La Vierge du Paradis ou, Vierge à l’Enfant avec des anges -1539 Gregório Lopes

Gregório Lopes (vers 1490-1550)

 

La Vierge du Paradis ou Vierge à l’Enfant avec les anges

1539

Huile sur panneau de chêne

Dim 121 x 89 cm

Conservé au Museu Nacional de Arte Antiga à Lisbonne, Portugal

 

Le peintre

En 1513, Gregório Lopes est apprenti dans l’atelier de Jorge Afonso, peintre à la cour du roi, Manuel Ier.
Manuel Ier voyait en Jorge Afonso un homme de confiance à même de coordonner les projets de peinture, de choisir les exécutants, de veiller à la qualité des œuvres. Jorge Afonso fut un très grand peintre de son époque.
En 1522, Gregório Lopes lui succèdera comme peintre royal.
En 1514, Gregorio Lopes épouse la fille de Jorge Afonso.
En 1520, il est anobli par le prince Jorge de Lencastre et entre dans l’ordre de Santiago.
Son œuvre est constituée principalement de retables.
Entre 1520 et 1525, il travaille avec Jorge Leal à peindre des retables pour le couvent Saint François de Lisbonne.
Dans les années 1530 il travaille dans la ville de Tomar, il peint divers panneaux et retables.
Ses dernières œuvres connues sont des retables pour le couvent de Santos-o-Novo à Lisbonne (1540) et le couvent Valverde près d’Evora (1545)

Nombre de ses œuvres sont visibles aujourd’hui au Musée national d’art ancien de Lisbonne.

 

Le tableau

Introduction au tableau de la Vierge à l’Enfant avec les anges du catalogue de l’exposition du Louvre : L’âge d’or de la Renaissance portugaise :
« Gregorio Lopes a peint entre 1536 et 1539 cinq tableaux pour les autels de la Rotonde du couvent du Christ à Tomar, dans l’espace que son beau-père et maître, Jorge Afonso, avait rempli d’images près de vingt ans auparavant. Le couvent était l’objet de profondes réformes, inspirées de l’humanisme qui s’imposait à cette époque à la cour portugaise de Jean III. »

Cette peinture fut la dernière de la série destinée à la chapelle dédiée à la Vierge

Carton de l’exposition du Louvre : « Connue sous le nom de Vierge du Paradis, cette peinture regorge de références au livre biblique du Cantique des cantiques et aux litanies de la Vierge. Elle trahit la connaissance, via la gravure, de l’art expressif des peintres maniéristes d’Europe du Nord. Le chromatisme fort et lumineux tout comme la contorsion des figures sont typiques de la maturité de l’artiste. »

 

Composition

C’est une composition très équilibrée qui fait la part belle aux valeurs graphiques et chromatiques.

Au premier plan, la Vierge est dans l’axe du tableau et au centre d’une frise constituée par une ribambelle d’anges ; l’enfant jésus est appuyé contre les genoux de sa mère.
Au second plan, une frise d’arbres fait écho à la frise des anges.
Le second plan est délimité par la clôture du jardin et agrémenté d’une fontaine Renaissance.
Au-delà, le troisième plan, une végétation clairsemée, est ponctuée, à gauche du tableau par une grande bâtisse, un palais et,  à droite du tableau, c’est un village dont on devine le clocher. Les architectures s’inscrivent sur la ligne d’horizon, surmontée par un ciel très bleu, sans l’ombre d’un nuage.
Ces architectures raffinées évoquent les fastes de la cour.

La Vierge porte une robe ample d’un bleu sombre qui se répand en vagues de tissu sur lequel l’enfant Jésus s’est niché. La Vierge a également une cape rouge qu’elle a dégagé de ses épaules et qui tombe en lourds drapés rouges jusqu’au bord du tableau.
Le contraste des couleurs primaires, bleu et rouge, est saisissant et met le personnage central en valeur.
Les anges portent des tenues grises, bleues et jaunes cendrées.
La superposition des étoffes et la hardiesse du drapé fait appel aux aspects sensoriels de la dévotion.

