Rembrandt (1606-1669)
La Ronde de nuit
1642
Huile sur toile
Dim 363 x 437 cm
Conservé à Amsterdam au Rijksmuseum
Le peintre
L’œuvre de Rembrandt fut longtemps définie par sa biographie : une naissance humble d’un père meunier, un premier mariage heureux suivi de tragédies personnelles, des dettes accumulées menant à la banqueroute, puis la mort dans le dénuement.
Une image plus nuancée de sa vie et de sa carrière a été récemment dégagée, en parallèle aux tentatives pour définir précisément son corpus d’œuvres et en écarter celles de ses nombreux élèves et contemporains.
Rembrandt fut admiré de son vivant pour son traitement magistral de la lumière et de la pâte picturale. Bien qu’il refusât de faire le voyage en Italie auquel aspiraient la plupart de ses contemporains, il connaissait les clairs obscurs dramatiques de Caravage par l’intermédiaire des disciples de ce dernier à Amsterdam. Il utilisa cette technique pour intensifier non seulement la profondeur du tableau mais aussi les finesses émotionnelles de la scène représentée, qui constituent sa véritable préoccupation.
Ses expérimentations infatigables, à la fois en matière de technique et de représentation narrative, le distingue de ses contemporains. Il refuse l’idéalisation et représente les femmes avec leurs rides et leurs défauts.
Nu assis –1631 Eau-forte.
Le désir d’expérimenter et la volonté de rester fidèle au monde qui l’entoure le poussèrent à repenser le sujet à chaque toile, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités à la narration picturale.
Le tableau
Une compagnie de la milice civile attend le signal du départ. L’ordre donné par Frans Banning Cocq à son lieutenant, Willem Van Ruytenburch, n’a pas encore été transmis aux autres qui bavardent tout en préparant leurs armes.
La sécurité des villes hollandaises contrastait heureusement avec les coupe-gorges de Paris ou de Londres, au grand émerveillement des voyageurs.
À Amsterdam, des organisations de citoyens, nées au XVe et commandées par des membres de l’élite urbaine, patrouillaient les villes afin d’en assurer la protection. Plusieurs compagnies de garde de nuit furent ainsi créées. Elles jouaient un rôle social important dans leur communauté et se réunissaient dans leurs locaux, souvent décorés avec des portraits et des insignes relatifs à leur histoire et leurs privilèges.
Rembrandt immortalise celle du capitaine Cocq dans la Ronde de nuit.
Cette œuvre a été réalisée à la demande des arquebusiers pour décorer une des salles de leur siège.
L’œuvre faisait partie de six portraits de groupe peints entre 1639 et 1645 et représentant des milices.
Composition
C’est une toile de grandes dimensions.
Sur les côtés du tableau les personnages sont coupés.
Le tableau a été amputé d’une partie au XVIIIe.
Trois plans :
Sur un fond d’architecture (l’arrière-plan) on distingue, accroché au mur, un bouclier sur lequel figurent les noms de 18 hallebardiers de la compagnie des gardes civils (qui occupent le second et le premier plan).
C’est un portrait collectif des gardes civils de la ville d’Amsterdam.
Le peintre les représente en mouvement, sortant de leur bâtiment.
Le tableau représente plus d’une trentaine de personnages.
Il n’y a pas d’axe directeur, les personnages se présentent en désordre.
Au fouillis des obliques qui se croisent et s’entrecroisent dans le groupe, répond l’entremêlement des obliques figuré par les hallebardes et la bannière dressées.
C’est un portait de groupe fait d’attitudes individuelles, où les jeux d’ombre et de lumière unifient les personnages disparates.
Au premier plan, le commandant Cocq est vêtu de noir, la silhouette sombre du capitaine contraste avec celle de son lieutenant vêtu de jaune. L’uniforme incrusté d’or baigne dans un halo de lumière tandis qu’il s’avance d’un pas résolu. Le capitaine fait le geste de mettre en marche la compagnie.
