André Derain (1880-1954)
La Route tournante à l’Estaque
1906
Huile sur toile
Dim 130 x 195 cm
Conservé à Houston au museum of Fine Arts
Le peintre
Derain commence à peindre à 15 ans.
En 1898, Derain rencontre Matisse, Albert Marquet et Georges Rouault à la Carrière Academy.
En 1900, il se lie d’amitié avec Vlaminck.
En 1901 au mois de septembre il part pour son service militaire qui durera trois ans. À la fin du service il s’inscrit à l’Académie Julian. Il rencontre Apollinaire.
En 1905, sur les conseils de Matisse, il expose au Salon des Indépendants.
En juillet 1905, Derain rejoint Matisse à Collioure, ils peignent ensemble sur le motif.
Au salon d’Automne, il expose neuf tableaux aux côtés de ceux de Matisse et Vlaminck. Leurs tableaux sont qualifiés de fauves par le critique d’art Louis Vauxcelles. C’est ainsi que le mouvement artistique appelé le fauvisme est lancé.
En 1906, 1907, il s’initie à sculpture sur bois, à la gravure et à la peinture sur céramique dans l’atelier d’André Metthey à Asnières.
Il rencontre Braque, Picasso et André Salmon. Il entretient une correspondance avec Vlaminck et Matisse.
À l’automne 1906 il est à l’Estaque sur les terres de Cézanne.
Avec Vlaminck il entreprend une collection d’art africain.
Au début de l’année 1907, il séjourne pour la troisième fois à Londres et passe l’été à Cassis.
En 1908 il expose au Salon des Indépendants à Paris et au Salon de la Toison d’or, à Moscou. Il fait un séjour à Martigues où Dufy et Braque le rejoigne.
En 1909 il prépare les gravures pour illustrer le livre de Guillaume Apollinaire L’enchanteur pourrissant. Il expose à Munich et à Londres.
En 1911, il expose à Cologne, Londres et Berlin.
En 1914, Picasso accompagne Derain et Braque à la gare d’Avignon lors de l’appel à la mobilisation.
En 1916 la galerie Paul Guillaume montre, en octobre, la première exposition particulière de Derain organisée par Apollinaire et Alice.
En 1919, il est de retour à Paris au printemps, il part à Londres réaliser les décors du ballet La boutique Fantasque.
En 1921 à l’occasion d’un voyage en Italie il renoue avec l’art antique et Raphaël.
En 1922 il expose à Stockholm, Berlin et Munich. L’été, il séjourne dans le sud.
En 1923 il expose à New-York. Paul Guillaume devient son marchand et le sera jusqu’en 1934.
En 1926 il expose à New-York. En juillet il épouse Alice à Paris.
En 1928 il s’installe dans un hôtel particulier construit d’après ses plans, rue du Douanier à Paris. Braque est son voisin.
En 1929 il acquiert le château de Parouzeau en Seine et Marne.
En 1930 il vend ses sculptures africaines pour acquérir des bronzes de l’Antiquité et de la Renaissance, de Chine et du Proche Orient.
En 1932 il réalise les décors pour les ballets russes à Monte Carlo.
En 1935 il vend toutes ses propriétés pour s’installer à la Roseraie sur la commune de Chambourcy.
En 1940 l’avance allemande l’oblige à gagner l’Ariège avec Georges et Braque.
Sa maison est réquisitionnée par les troupes allemandes.
De 1941 à 1943 il peint sur les bords de la Loire.
En 1944 il retrouve sa maison de Chambourcy.
De 1947 à 1954 il conçoit de multiples décors et costumes pour le théâtre et l’opéra. Il expose à l’étranger, le plus souvent à Londres ou New-York et passe ses étés dans le sud de la France.
Derain est renversé par une voiture en juillet 1954, il meurt le 8 septembre.
De décembre 1954 à Janvier 1955, le musée national d’Art moderne lui consacre une importante rétrospective.179 œuvres sélectionnées par Alice sont exposées.
Le tableau
André Derain passe l’été 1906 à L’Estaque, petit village de pêcheurs près de Marseille -dans le sud de la France.
C’est Cézanne qui a mis à la mode ce petit coin de France en 1870.
Et jusqu’à la dernière visite de Braque en 1910, les peintres viendront y puiser leur inspiration.
Derain développe dans ce lieu un style largement inspiré des couleurs intenses et de la géométrie de Cézanne, ainsi que des paysannes bretonnes de Gauguin.
Ce tableau représente un paysage composé d’une route, d’une rivière, d’habitations, d’arbres et de personnages.
Ce tableau peint au début du XXe, fait partie du mouvement fauve. Un courant artistique fondé sur l’instinct et la séparation de la couleur de sa référence à l’objet.
