L’Art de la peinture – vers 1666 – Vermeer

 

Vermeer (1632-1675)

 

 L’Art de la peinture

Vers 1666
Huile sur toile
Dim 120 x 100 cm

Conservé en Autriche, au musée d’histoire de l’art de Vienne

 

Le peintre

 Son aversion pour les commandes, sa production réduite et le fait qu’il n’eut qu’un seul client connu, Pieter Van Ruijven, alimente la légende d’un peintre secret et isolé.

Vermeer épouse Catherine Bolnes en 1653. La même année il devient membre de la guilde de saint Luc, position idéale pour participer aux innovations artistiques à Delft au cours de la décennie suivante.

Ses peintures d’intérieurs domestiques, habitées par des figures isolées ou en groupes réduits, se caractérisent par des compositions d’une clarté remarquable, une grande attention portée aux matières et aux effets de lumière, et des exploits en matière d’illusionnisme.

Ses préoccupations sont étroitement liées à celles des peintres de genre contemporains, comme Pieter de Hooch, lui aussi spécialisé dans les scènes d’intimité domestique. Ces deux artistes s’influencèrent mutuellement, mais ce sont leurs différences qui rendent Vermeer passionnant. Comme de Hooch il peint surtout des personnages féminins mais, il ne les accompagne jamais d’enfants.

Au lieu d’évoquer la vie quotidienne de la maison, ses figures solitaires ont un caractère méditatif et intériorisé.

L’extraordinaire rendu des détails, l’intensité des rapports colorés et la tactilité des matières scrupuleusement observées ont porté à croire que le peintre employait une chambre noire, hypothèse d’autant plus vraisemblable que les artistes delftois de l’époque se passionnaient pour l’optique et la perspective. Vermeer connaissait les effets de ces instruments, en particulier les taches lumineuses sur les objets réfléchissants, qu’il reproduisait fidèlement dans ses tableaux.

Les peintres du siècle d’or ne peignaient pas sur le motif, comme plus tard les impressionnistes. Ils travaillaient pendant des heures, des journées, des mois, des années, même, dans leur atelier.

Le dessin d’après nature jouait un rôle fondamental dans toute production artistique.

 

Le tableau

Le tableau représente une peintre entrain de peindre un tableau.

Vermeer place le spectateur dans une position de voyeur, regardant le peintre et son modèle à la dérobée derrière un rideau aux riches couleurs.
Celui-ci sépare l’univers du spectateur de l’harmonie du monde pictural, aux teintes froides.

Il ne s’agit pas d’un autoportrait : il aurait été impensable de montrer le sujet principal de dos, même sur le portait le plus novateur. Le peintre est en outre vêtu de façon fantaisiste.

Vermeer peint une femme couronnée de lauriers, tenant une trompette et un livre. Ce sont les attributs de Clio, muse de l’histoire. La couronne indique les honneurs qu’elle confère, la trompette la renommée qu’elle apporte. Les honneurs et la renommée étaient source de motivation pour les peintres.

La peinture d’histoire constituait le genre le plus noble de l’art, mais la référence historique incluse par Vermeer paraît ironique.

Il s’agit dans ce tableau de l’histoire politique des Pays-Bas comme l’indique la carte meublant le mur du fond, qui représente clairement les dix-sept provinces unies avant la séparation.

Le tableau montre un intérieur méticuleusement peint selon la tradition néerlandaise. En incorporant des cartes et des tapisseries typiques des Pays-Bas, il incarne aussi l’histoire de l’art hollandais.

 

Composition

C’est un des plus grands tableaux de Vermeer
C’est une scène d’intérieur avec deux personnages :

Dans l’axe du tableau, dominant la scène, un lustre à branches en laiton -typiquement hollandais est accroché entre les solives du plafond. Il n’est pas éclairé.

Au premier plan, sur la gauche du tableau, comme au théâtre, un lourd rideau de facture espagnole s’ouvre sur la scène. Le rideau est retenu par le dos d’une chaise.

Le second plan est occupé par le peintre qui tourne le dos au spectateur pour peindre Clio, muse de l’Histoire. Il porte un costume espagnol. On ne voit pas sa palette.

Vermeer n’a pas reconstitué un atelier de peinture du XVIIe hollandais. Il se réfère allégoriquement à un évènement historique.

À l’arrière-plan, la position de Clio dans la pièce indique qu’elle est le sujet du tableau. Clio est la figure centrale du tableau. Elle tient une trompette à la main et un livre serré contre sa poitrine.

Sur le mur du fond de la pièce, occupant tout l’espace, une tapisserie suspendue montre la Hollande des années 1630.

C’est un tableau de la grande maturité de Vermeer qui montre sa maîtrise de l’espace et de la lumière.

Vermeer expérimente la représentation de la profondeur selon les règles de la perspective. Il crée l’illusion tridimensionnelle en plaçant une chaise au premier plan. La chaise est un obstacle entre les personnages et le spectateur.

Cette illusion est renforcée par la perspective centrale avec un point de fuite unique (placé à l’extrémité de la tringle inférieure de la carte, sous la main de Clio).

