La route de Menin -1818-19 Paul Nash

Paul Nash (1889-1946)

 

La route de Menin

1818-19

Huile sur toile

Dim 182,8 x 317,5 cm

Conservé à l’Imperial War Museum à Londres

 

Le peintre

Nash s’est intéressé à la peinture tard. IL a intégré la Slade School of Art de Londres en 1910, à l’âge de vingt et un ans.
Lors de la déclaration de guerre, il avait participé à seulement deux expositions en 1912 et 1914.
Nash s’engage dans l’armée britannique en septembre 1914. Il reste stationné à Londres durant deux ans et demi. Nash cesse de peindre durant ses premières semaines d’entraînement dans le 2e bataillon du régiment de réserve des Artist’s Rifles. Sa période d’entraînement et de préparation au combat se passe à Londres et non dans les tranchées. Il rejoint le front comme soldat au printemps 1917. Nash ne se sent pas concerné par la guerre en tant que peintre.
Il peindra des œuvres relatives au conflit à partir du printemps 1917.

 

Le tableau

C’est une commande du Comité des monuments commémoratifs de la guerre britannique.

Nash devait peindre une scène de champ de bataille pour un projet national, la Salle du souvenir qui, finalement n’a jamais été construite.

Le tableau est considéré comme l’une des représentations les plus emblématiques de la Première Guerre mondiale.
Il est conservé au musée impérial de la guerre à Londres.

C’est une immense toile de 5,6 m2.

Nash a représenté une section du saillant d’Ypres, qui avait été dévastée pendant la bataille de la crête du chemin Menin.
Ypres est une ville belge de la province de Flandre occidentale.

Le peintre avait l’intention d’appeler le tableau Un champ de bataille de Flandre mais, il lui a préféré La route de Menin.

Nash connaissait la région depuis le printemps 1917, moment où il a servi dans le Corps expéditionnaire britannique. Il arrive au Havre en février 1917, puis à Rouen un ou deux jours plus tard. Il rejoint le saillant d’Ypres au début du mois de mars et y vivra la vie du front en ligne de réserve sur ce lieu qui compte, pour l’armée britannique parmi les plus meurtriers.

Sur place, Nash ressent très vite le besoin de peindre. Il réalise des dessins à l’aquarelle. Ce sont des paysages du front d’Ypres croqués sur le motif.

Nash  revient sur la zone de guerre à l’automne 1917 en tant qu’artiste de guerre officiel. Il dessine une cinquantaine d’esquisses du front.

 

Composition

Le tableau représente un paysage de cratères et de tranchées d’obus inondés, planté de souches d’arbres calcinées qui se dressent vers le ciel comme autant de fusils. Le ciel est chargé de panaches de fumées, traversé par d’épais rayons de soleil qui découpent la toile et diffusent une lumière apocalyptique.
Deux soldats au centre de l’image se fraient un chemin.

C’est une composition maîtrisée,
Formée par un paysage découpé en trois bandes :

Le premier plan est un cratère d’obus où les débris flottent dans l’eau stagnante. Le chemin est bloqué par une planche.
Au second plan, au centre de la toile, des trous d’obus  parsèment  la route que les ombres des souches balisent.
Au troisième plan, des arbres calcinés, le champ de bataille s’étend jusqu’à l’horizon surmonté d’un ciel apocalyptique.
À droite de la toile c’est un bois d’arbres rabougris qui délimitent l’horizon ;
À gauche de la toile, sept ruisseaux sinueux conduisent le regard jusqu’à l’horizon.

La taille des arbres et des figures qui diminue au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la toile, crée la profondeur du paysage.

La palette de couleur rappelle les tapisseries flamandes et fait de ce paysage un paysage fantasmagorique.

 

Analyse

Si, avant 1914, les artistes de l’avant-garde s’efforcèrent de transmettre une vision forte et optimiste de la vie et du progrès, celle-ci laissa la place durant les cinq années qui suivirent à la barbarie, au chaos et à la destruction.

Nash est un artiste devenu témoin puis acteur de la première guerre mondiale

Aujourd’hui, Nash est considéré, en particulier en Angleterre, comme l’un des plus grands artistes de la première guerre mondiale.