Composition
C’est un grand format rectangulaire
La vue légèrement plongeante montre un paysage panoramique en gommant la profondeur.
Le cadrage serré étouffe la composition, le faîte des arbres est coupé, un petit bout de ciel est écrasé dans le coin supérieur droit de la toile ; la perspective est annulée.
Scindée par la route tournante et segmentée par les arbres, cette composition très cadrée se découpe comme une image.
Les plans sont étagés :
En contrebas de la route, au bord inférieur de la toile.
Une rivière s’enfonce sous le pont. Sur ses berges des personnages sont assis ou allongés. Les grands arbres s’élancent en découpant l’espace.
Au-dessus de la route, jusqu’au bord supérieur de la toile.
La colline remplit la toile, elle est recouverte d’arbres. Un petit bout de ciel force le passage sur la droite du tableau.
La route commence à partir du coin droit de la toile et la traverse horizontalement dessinant l’axe de la composition.
À l’angle droit du tableau, là où la route amorce un virage, un homme esquissé porte une lourde charge sur son épaule. Une femme le devance elle marche courbée par sa charge qu’elle porte à bout de bras.
À la sortie du virage, sur la route, un cheval tire une charrette sur laquelle est juché un homme.
Au départ de la route, à tribord, la large façade d’une maison absorbe la lumière du soleil. La façade aveugle donne un indice sur l’orientation, le sud est devant nous et la route traverse la toile d’est en ouest.
Les troncs des arbres répartis en bosquet et en haies occupent toute la toile. Les arbres ondulent sous le vent et donnent un rythme musical à la composition.
La touche spontanée dégage des formes simples, bien délimitées et structurées.
Une ligne de contour souligne ces formes et fait la liaison entre les différents éléments.
Derain rend la lumière et l’ombre par la couleur.
La lumière jaillit de la couleur. « La lumière est blonde et supprime les ombres. » écrit -il en Vlaminck en 1905 et encore :
« L’ombre est un monde de clarté …elle est ce qu’on appelle des reflets ».
La couleur stucture l’espace.
La palette vive, décline des couleurs stridentes, détonantes et antinaturalistes, les troncs des arbres sont rouges, les feuillages mauves.
Les aplats de couleurs sont larges et déclinés en dégradés de couleurs complémentaires. Les rouges et les jaunes sont tempérés par les bleus et les verts.
Les verts guident l’œil en posant des touches réelles dans ce paysage de sensations.
L’atmosphère s’exprime ainsi par les couleurs faisant fi de tous détails superflus. Les couleurs flamboyantes renvoient la chaleur du sud, comme les postures des personnages qui sont courbés par l’effort et le soleil.
Analyse
I- En proposant une autre vision de la réalité, Derain est l’inventeur de la modernité.
Derain peint un paysage où les arbres battent la musique à la recherche d’un accord entre émotion et sensation.
Derain structure sa toile à l’aide de blocs et d’aplats de couleur.
La planéité qui résulte de La Route tournante à l’Estaque évoque les prémices d’une approche moderne de l’art.
Ainsi la ligne et la couleur dépendent non de la saison, de la science ou des conventions, mais de l’émotion et de l’expression libre du peintre.
Pour Derain la peinture est l’expression superlative de la vie.
Il s’affranchit de l’harmonie et joue sur les déséquilibres des tons.
Le but de sa peinture est de trouver les moyens d’exprimer l’intensité du réel et de frapper l’œil du spectateur.
La façon dont les couleurs interagissent sur la toile est plus importante que leur réalité physique. Il en résulte une impression de spontanéité et un choc esthétique.
Les couleurs sont le véritable sujet du tableau.
Dans ce tableau Derain donne son impression du sud de la France.
Ce paysage irradiant de chaleur et baigné d’ombres profondes, évoque par ses couleurs violentes, la vie paysanne et son labeur.
Derain exprime ses sensations personnelles et sollicite notre ressentiment.
Derain sépare la couleur de sa référence à l’objet pour accentuer l’expression. Il rejette le naturalisme et propose une nouvelle vision de la réalité. Il transforme notre vision du monde.
À chacun d’interpréter l’esthétisme du tableau, d’accrocher ses souvenirs d’été à ce paysage et de profiter de la mise en scène picturale qui donne un choc émotif en donnant aux couleurs la tonalité de l’émotion. À nous de donner un sens au tableau, à nous de regarder et d’adapter notre propre subjectivité, de laisser le paysage parler à nos sens.
II- Derain influencé et influenceur
C’est un peintre très cultivé et un précurseur tout au long de sa vie artistique.
Après l’Impressionnisme et le Pointillisme viendra le Fauvisme puis le Cubisme, et enfin le Réalisme « magique ».
