’a en tête que le conseil de l’aïeul révolutionnaire : « Crie fort et marche droit. » Le jeune Franc-Comtois, affamé de reconnaissance, marchera droit vers Paris, vers les salons de peinture et les scandales que ses toiles monumentales et provocatrices ne manqueront pas de soulever. »
Courbet commence sa formation à l’âge de 14 ans. Il peint des tableaux réalistes, représente des scènes domestiques dans des grands formats, jusqu’alors réservés aux peintures d’histoire.
Courbet a très tôt la conscience de son talent et l’ambition de sa réussite.
Il a dix-huit ans lorsqu’il écrit à ses parents : « Puisque dans tout et partout je dois faire exception à la règle générale, je m’en vais poursuivre ma destinée ».
En 1839 Courbet arrive à Paris avec une seule préoccupation, s’affirmer dans sa vocation de peintre.
En 1849 il loue un atelier rue Hautefeuille d’où il ne bougera plus.
C’est là qu’après la commune, à la suite de sa condamnation pour ses idées communardes, ses meubles et tableaux seront saisis et vendus aux enchères en 1877.
En 1853 il écrit à ses parents : « … il faut que je fasse un grand tableau qui me fasse connaitre sous mon vrai jour, car je veux tout ou rien…J’entends la peinture en grand, je veux faire de la grande peinture ».
Il est assidu dans les musées, au Louvre, au Luxembourg, où il s’astreint à l’art de la copie.
C’est au regard des maîtres anciens qu’il conçoit son œuvre comme il l’écrit dans la préface du catalogue de son exposition privée en 1855, « j’ai voulu tout simplement puiser dans l’entière connaissance de la tradition le sentiment raisonné et indépendant de ma propre individualité ».
Le tableau
Plusieurs de ses tableaux ayant été refusés au Salon Officiel, et L’Atelier du peintre ayant été refusé à l’Exposition Universelle, Courbet obtient de la préfecture l’autorisation de construire un stand où il organise une exposition privée en 1855.
L’Atelier du peintre domine son « pavillon du Réalisme » tant par ses dimensions que par son sujet à la fois ambitieux et ambigu.
Le silence observé par la critique sur la signification du tableau est peut-être motivé par la méfiance que doit inspirer le peintre … Courbet réprouve l’Empire et s’arroge tous les droits.
Courbet écrit « la scène se passe dans mon atelier à Paris » et « C’est le monde qui vient se faire peindre chez moi »
L’Atelier du peintre est le troisième tableau de grandes dimensions que peint Courbet. Ont précédés L’enterrement à Ornans et Pompiers courant à un incendie.
Au début de l’année 1855 Courbet écrit :
« Tu voudrais peut-être savoir le sujet de mon tableau ? C’est si long à expliquer que je veux te le laisser deviner quand tu le verras. C’est l’histoire de mon atelier, ce qui s’y passe moralement et physiquement. C’est passablement mystérieux. Devinera qui pourra ! »
Le tableau est relativement peu vu du vivant de Courbet.
Il est exposé à Bordeaux en 1865, puis à Vienne en 1873.
C’est Juliette, la plus jeune sœur du peintre, qui hérite du tableau et le met en vente en 1881 à Drouot. Après être passé par la famille Desfossés, en 1919, le Louvre entre en pourparlers pour l’acheter, la participation des Amis du Louvre n’étant pas suffisante, une souscription publique est ouverte.
L’Atelier du peintre entre au Louvre le 13 février 1920.
Composition
C’est une composition sobre qui s’articule autour de dix triangles équilatéraux.
La composition découpe le tableau en trois zones :
Au centre de l’immense tableau, Courbet est assis devant un paysage posé sur un chevalet.
Sur la gauche apparaissent des personnages de ses tableaux.
Sur la droite se tiennent les partisans issus des milieux intellectuels, critiques et artistiques parisiens.
C’est un espace clos, l’intérieur d’un atelier d’artiste, composé de deux plans Au premier plan, l’œil du spectateur circule de la gauche du tableau vers la droite, d’un groupe à l’autre, emmené par les trois personnages assis : à gauche le braconnier qui parle à son chien ( il a la tête de Napoléon III), au centre le peintre qui pose des couleurs sur sa toile, à droite, Baudelaire absorbé dans la lecture d’un livre. La plus-part des autres personnages sont debout.
Les personnages pris tous ensemble s’inscrivent sur une ligne et pris un par un sont autant de verticales.
Ces lignes strictes contenues dans les triangles équilatéraux donnent du nerf à la composition.