En accentuant l’impression de profondeur Vermeer renforce l’impression d’intimité qui baigne la scène. Le point de fuite fait vivre l’espace entre le peintre et sa muse.

La composition est structurée par des lignes horizontales et verticales simples et par des angles droits.  Les fortes lignes orthogonales du dossier de la chaise, de la table et de la tapisserie au mur quadrillent la composition avec une précision mathématique et attirent l’œil du spectateur dans l’espace du tableau, tandis que La sensation d’étendue produite par le motif du carrelage sert à tenir les personnages à distance.

La lumière n’est plus utilisée pour décrire les objets, mais pour créer une ambiance.

Vermeer capture l’interaction entre la lumière et les objets.
Vermeer conjugue la perspective à ses effets de lumière. 

La lumière éclaire, elle se diffuse comme un projecteur sur chaque objet, et souligne délicatement les plis et froissements de la mappemonde au mur ainsi que les détails et les contrastes des matières qui sont méticuleusement rendus.

La lumière baigne Clio. C’est une lumière claire avec des couleurs primaires harmonieuses.

La touche de couleur est posée sur un fond légèrement grisé et lisse qui lui donne une étrange intensité. La couronne de laurier de Clio est peinte à grands traits de bleu, de la même couleur que son costume.

Les traces de pinceau sont peu visibles.

 

Analyse

Le tableau est une méditation sur la nature de la peinture, un message politique et une affirmation picturale du statut de l’artiste,

La muse est celle qui inspire le peintre, celle qui permet la création artistique. Sa beauté exalte le peintre. Entre la muse et le peintre se crée un lien, une symbiose qui aboutit à la création. L’excitation de créer traduit le désir du peintre, ce moment trouble et fort où il élabore son œuvre.

La jeune-femme que Vermeer représente, à l’arrière-plan, enrobée de lumière est le sujet du tableau, son centre, son attrait.
Clio se transforme en calme méditation sur la nature de la représentation visuelle, qui symbolise le caractère éternel des œuvres.

Elle est liée au peintre par une observation silencieuse. C’est une muse, ses attributs une trompette et un volume (sur lequel sont inscrits des hauts faits des Dieux) nous indiquent qu’il s’agit de la muse de l’Histoire, Clio. Elle a les yeux baissés, son regard est sur la table où sont rangés, un masque de plâtre -évoquant la muse de la comédie : Thalie et un grand cahier ouvert, probablement une partition de musique – pour la muse de la musique : Euterpe. Ces attributs suggèrent qu’après Clio, le peintre représentera les allégories de la musique et de la comédie.

En honorant les muses, Vermeer parle de son désir peindre.

Clio incarne aussi la séduction de l’œil que la peinture provoque.

On retrouve l’équivalence entre la séduction et la tromperie dans de nombreux tableaux réalistes de jeunes-femmes peintes par Dou, Van Mieris, Jan Steen et leurs disciples. Ces scènes suscitaient un plaisir légitime. Neutralisé par les nombreuses métaphores, il pouvait être éprouvé sans danger moral.

Le tableau est un message politique.
Vermeer exprime une vision nostalgique des Pays-Bas des années 1630 et de leur art. Ces années où la Hollande était sous le joug espagnol. Les espagnols étaient cultivés, férus d’art et mécènes.
En 1648 le traité de Münster instaure l’indépendance des Provinces-unies. La société devient une société essentiellement pragmatique, composée de grands marchands incultes peu portés sur les audaces de la jeune peinture.
Sur la carte qui apparaît bien en vue au-dessus du personnage du peintre, la patrie est représentée, non pas sous sa forme nouvelle, avec les sept provinces de la République mais, avec les dix-sept provinces de la Renaissance humaniste.

Le lustre sans bougie montre le peu d’éclat de la société hollandaise et, les somptueux rideau et costume du peintre -dit à la bourguignonne et en vogue dans les années 1530, expriment la nostalgie de ce goût des arts et du mécénat qu’avaient les espagnols.

Le tableau est une affirmation picturale du statut de l’artiste :
La métamorphose du réel en œuvre d’art, n’est perçue qu’en tant que reflet du beau artistique. Ce qui semble beau à voir pour le spectateur est, ce que le peintre a trouvé beau à peindre.

Dans cette toile tardive on remarque l’habileté de Vermeer à créer des effets d’optique et de texture simulant la réalité.

Sa perspective construite autour d’un point de fuite unique lui permet de créer une composition réaliste avec l’intention d’influencer la perception du spectateur.

 

Conclusion

L’importance accordée par Vermeer à cette toile transparait dans le fait qu’il l’a conservée jusqu’à sa mort.
Cette allégorie fut baptisée L’Art de la peinture par la femme de Vermeer qui hérita de ce tableau après la mort du peintre.
Sa veuve l’a conservé, refusant de le vendre pour payer les dettes du peintre, puis l’a transmis à sa mère en 1677.

Le tableau sera vendu aux enchères pour la première fois en 1696.

L’œuvre singulière de Vermeer me fascine.
Vermeer est un maître remarquable du XVIIe hollandais