Au second plan la fontaine est représentée avec précision, les bas-reliefs et les sculptures Renaissances sont délicatement stylisés.

Les personnages sont dans un magnifique jardin clos, ponctué de références symboliques aux litanies de la Vierge.

Sur la gauche du tableau deux anges musiciens sont assis et chantent à cœur-joie.
Sur la droite du tableau, un ange agenouillé, sort un oiseau de sa veste pour l’offrir à l’Enfant, un autre ange debout à ses côtés apporte un panier de figues.
L’enfant jésus est grand, ce n’est pas un nourrisson, il est représenté nu, le corps contorsionné, comme un nouvel Adam au paradis.

Au premier plan, dans l’herbe grasse, figure un vase d’où dépasse un bouquet de lys, symbole de fécondité associé à la Vierge Marie.
Devant l’enfant, une corbeille de fruits regorge de grappes de raisins et de pommes. Le raisin renvoie au pressoir qui symbolise la mort du Christ, la pomme devant  l’Enfant évoque son rôle de second Adam qui apporte le salut en prenant sur lui le péché humain.
A l’arrière-plan, la fontaine est très animée, des anges s’amusent avec un petit chien, d’autres jouent des instruments de musique, un ange joue avec le jet d’eau.

Ce tableau est imprégné de la séduction exercée par la peinture flamande.
Son décor est soigné, les accessoires sont somptueux et  les draperies sont d’une grande richesse décorative.

La lumière, avec juste ce qu’il faut d’ombres pour marquer les plis des vêtements,  baigne suavement la scène.
Lopes travaille les transitions entre la lumière et les ombres.

Le dessin précis découpe finement chaque silhouette.
Le trait est sûr, le modelé et les couleurs acides révèlent un style maitrisé.

Cette scène pleine de fantaisie propulse une ambiance de beauté et de félicité.
Une atmosphère à la fois récréative et sereine imprègne le tableau.
Une douceur indicible imprègne les personnages qui vivent un moment de foi et de bonheur.

 


Analyse


I-  
Il n’y a pas longtemps que l’on parle d’une école portugaise à Paris.

Charlotte Chastel-Rousseau : « Les revers du pays, qui suivirent de si près sa période glorieuse, la domination espagnole au XVIIe, puis le tremblement de terre de 1755 en avait détruit jusqu’au souvenir. L’ampleur de la destruction des archives lors du tremblement de terre a gravement nui au rayonnement et à l’étude de l’art portugais.
Suivi des soubresauts de l’histoire du XXe, quatre régimes politiques différents, quatre constitutions, quatre dictatures, qui eurent pour conséquence un relatif isolement des historiens de l’art portugais.
L’élan qui suivit la révolution des Œillets a permis l’internationalisation de la discipline au Portugal et avec elle, un intérêt renouvelé pour l’art portugais chez ses voisins européens.
Jusqu’au milieu du siècle dernier, presque toutes les peintures anciennes encore éparses dans les églises étaient attribuées uniformément à un auteur à demi-mythique, qu’on appelait le grand Vasco ».

 Au XXe, en France, on redécouvre des tableaux portugais d’une importance majeure.
Dans l’église de Bourg-Saint-Andéol, en Ardèche, se trouve une composition de Gregorio Lopes : L’adoration des Mages -1540 ; à Eu, au musée Louis-Philippe, une composition d’Antonio de Sequeira : Le miracle d’Ourique –1793 ; à Paris, au Louvre, seulement trois tableaux : un panneau d’Antonio de Sequeira : Allégorie de la fondation de la casa Pia de Belém -1791-94 acquise en 1979 ; un panneau de Baltazar Gomes Figueira : Nature morte au poisson avec crabe, crevettes, oignons et oranges -1645 acquise en 1996 ; une composition de Jose de Óbidos sur cuivre : Madeleine pénitente confortée par les anges –1679 acquise en 2016.              .