Dans la partie centrale : Courbet se représente encadré par un petit garçon et un modèle nu, entrain de peindre un paysage de son enfance.
Le second plan, le mur du fond, est recouvert de toiles de grands formats qui couvrent toute la hauteur de mur et scandent la paroi. Un médaillon de plâtre est accroché, il représente le visage de profil d’une femme.
Quand Courbet décrit son tableau :
« Au fond du tableau, on aperçoit dans l’embrasure d’une fenêtre deux amoureux qui disent des mots d’amour, l’un est assis sur un hamac. Au-dessus de la fenêtre de grandes draperies de serge verte. Il y a encore contre le mur quelques plâtres, un rayon sur lequel il y a une fillette, une lampe, des pots, puis des toiles retournées, puis un paravent, puis plus rien qu’un grand mur nu. »
Les couleurs sont les notes d’une palette sombre et forte qui éclaire les visages.
La lumière subtilement projetée, en une clarté diffuse -la grande traînée de lumière au second plan ou la zone obscure -au premier plan, apportent une unité à la représentation.
Au premier plan, seuls la muse et les animaux -le chat et le chien, sont accrochés par la lumière. Une lumière qui vient de nulle part.
On observe que dans La Rencontre la lumière envahissante découpe les personnages sur le paysage tandis que dans L’Atelier du peintre c’est l’ombre qui tient ce rôle. Le traitement estompé des ombres (à la manière de Murillo) atténue le réalisme de la représentation.
Courbet a assimilé les leçons des maîtres anciens. Les deux tableaux,La Rencontre et L’Atelier du peintre, ont été réalisés à la même période montrant l’aisance du peintre à jouer avec les atmosphères et les techniques.
Analyse
C’est un œuvre chargée d’intentions.
Hélène Toussaint le formule : « Cette œuvre est une charade monumentale. »
Courbet donne la place centrale à l’artiste.
Le peintre s’est représenté au centre, avec « les réprouvés » d’un côté et les
« élus » de l’autre, avec d’un côté le monde de la mort et de l’autre, le monde de la vie.
Ce tableau-bilan est un manifeste.
Il est à la fois une galerie de portraits, un manifeste politique et une proclamation de la vocation de peintre.
Extrait d’une lettre de Courbet à Champfleury (en 1854) :
« Ce sont les gens qui vivent de la vie, qui vivent de la mort. C’est la société dans son haut, dans son bas, dans son milieu. En un mot c’est ma manière de voir la société dans ses intérêts et ses passions. C’est le monde qui vient se faire peindre chez moi. »
Le peintre a rassemblé dans son atelier,
D’une part les allégories à gauche du tableau : on observe le Juif puis viennent le curé, un républicain, un chasseur, un marchand de tapis, derrière une femme portant un bébé et, à ses côtés, un ouvrier les bras croisés. Devant l’ouvrier est assis le croque mort, au pied du chevalet, une mendiante allaite un nourrisson -c’est une irlandaise (au XIXe les irlandais ravagés par la famine des pommes de terre symbolisent la dégradation sociale), derrière la toile que peint Courbet est pendu un mannequin.
Les radiographies révèlent que le petit garçon, l’homme à la toque et l’homme assis -braconnier- ont été ajouté dans un deuxième temps portant le nombre de personnages à trente-trois.
D’autre part les gens du monde de l’art, ses « actionnaires », à droite du tableau : le peintre a représenté ses amis, en partant de la gauche, d’abord le violoniste Alphonse Promayet -compagnon d’enfance de Courbet (qui l’a peint à plusieurs reprises, il est Le Guitarrero –1844, il figure dans L’après dînée à Ornans –1849 et dans L’enterrement à Ornans –1849) ; devant lui il y a Alfred Bruyas, collectionneur avisé et mécène (Courbet l’a représenté dans La Rencontre – 1854) puis viennent trois personnages regroupés, Proudhon (philosophe socialiste), Cuenot (ami d’enfance du peintre qui l’a aussi représenté dans L’après dînée à Ornans) et Buchon (ancien camarade de collège de Courbet et anti-Bonapartiste, il figure dans L’enterrement à Ornans) ; L’écrivain Champfleury trône assis (on dit qu’il serait la plume du Manifeste du Réalisme signé par Courbet au moment de son exposition privée de 1855), Courbet ne dévoile pas l’identité du couple mondain, il en est de même pour le couple de jeunes gens dans le fond -le jeune-homme est assis dans un hamac rouge ; pour finir, à l’extrême droite de la composition Baudelaire assis sur un coin de table sur laquelle il a posé son chapeau, boude, à son coté, on distingue l’ombre de jeanne Duval.