Nash perçoit-il les contours et les formes de cette guerre mieux que d’autres.  Comment est-il parvenu à représenter l’infigurable. 

Nash nous transmet les horreurs de la guerre en peignant les ravages infligés aux paysages défigurés par les combats.

Nash sent que ce son expérience de soldat lui servira en tant que peintre.
Cette prise de conscience lui ouvre une carrière de peintre de guerre qui laissera une empreinte dans l’histoire de l’art.

 Il recommence à peindre sur le front en réalisant des dessins à l’aquarelle.

Il représente des lieux typiques du site que tout combattant britannique sur place a connu et pourrait reconnaitre sur ses peintures.
Il peint des aquarelles comme Mont Saint-Éloi ou The Old Front Line, St. Éloi Son dessin doit rendre les impressions qu’il perçoit du front.
Nash travaille la précision, le modelé de la touche et la sobriété de la composition.

Nash ne peint pas l’horreur de la guerre.

Le talent de Nash est d’exprimer l’horreur de la guerre en montrant l’outrage fait à la nature.
C’est au regardant à projeter les combats.  
C’est notre imaginaire qui donne au tableau tout son sens.

Blessé et rapatrié à Londres, à son retour au front, à l’automne, Nash arrive après les derniers assauts les plus meurtriers, l’horreur ne s’est pas produite sous ses yeux. Il l’imagine en observant et restituant la dévastation des paysages qu’il découvre.

Ce qui frappe le plus Nash, c’est la pugnacité de la nature à se regénérer.

L’esprit du peintre s’exprime : « Les fleurs poussent partout ; nous venons de rejoindre les tranchées pour quelque temps et l’endroit où je suis assis en ce moment, dans la ligne de réserve, est juste joyeux. Les pissenlits sur le parapet sont d’un or brillant et tout près, un buisson de lilas fait irruption au milieu de cette floraison […]. Ce qui était le lieu le plus désolé et le plus ruiné il y a deux mois est aujourd’hui d’un vert vivifiant. Les arbres les plus détruits ont même germé n’importe où et, au milieu de tout cela, provenant des profondeurs contusionnées du bois, le chant palpitant d’un rossignol. Quelle ridicule impudence ! Il est difficile de dire ce qui est le plus absurde, la guerre ou la nature ».

Quelques mois plus tard, la troisième bataille d’Ypres, avec toute son absurdité lui démolira le moral.

Il est alors peintre officiel envoyé sur le champ de bataille pour témoigner.
L’ultime offensive le 6 novembre 1917 est pour Nash la révélation de la violence qu’il n’a pu imaginer jusque-là, les pertes sont considérables, le moral affaissé et la nature défigurée.

Il est extrêmement choqué, le paysage verdoyant qu’il a quitté au printemps n’est plus qu’un champ de ruines. Les lieux qu’il a connus sont transfigurés.

Il écrit : « C’est étrange d’être à la fin de l’année et d’imaginer les choses extraordinaires qui pourraient se produire durant la nouvelle. Ce qui m’attend, je me le demande. Une vie plus remplie que jamais, plus d’anxiété, de souffrance, d’excitation, des impressions plus vives que jamais. Ou juste la mort. Je suis des plus excités car je ne peux pas dire que je pressens ceci ou cela, mais j’ai conscience d’un moment assez dramatique : après toutes ces années, vient celle qui compte vraiment, l’aube ».

La plupart des artistes aux armées concevaient leurs travaux au cantonnement, à l’arrière des lignes, ce que Nash a toujours refusé.

Son tableau Une Ferme à Wytschaete est représentatif de son état d’esprit : la terre a tout englouti des restes d’une ferme bombardée. Les couleurs suggèrent les ruines des murs.
La ferme que seul le titre évoque a été rasée par un bombardement mais le regardant la retrouve au bas du tableau, comme un souvenir. Une Ferme à Wytschaete

Nash invite le regardant à réfléchir. Avec Une Ferme à Wytschaete, Nash nous parle du commencement et de la fin au sein de la terre.

Son Combat aérien à Wytschaete est contemplatif

À partir de 1918, Nash peint à l’huile et travaille sur des grands formats.