II-  La Renaissance portugaise

L’art qui a fleuri au Portugal jusqu’au milieu du XVIe est « une végétation merveilleusement touffue ». Les artistes portugais de cette période produisent à un moment crucial de la peinture européenne.
Lisbonne est, au début du XVIe, la capitale artistique.

Le XVIe est le siècle de l’apogée de l’expansion maritime portugaise.
C’est le regard de l’Europe.
Comme l’écrit le poète Luís de Camões, le Portugal est le royaume « où la terre s’achève et où la mer commence ».
Lisbonne est la capitale d’un vaste empire, elle est à la croisée des mondes où affluent les richesses. Le royaume du Portugal devient une puissance coloniale, grâce à ses navigateurs.

Jean Ier fut le premier à créer la charge de peintre du roi.
La présence de peintres à la cour devint chose habituelle.
En 1428, le Portugal reçut la visite d’un membre de l’ambassade diplomatique, Jan van Eyck qui resta dix mois et réalisa le portrait de la princesse Isabelle.
Quentin Metsys, séjourne au Portugal entre 1503 et 1510, sous Manuel Ier.
De retour en Flandre, Metsys a des apprentis portugais.
Le triptyque de la Trinité et de la Vierge, entre saint Sébastien et saint Roch –1518 est commandé à Metsys par Lucas Rem, marchand d’Augsbourg, ancien facteur des Wesler à Lisbonne ; il est conservé aujourd’hui à l’Alte Pinakothek à Munich.

Manuel Ier, développe l’Art au Portugal.
C’est le cousin du roi Jean II auquel il succède en 1495.
L’art flamand était hautement apprécié au Portugal. L’intensité des relations commerciales entre le Portugal et la Flandre marque la production artistique. Manuel Ier invite des représentants de l’école flamande dans son royaume.
Il conforte son rôle de monarque en misant sur ses actions en faveur des arts. La commande de retables, l’appui aux rénovations de couvents et d’édifices publics témoignent des efforts du souverain pour affirmer sa puissance. Le roi a le goût du gothique raffiné, hybride, extrêmement orné au niveau des fenêtres, des portails et des bordures décoratives et marqué par une profusion héraldique (armes royales et symbolique du roi -devise personnelle et croix du Christ).

C’est l’éclosion de la Renaissance portugaise, une Renaissance qui se distingue de la Renaissance artistique des peintres romains, florentins, vénitiens, anversois et brugeais. La Renaissance portugaise est une Renaissance sans classicisme.

La production artistique portugaise fait écho à son ouverture sur le monde.
C’est une synthèse originale entre le style flamand, le style italien et la culture portugaise.

Les écoles flamandes exercent une suprématie sur la peinture du XVIe en Europe. Ce mécénat permet aux artistes portugais de découvrir la peinture à l‘huile. Les ateliers lisboètes, fédérés autour de Jorge Afonso, maitrisent parfaitement la nouvelle technique à l’huile.
On retrouve dans les tableaux portugais les tissus et les accessoires précieux ainsi que les détails architecturaux empruntés à la peinture flamande.
Les arts décoratifs, représentatifs des contacts établis dans les territoires ultramarins, s’épanouissent.
La diffusion de pierres précieuses indiennes, des ivoires, des porcelaines chinoises, des soieries, participe au processus de création des artistes portugais qui créent des combinaisons artistiques inédites.

Les marchands portugais, flamands, allemands, italiens et andalous dessinent les contours de Lisbonne, ville cosmopolite où sont débarqués les merveilles d’Afrique, d’Orient, des Indes et d’Asie.

