Robert Delaunay (1885-1914)
La Tour Eiffel
1911
Huile sur toile
Dim 202 x 138 cm
Conservé au musée Solomon R. Guggenheim à New York
Sujet :
La tour Eiffel immense s’élance au milieu d’immeubles gris.
Composition
La tour Eiffel domine la composition, surgissant au premier plan.
Elle est dans l’axe du tableau et surplombe la ville de toute sa hauteur.
Construction du tableau :
La représentation permet la superposition d’angles différents.
Au premier plan La tour et les immeubles sont peints en plongée.
Au second plan les immeubles sont peints en contre-plongée.
Plusieurs parties de la tour semble tordues à cause des variations de point de vue.
C’est la vue en plongée qui donne l’impression de profondeur.
Probablement peint d’une fenêtre.
Les bâtiments courbés sur le côté font penser à des rideaux.
Cet effet est renforcé dans les autres versions du tableau.
Delaunay exécuta plusieurs tableaux de la tour Eiffel dont la structure rouge rouille surgit parmi les lourds bâtiments gris.
La composition est cubiste.
L’essentiel du travail du peintre se concentre sur la couleur.
La palette demeure relativement assourdie.
Delaunay réduira peu à peu la tour à un triangle rouge ou vert vif dans les représentations qui suivront.
Les formes en volutes qui entourent la tour de touches de jaune clair et de blanc cassé surlignées de gris, composent un fond lumineux.
Ces lignes nettes renforcent les contrastes, l’espace clair des volutes repousse l’espace gris et triste des immeubles.
Analyse
La façon dont Delaunay exprime la modernité du sujet
Delaunay a peint plusieurs versions La tour rouge, La tour des arbres ….Ces nombreux tableaux témoignent de son engouement pour la dame de fer.
Delaunay représente la tour pour l’éclairer d’un nouveau regard.
C’est une œuvre multiforme.
Il personnifie la tour et la met en scène.
Comme un message au spectateur, l’invitant à la considérer comme une œuvre d’art.
Lors de sa construction les parisiens ne la considéraient pas en tant que telle.
La tour fut conçue comme une vitrine technologique destinée à promouvoir l’image et le potentiel industriel de la France à l’exposition universelle de 1899.
La tour Eiffel est d’abord décriée.
Eiffel savait que son utilité seule pourrait la sauver de la destruction prévue pour 1909. Pendant la 1ère guerre mondiale, elle permit la diffusion de communications radios stratégiques qui contribuèrent à la victoire. Ses loyaux services rendus à la nation suffirent à assurer sa pérennité.
Elle devient au début du XXe le symbole de Paris et l’emblème de la modernité.
À l’époque il s’agissait du plus haut monument du monde.
Ancré dans la réalité de son époque, le peintre veut par la puissance communicative de la couleur exprimer la modernité de la tour et atteindre l’harmonie picturale.
Delaunay théorise la réalité de la couleur, ses durées de vibrations, ses capacités de contrastes. Il transforme en formes et en couleurs la profusion des angles de vue inédits et le gigantisme de la tour.
Le peintre perçoit la modernité comme un débordement visuel.
Les couleurs remplacent les objets qui n’ont plus de substance et laissent la place à la lumière.
La tour est mise en valeur par sa position mais également par sa couleur rouge rouille qui est la seule couleur chaude du tableau.
Les volutes de fumées et l’harmonie des couleurs beige et gris apportent de la douceur et cassent l’impression menaçante de la tour géante.
L’image joue sur la synchronie et la diachronie.
Synchronie parce qu’elle montre dans un même plan différents angles de la tour et c’est en cela que le tableau est cubiste.
Delaunay analyse les formes géométriques de la tour et les superpose.
Diachronie parce qu’elle représente l’espoir de Delaunay sur le monde futur, le peintre concentre ses recherches sur la représentation du mouvement de l’image et c’est en cela que le tableau est futuriste, les immeubles haussmanniens sont déchirés par la modernité lumineuse de la tour.
La tour Eiffel symbolise la modernité de la ville. Elle représente l’avènement d’un monde nouveau, les défis que l’homme peut relever grâce à la technique.
Le poème d’Apollinaire (Zone- Alcools- 1913) répond aux tours de Delaunay :
« … Bergère Ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l’air anciennes … »
La définition de chef d’œuvre de Bergson est en parfaite adéquation avec la Tour Eiffel :
« Une œuvre géniale, qui commence par déconcerter, pourra créer peu à peu, par sa présence, une conception de l’art et une atmosphère artistique qui permettront de la comprendre ; elle deviendra alors rétrospectivement géniale : sinon elle serait restée ce qu’elle était au début, simplement déconcertante ».
Conclusion
Robert Delaunay entame une recherche sur les contrastes de la couleur qui deviendra l’essence, le fond, la forme et la ligne d’une nouvelle peinture, sa marque de fabrique, son langage pictural.
Sous l’influence du fauvisme, ses premières œuvres sont marquées par la brutalité des tons.
Associations puissantes de rythmes et de mélodies, ses compositions se rassemblent dans l’idée de « simultané » ce qui constitue un défi nouveau pour les peintres. Delaunay vise une perfection créative.
Delaunay fait de la vibration des couleurs et de l’acte de voir le sujet de la peinture.
Sa quête d’une peinture étayée par l’agitation du réel se heurte aux limites de la toile. La série de tableaux sur la tour Eiffel, témoigne de cette confrontation au motif avec les limites de la toile.
Dans « Les peintres cubistes » -1913- Guillaume Apollinaire tenta de classer les différents types de cubisme.
L’une des catégories, le « cubisme orphique » désigne l’art de Robert et sa femme Sonia Delaunay.
Le terme possède une connotation musicale, Orphée étant le dieu grec de la musique et de la poésie.
Les Delaunay employaient des effets de couleurs prismatiques pour décrire leurs sujets, avec le souhait d’atteindre une abstraction totale aussi pure et harmonieuse qu’une composition musicale, selon Apollinaire.