Le Corrège – Antonio Allegri da Correggio (1489-1534)
L’adoration des bergers
Retable peint en 1522 et retouché en 1530
Huile sur bois
Dim 256,5 x 188 cm
Conservé à Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister
Le peintre
Antonio reçoit une éducation supérieure à la moyenne de l’époque. Son oncle, le peintre Lorenzo Allegri, lui donna le goût de la peinture. Il eut pour maîtres, vers 1500, Antonio Bartolotti de la région de Correggio, puis Francesco Bianchi Ferrari à Modène.
En 1511, il quitte Correggio pour Mantoue où il travaille peut-être avec Lorenzo Costa qui était au service d’Isabelle d’Este, importante mécène de la Renaissance.
Vers 1517-1519, il voyage à Rome.
À partir de 1519 Corrège travaille à Parme. Il réalise un programme de fresques pour décorer le salon de Giovanna da Piacenza, abbesse du couvant bénédictin San Paolo ; Il s’inspire du style de Mantegna admiré à Mantoue.
Suivront les fresques de l’église San Giovanni Evangelista et de 1526 à 1530 les fresques du Duomo de la cathédrale de Parme.
Parallèlement il peint des tableaux à caractère mythologique et religieux.
Le retable
Fait partie d’un groupe d’œuvre réalisées à Parme.
Corrège étudie les effets de lumière dans l’atmosphère,
Ensoleillée, dans la Madone de saint Jérôme, dite Le jour (1527-28),
Suggestive, dans le nocturne L’adoration des bergers, dit La nuit (1529-1530).
Le tableau a été placé en octobre 1522 sur l’autel de la chapelle familiale dédiée à la Nativité du Christ, dans l’église de San Prospero de Reggio Emilia.
Corrège l’a retouché en 1530.
Ce nocturne est resté dans son emplacement d’origine plus d’un siècle.
En 1640, Francesco d’Este en fait l’acquisition et accroche le tableau dans ses collections ducales Modena.
De nombreux artistes italiens et étrangers comme El Greco et Rubens sont allés à Reggio pour admirer le tableau.
Le célèbre nocturne de Corrège, est resté en Italie.
Il est aujourd’hui conservé à Dresde.
Composition
L’espace comprimé s’inscrit dans un agencement pyramidal.
La composition est dynamisée par ses perspectives diagonales.
La naissance du Christ est représentée comme un miracle lumineux.
La lumière crée un équilibre entre l’agitation sur la gauche et le bonheur paisible sur la droite, l’accent lumineux souligne la Vierge et son enfant.
La Vierge éclairée par la lumière qui émane de l’Enfant semble irréelle. Elle est le seul personnage à ne pas être aveuglé par la lumière divine, très intense.
Cette lumière, hors du temps, donne vie au tableau et met l’accent sur les réactions des personnages.
Le premier plan est amorcé à droite avec des végétaux et des morceaux de bois.
Le berger au premier plan, à gauche, est immense, imposant, c’est une figure repoussoir.
Le berger contemple le miracle nocturne de ses propres yeux, tandis que son chien flaire la crèche.
À ses côtés deux servantes, l’une, à genoux, a un mouvement de recul, aveuglée par la lumière, la seconde cherche à partager sa surprise avec le berger.
Au second plan, Joseph se tient à l’écart près de l’âne.
À l’arrière-plan, un paysage de montagne éclairé par le levé du jour ferme le tableau.
Les obliques s’enfoncent dans le tableau.
L’arrière-plan et le lever du jour sont tous proches.
Dans le registre supérieur, à gauche de la composition, un groupe d’anges sensés garder les troupeaux des bergers durant la nuit de la naissance du Christ, comme décrit par l’évangéliste saint Luc ; est dans ce tableaux, dans un nuage. Les anges sont baignés de lumière et forment un enchevêtrement complexe peint avec virtuosité.
Cette crèche peinte en clair-obscur donne une grande force à la scène.
Analyse
J’ai admiré les Madones pleine de fraicheur et d’humanité et l’Enfant avec des attitudes de bébé de Corrège.
Le Corrège a un style reconnaissable où couleur et mouvement se fondent avec une élégance singulière et une poésie sans égale.
Dans ce tableau on est aux antipodes, c’est un nocturne.
L’exaltation des gestes et des expressions, la façon dont la lumière qui émane du nouveau-né se répand sur le groupe non seulement est inhabituelle mais aussi, annonce le style baroque.
Dans ce tableau il y a de la grâce, des formes douces et des jeux d’ombres et de lumières.
Corrège transforme la réalité en rêve, la naissance du Christ est un miracle lumineux.
Corrège se sert de la lumière pour contrebalancer les formes et pour diriger le regard dans certaines directions.
Avec le berger, le regardeur approche de la crèche et voit le miracle de la lumière qui brille dans les ténèbres, selon la parole de saint Jean.
Corrège a l’intelligence du clair-obscur.
La colonne blanche au pied de jésus brise et fait rebondir les diagonales ; la colonne est un réflecteur de lumière.
Corrège insère ses personnages aux poses instables dans des perspectives raccourcies. Les personnages sont déséquilibrés par la puissance de la lumière. Le berger immense, au premier-plan, a un corps contorsionné, en arabesque.
Les mains des personnages relayent ces contorsions.
Le clair-obscur de Corrège, mystérieux et ambigu, dissout les contours, les teintes aux couleurs de terre fondent les formes.
Au registre supérieur, les anges portés par un nuage ondoyant, ont des mines gaies et gracieuses. Ce nuage échappe aux lois de la pesanteur et aux principes de la perspective. Ce nuage est à la fois figure du mouvement et objet vaporeux.
Ce nuage est un enchevêtrement complexe peint avec virtuosité.
Corrège, plus encore que Titien, a pris conscience des possibilités de la couleur et de la lumière.
Le peintre aère et articule sa composition, l’adoration des bergers est axée sur le mouvement.
Corrège a fait le choix de dépasser la sévérité de Mantegna, les contorsions de ses personnages évoquent le maniérisme.
Le paysage en arrière-plan avec le jour qui se lève, les poses complexes des personnages, rappelle les tableaux de Léonard de Vinci.
Conclusion
Corrège est un peintre de la Haute Renaissance.
Leonard de Vinci et Raphaël sont morts. Titien est à l’apogée de sa gloire.
Corrège est un peintre novateur du début du XVIe.
C’est la subtilité de ses jeux d’ombres et de lumières qui exercera une influence majeure et fera de Corrège un précurseur.
Avec un siècle d’avance sur le style baroque, Corrège rompt avec la conception fermée de la perspective.
L’adoration des bergers est la première grande scène nocturne de la peinture européenne.