On remarque l’ombre portée de la main du capitaine sur le costume de son lieutenant tandis qu’il lui donne un ordre.
Sur l’extrême droite du tableau figure un tambour. Les jappements du chien et les roulements de tambour, ajoutent à la cacophonie des bruits de cliquetis des mousquets, des claquements des hallebardes et des cris des gardes.
Un tintamarre magistralement mis en scène.
Trois nains sont représentés, ils vont de concert avec l’ambiance : À gauche du tableau, une figure féminine étrangement lumineuse émerge de l’ombre, elle marche en sens inverse de la compagnie, à sa gauche se tient une autre personne de la même taille dont on distingue la chevelure et le vêtement. Cet éclat de lumière donne de la profondeur à la composition. Un soldat nain, casqué, portant une cornemuse, une corne de cérémonie ? court, dans l’autre sens, hors du tableau à l’extrême gauche.
L’éclairage multiple de la composition, lui donne un aspect théâtral.
Rembrandt fait jaillir les formes sous la lumière et ressortir la profondeur des ombres par de légers frottis.
Les tons chauds dominent dans leurs vives intensités.
La surface picturale présente de riches variations, les tâches de piment empâtées et les fins glacis méticuleusement appliqués restituent respectivement la texture de lourdes broderies et la brillance du métal poli et de la soie chatoyante.
Rembrandt transfigure la réalité grâce aux pouvoirs de la lumière qu’il traite en clair-obscur dans ce tableau.
Analyse
Ce tableau démode les portraits de groupe des contemporains de Rembrandt.
Son titre actuel : La Ronde de nuit, a été attribué au XIXe.
Son titre original : Scène peinte de la grande salle des arquebusiers de l’hôtel Doelen, dans laquelle le jeune Heer van Pumerlandt (Banningh Cocq), transmet ses commandements à son lieutenant, Heer van Vlaerderdingen (Willem van Ruytenburgh).
Le tableau commandé devait être accroché dans la salle de banquet nouvellement construite. C’est une commande de prestige, avec une rémunération conséquente. Comme le voulait l’usage, chaque protagoniste payait sa représentation. Chaque hallebardier a donné 100 florins – soit environ 1600€ actuels pour figurer sur ce tableau. 16 gardes civils ont réglé le montant, pour les autres, on ne voit que des morceaux de visage !
Les commanditaires ont dû être surpris par l’œuvre, parce que Rembrandt a placé des personnalités imminentes à l’arrière-plan.
Une compagnie comptait 18 gardes, Rembrandt a ajouté des personnages pour apporter de la vivacité et un sentiment de foule désordonnée à sa représentation.
Il parsème sa toile de détails subtils. Le coup de projecteur sur la naine montre un poulet accroché à sa taille, c’est le symbole de la défaite de l’adversaire. Face à elle, un soldat portant un casque orné de feuille de chêne, c’est le symbole des gardes, appelés Kloveniers (le mousquet se dit kloven en hollandais).
Le nain porte un casque trop grand qui tombe sur ses yeux.
Autre nouveauté, l’illusionnisme de la lance portée par Ruytenburch, dont la pointe semble surgir en raccourci dans l’espace du spectateur et de l’ombre portée de la main de Banning Cocq sur l’habit de Ruytenburch. L’ ombre de la main du capitaine tombant sur le plastron en pleine lumière de son lieutenant, met l’accent sur les trois croix des armes d’Amsterdam visibles sur le revers de la veste du lieutenant, preuve qu’il s’agit bien des gardes Kloveniers.
Deux personnages manquent, ils sont sortis du tableau lorsque celui-ci a été découpé en 1715 pour s’adapter à son nouvel espace d’accrochage à l’hôtel de ville d’Amsterdam entre deux colonnes.
Le tableau déménage au Rijksmuseum en 1887.