La supériorité technique des ouvrages : les ivoires de Ceylan, les porcelaines de Chine, les tissus brodés, etc… est une source de stimulation pour les artistes portugais.
L’interaction culturelle chez les artistes portugais s’exprime dans leur adoption des techniques étrangères qu’ils revisitent.
Les peintres lisboètes voyagent jusqu’à Goa, ils accompagnent les missionnaires.
Les artistes portugais s’approprient les objets d’art du nouveau Monde, les remanient. Ils ne les détournent pas, ils les adaptent.
Le syncrétisme qui se déploie en peinture génère des figures et des formes chrétiennes interprétées à la lumière des références hindouistes.
Les formes combinées qui  émergent, constituent la production artistique portugaise du milieu du XVIe.

Les répertoires iconographiques évoquent les modèles italo-flamands combinés à la culture portugaise.

III-  Gregorio Lopes est sensible aux nouveaux courants esthétiques

 A/ Il mixe les influences :
Sa Vierge du Paradis, avec ses couleurs saturées, l’expression du visage de la Vierge, son cou incliné, les mimiques de ses mains, les offrandes, nous emmènent dans un tableau… indien !
Cette Vierge du Paradis est infusée de l’esprit maniériste.

L’ornement en arrière-plan d’une fontaine Renaissance, plus loin l’architecture du Palais « à la romaine » sont des références classiques.

B/ Gregório Lopes interprète de façon anachronique la peinture sacrée.
Ses personnages évoluent dans une atmosphère fastueuse qui comme un miroir, renvoie les idées, les croyances, les goûts et les valeurs symboliques du pouvoir manuélin -de la cour.

Bien que les évocations religieuses soient présentes dans ce tableau, le regardant relie la composition aux descriptions des loisirs des courtisans décrites dans les sources littéraires et iconographiques de l’époque.
Le petit groupe joyeux représenté profite de la nature, accompagné de musique.
La Vierge affecte les manières délicates de la vie courtisane, et témoigne de l’attrait du peintre pour les poses artificielles.

Il se dégage de cette composition une cohérence narrative.
Gregório Lopes a un gout prononcé pour la narration truffée de détails savoureux, raffinés et… coquasses.

Le peintre représente l’histoire Sainte animée de références à la vie quotidienne de la cour, il fusionne l’histoire sainte et les délices de la cour.

Gregorio Lopes attire l’attention du regardant irrésistiblement sur la Vierge et l’Enfant, avec l’intensité lumineuse de ces deux personnages et (un petit peu) avec ses lignes convergentes sur la Vierge et l’Enfant.

 

Conclusion

Si la Renaissance portugaise est méconnue
Cela est dû premièrement à un séisme qui a englouti une partie des œuvres et les archives en 1755, à Lisbonne.
Et puis, à la décision au XIXe, de transférer directement les tableaux et retables des monastères dans les musées portugais, sans passer par le marché de l’art.

L’initiative du Louvre de montrer une quinzaine d’œuvres allant du XVe à la première moitié du XVIe en organisant une exposition d’un très haut niveau artistique : L’âge d’or de la Renaissance portugaise -jusqu’au 10 octobre 2022, nous propose de découvrir -dans un accrochage dense, l’originalité de ces artistes portugais dont le trait et l’iconographie empruntent aux artistes flamands et vénitiens.

Charlotte Chastel-Rousseau : « Gageons que la présentation au Musée du Louvre d’une sélection de peintures généreusement prêtées par le Musée national d’art ancien contribuera à faire découvrir ou redécouvrir au public français cet âge d’or des ateliers de Lisbonne, carrefour de l’Europe et du monde dans la première moitié du XVIe ! ».

Sources : le catalogue de l’exposition du Louvre L’âge d’or de la Renaissance portugaise. Auteurs : Joaquim Oliveira Caetano, Charlotte Chastel-Rousseau et Sylvie Deswarte-Rosa.
Et la conférence présentée par Charlotte Chastel Rousseau (musée du Louvre) et Joachim Caetano (directeur du musée d’art ancien de Lisbonne), à l’Auditorium Michel Laclotte du Louvre, le 10 juin 2022.