Anecdote, Baudelaire qui semble plongé dans la lecture d’un livre est très amoureux de la muse de Courbet, jeanne Duval.
À la demande du poète qui veut préserver sa relation houleuse avec sa maîtresse, Delacroix efface la muse dont on distingue une ombre aux côtés de Baudelaire.
Courbet utilise dans le titre du tableau deux termes contradictoires : allégorie et réelle.
Ce qui lui permet de donner dans un même temps un point de vue artistique et un point de vue moral.
On remarque le crâne posé à coté du croque-mort, Courbet par esprit de provocation parle de la mort de l’académisme en peinture et de la mort du gouvernement de Napoléon III.
Dans L’Atelier du peintre les personnages sont plongés dans leur méditation.
Ils s’abstraient les uns les autres par leur attitude et leur habillement.
Les gestes sont suspendus. Le temps l’est également.
Avec l’attention du petit garçon, Courbet envoie un message au spectateur qui doit accorder à son tableau le même intérêt que l’enfant.
Dans L’Atelier du peintre les personnages réunis sont juxtaposés, la fortune ou l’infortune les désunissent, contrairement aux représentations postérieures de Fantin-Latour Hommage à Delacroix –1864 et L’Atelier des Batignolles -1870 où les personnages sont liés par leur esthétique. Dans l’Hommage à Delacroix, Champfleury et Baudelaire sont côte à côte et dans L’Atelier des Batignolles Manet peint devant ses amis.
L’esprit du spectateur est entrainé au-delà de la scène représentée.
De par sa composition en triangles équilatéraux -symboles des Francs-Maçons, le tableau est porteur d’un sens ésotérique accessible aux initiés.
L’Atelier du peintre est chargé d’intentions.
C’est un concentré des aspirations de Courbet.
Le peintre a mûri depuis L’enterrement à Ornans –1849 qui montre une image de la société qui est celle des aspirations des Quarante-huitards.
Dans L’Atelier du peintre les villageois deviennent les personnages du monde, le maire est remplacé par Napoléon III.
Courbet persifle et montre qu’il a perdu ses illusions.
Le peintre en plaçant les personnages au premier plan à la hauteur du regard fait entrer le spectateur dans sa toile et le met en situation de voyeur.
« L’atelier fonctionne comme un révélateur. Il pousse à nous interroger sur l’acte de regarder », interprète Thomas Schlesser. »
Delacroix dans son journal parle de L’Atelier du peintre :
« 3 août… En sortant je vais voir l’exposition de Courbet qu’il a réduite à dix sous. J’y reste seul près d’une heure et je découvre un chef d’œuvre dans son tableau refusé ; je ne pouvais m’arracher de cette vue. Il y a des progrès énormes et cependant cela m’a fait admirer son Enterrement… Les plans sont bien entendus, il y a de l’air et des parties d’une exécution considérable : les hanches, les cuisses du modèle et sa gorge ; la femme du devant qui a un châle. La seule faute est que le tableau qu’il peint fait amphibologie : il a l’air d’un « vrai ciel » au milieu du tableau. On a refusé là un des ouvrages les plus singuliers de ce temps ; mais ce n’est pas un gaillard à se décourager pour si peu ».
Conclusion
Après Gros et ses Pestiférés de Jaffa -1804, Géricault et son Radeau de la Méduse -1819, Delacroix et son Massacres de Scio -1824, Courbet avec L’Atelier du peintre -1855 atteste qu’il est un digne successeur.
Courbet invente un nouveau rapport au réel et adapte la tradition à sa propre personnalité. Comme le souligne Bruno Foucart, le destin de l’artiste, comme de l’homme, se joua dans la fidélité à soi-même.
Castagny précise, l’artiste souhaitait peindre ses contemporains « avec la gravité, la force et le caractère qu’on réservait d’habitude pour les dieux, les héros et les rois ».
Il n’y a pas de phase chez Courbet, il fait des allers-retours entre les sujets de ses tableaux, les chevaux, les chiens, la truite et dans le même temps L’Atelier du peintre qui est un condensé de ses diverses attirances.
« Je ne veux pas peindre un ange, car je n’en ai jamais vu » affirmait Gustave Courbet en des termes qui traduisent l’essence du mouvement réaliste qui se développa en Europe au XIXe.
Attaché à la représentation d’une réalité observable et à la fidélité à l’expérience visuelle, le réalisme fut intimement lié à Courbet à partir du milieu du siècle.