Derain est un peintre aux multiples facettes.
Ses tableaux sont pleins de références.
À chaque période de son œuvre, Derain recherche et invente un style.
Derain confiait « le Louvre était mon obsession » au Louvre il copie Delacroix, Rubens, l’art égyptien aussi bien que Poussin.
Il considère que la culture est vaste et il s’applique à l’examiner.
Ses œuvres de jeunesse sont de la veine réaliste. C’est la période de Chatou.
Il partage le goût de l’illustration de Toulouse-Lautrec et l’atmosphère réaliste de son ami Vlaminck avec qui il peint sur le motif.
Il regarde les œuvres impressionnistes inscrites dans le paysage français, particulièrement celles de Monet.
Dès le début il s’intéresse à la photographie. On remarque l’influence de la photographie dans les cadrages de ses compositions.
Puis commencent ses séjours d’étés dans le sud de la France.
Il est invité chez Matisse.
Ses premiers tableaux s’essayent au pointillisme. Seurat n’est pas loin.
Bateaux dans le port de Collioure -1905.
Puis viennent les couleurs jaillissantes, irréalistes et chargées d’émotion.
Le penchant de Derain pour les nuances, son impétuosité et sa persévérance en font un peintre de premier ordre du fauvisme.
Le fauvisme est pour Derain un mouvement libérateur.
Derain –avec sa palette fulgurante révèle le sens des couleurs à Matisse.
Matisse est son aîné. Derain l’entraîne vers la couleur.
Derain s’intéresse à l’art africain et le collectionne. C’est à Derain, dès 1902, que les peintres doivent la découverte des arts africain et océanien.
Derain écrit à Matisse à ce sujet de Londres « il y a dans les primitifs une différence complète entre l’esprit de la chose qui est grandiose par la couleur et les lignes et la situation apparemment objective ».
Il sculpte Femme nue tête penchée en 1906.
Derain a besoin du volume. Il a besoin que l’œuvre ait le poids du réel.
Il dit de l’art africain que ce sont les volumes qui sont générateurs de lumière.
En 1910, 1911 il se tourne vers les cubistes.
Derain est influencé par Cézanne. Vue de Collioure (Collioure, le village et la mer) –1905. Vue de Cagne –1910 ou Les baigneuses -1908
Son cubisme Cézanien engage un réalisme particulier.
Derain fait une jonction entre la stylisation issue d’une forme assez sage du cubisme et un regard sur les primitifs italiens et français.
Derain s’oriente vers une relecture d’une tradition primitive occidentale et invente une forme de réalisme très archaïsant.
La Danse -1906 rappelle Bonheur de vivre -1905-06 de Matisse qui l’inspire pour ses figures féminines sinueuses
Apollinaire est celui qui comprend le mieux le réalisme de Derain et y décèle autre chose qu’une volonté de coller au motif.
Derain révèle le sens des formes à Picasso. Au moment où Derain travaille sur Les Baigneuses avec à l’esprit Les grandes Baigneuses de Cézanne, Picasso travaille sur les Demoiselles d’Avignon.
Derain incite Picasso à utiliser la photographie.
Derain s’éloigne du cubisme mais ne rompt pas avec Picasso.
En 1912 Derain peint des tableaux religieux, très hispanisants, c’est le retour à Greco et aussi aux primitifs. Il a la volonté de retrouver l’intensité de l’art ancien comme chez Gauguin.
On reconnait dans le portrait de 1914 : Chevalier X une stylisation byzantine.
Jusqu’à la guerre, ses tableaux ont une forme réaliste néo-archaïque très poétique ;
un autre peintre est sur la même voie c’est Giorgio De Chirico.
Après la guerre, à partir des années 20, l’influence de l’art antique prend le dessus, dans les années 30 sa palette change, ses couleurs s’assombrissent.
Conclusion
Derain peint, dessine, grave, sculpte et fait de la céramique.
Son œuvre est très diversifiée.
Contemporain de Matisse, Cézanne et Picasso, il s’investit à leur cotés à un moment marqué par un changement radical avec l’art pictural du XIXe.
Tout au long de sa carrière le fil conducteur est sa volonté de dire le réel et de l’intensifier plutôt que de le représenter.
Les Fauves furent parfois considérés comme les précurseurs des expressionnistes allemands par leur palette éclatante, voire violente, et leur touche franche et énergique. Ils s’inspirèrent, en outre, des mêmes sources datant de la fin du XIXe, notamment l’œuvre de Paul Gauguin et de Vincent Van Gogh.
Le « trouble moderne » de Derain, son désir d’authenticité psychologique, contre les illusions du réalisme visuel, allait aussi devenir une préoccupation majeure des surréalistes.