L’immédiateté de cette scène était inédite dans les portraits de groupes néerlandais de l’époque, dont les membres sont en général cérémonieusement assis en rangées.
Ce tableau est une réponse à celui de Frans Hals où les participants sont regroupés autour d’une table de banquet. Le tableau de Hals est un portrait de régents d’une association professionnelle, celui de Rembrandt est un portait de gardes civils.
Les peintres donnaient un sens cérémonial aux portraits de groupe en les peignant en rangée et assis.
Les représentations obéissent à des conventions qui leur confèrent un air de famille. Les portraiturés se font représentés de façon à être reconnus -de face ou de trois-quarts. Ils portent des vêtements austères, les hommes gardent leurs chapeaux ou portent des perruques entretenues.
À la différence d’un portrait familial, le portrait de Rembrandt met en scène des individus autonomes les uns des autres, associés dans le corps des gardes civils pour un objectif déterminé. Cette attitude est renforcée par les regards, aucun d’entre eux ne s’adresse au spectateur.
Rembrandt éclate le groupe, et le compose d’individualités, chaque garde campe dans sa propre action. C’est leur objectif qui les unifie.
Rembrandt a reproduit des « types » d’attitudes provenant de son stock de dessins.
Le souvenir de cette œuvre au clair-obscur caravagesque est une très forte émotion. Son titre évoque parfaitement sa singulière atmosphère.
Devant cette toile, j’ai été très impressionnée, magnétisée.
Le tableau est très grand. La lumière, les lumières ferrent l’attention. Je suis de plein pied avec les personnages. Je recule pour voir, j’avance pour voir. Le tableau est sombre. Son accrochage ne le met pas en valeur. Je ne l’aperçois pas de loin au bout d’un dédale d’arcs de cintres -comme La flagellation du Christ de Caravage- 1607, au musée de Capodimonte à Naples ; il n’est pas en pleine lumière comme Les noces de Cana de Véronèse -1563, au Louvre. Il occupe un grand coin du Rijksmuseum, impossible de passer devant sans s’arrêter.
Quelle atmosphère ! quelle ambiance et quels personnages ! voilà ce qui distingue ces tableaux hollandais du XVIIe, Rembrandt représente des gens du peuple, des gardes et tous les représentés payent leur écot.
À Paris dans le même temps, les peintres représentent des figures de la noblesse (scène de genre ou portrait) et sont financés par les commanditaires.
L’organisation des tableaux de groupe et leurs choix iconographiques sont des indices de la prospérité hollandaise et de l’assurance de ses élites marchandes.
En concevant la Ronde de nuit comme un événement particulier de l’histoire de la compagnie Rembrandt associe les conventions du portrait et celles des tableaux d’histoire.
La Ronde de nuit est une synthèse des deux genres qui constituent le fondement de sa carrière.
Conclusion
Rembrandt refusa de se spécialiser et pratiqua tous les genres.
Peintre, dessinateur et graveur, solitaire et indépendant, il est célèbre pour son traitement de la lumière en clair-obscur.
Vers les années 1630, il peint de vivants tableaux d’histoire de grandes dimensions. Judas retournant les trente pièces d’argent –1629
La pièce aux cent florins –1642 Eau-forte et burin, témoigne du talent de Rembrandt pour créer des thèmes originaux à partir de textes traditionnels, avec une technique de gravure très personnelle (traits légers et ombres profondes).
Ses portraits subjuguent ses contemporains par leur étonnante ressemblance. Rembrandt accentue l’impression de naturel en noyant les détails dans l’ombre et en mettant en valeur le visage, et les attributs significatifs. Jeune-femme à la boucle d’oreille -1657, ses Autoportraits
Rembrandt attire de nombreux apprentis et des collaborateurs qui copient ses œuvres et le secondent dans l’exécution de ses tableaux.
Rembrandt est l’un des plus grands peintres de l’école hollandaise du XVIIe et une grande figure du baroque.