Le sentier muletier -1918 Nash représente l’horreur des champs de bataille avec une composition aux formes géométriques et en utilisant une palette contrastée de tons grisâtres et jaunes-orangés.

Dans Nous créons un nouveau monde, le ciel rouge sang transcende le paysage.
Nash montre une réalité qui va au-delà de la simple reproduction de paysage.


Le tableau, La route de Menin représente les environs de la route de Menin à Ypres réduits à un champ de ruines.
Au loin une bombe explose.
Nash représente les conséquences du pilonnage.
Au premier plan, l’eau stagnante, les souches d’arbres brûlés et les éclats d’obus reflètent les désastres infligés au paysage.
Les arbres sont méticuleusement disposés, tout comme les débris et les explosions, reléguées à l’arrière-plan.
L’effet de lumière stroboscopique à l’arrière-plan communique une dimension apocalyptique à la scène.
Des soldats, des survivants, se fraient un chemin dans les décombres.
La désolation est contrôlée et les figures sont placées de sorte que le regardant mesure l’étendue du décor, qui est central.

Cet extrait de lettre à sa femme résume bien le tableau étudié : « La pluie déborde sur tout le terrain, la boue puante devient encore plus diablement jaune, les trous d’obus se remplissent d’eau verdâtre, les routes et les pistes sont recouvertes de mucosités et du limon des arbres noirs en train de mourir et les explosions des obus ne cessent jamais. Les hommes se lancent seuls là-dedans, arrachant les souches d’arbre pourrissantes, cassant les passerelles de bois, anéantissant les chevaux et les mules, annihilant, mutilant, rendus fous, ils se plongent dans la tombe, dans cette terre ; une immense tombe où est rejetée cette triste mort. Je ne suis plus un artiste intéressé et curieux, mais un messager qui transmettra aux hommes qui se battent et aux hommes qui veulent que la guerre perdure. Faible et inarticulé est mon message, mais il contient une vérité bien amère qui brûlera leurs âmes funestes ».

Dans La route de Menin la terre est abîmée, mais pas retournée à outrance comme sur ses premières aquarelles de l’année 1917.

Cette toile est une symbiose de tout ce que Nash a vu et ressenti au front depuis le printemps 1917.

Au mois de mai 1918, Nash expose son œuvre de guerre à la Leicester Gallery de Londres. Cette exposition est très bien reçue par la critique et le public.

Nash commente : « Mes expériences de guerre m’ont fait évoluer – certainement du point de vue de la technique. Je pense que le public et la critique ont quasiment découvert mon sens de la couleur, qui était très faible avant la guerre. J’ai acquis une plus grande liberté de traitement, ce qui est largement dû au fait que j’ai réalisé de rapides dessins dans des situations dangereuses et un plus grand sens du rythme. J’ai été secoué ».

Nash prend ses distances avec le réel.

Nash commence a travaillé sur The Menin Road juste après le succès de l’exposition.

 

Conclusion

Nash considère ce tableau comme sa plus belle œuvre

Nash, comme il le souhaitait « naïvement » juste avant de partir, y était et en est revenu vivant. La guerre l’a consacré en tant qu’artiste. Il a su saisir l’opportunité sans égale qu’elle lui a offerte pour s’affirmer comme peintre moderne dans l’Angleterre de ce début de XXe.

Et à la fin de la guerre, Il est aussi l’un des rares à être parvenu à demeurer sur la scène artistique anglaise moderne des années 1920 et 1930.

Durant la seconde guerre mondiale, Paul Nash est aussi le seul peintre de cette génération à s’être fait engager de nouveau comme peintre officiel de son armée. Ses œuvres comptent parmi les plus remarquables de la période et témoignent d’un esprit d’artiste qui a su, en dépit de l’expérience de la première guerre mondiale, se renouveler et questionner son époque.

Nash c’est aussi le triomphe d’un art romantique, intime et imaginatif, après le cataclysme de la Grande Guerre.

Source pour les tableaux et citations :  article : Paul Nash, témoin et acteur de la Grande Guerre, d’Erika Dupont dans Revue du Nord -2014