la promenade en barque – 1894 Mary Cassatt


Mary Cassatt (1844-1926)


La promenade en barque

 1894

Huile sur toile

Dim 90 x 120 cm

Conservé à la National Gallery of Art de Washington D.C.

 

La peintre

Mary Cassatt est issue d’une famille fortunée. Ce sont des émigrés français arrivés aux États-Unis au XVIIe. Mary parle couramment le français.
En 1851, les Cassatt migrent, la France puis l’Allemagne, pour faire connaître à leurs enfants l’éducation et le mode de vie européen. Mary apprend au cours de ce voyage, l’allemand, le dessin et la musique. Elle visite les musées et découvre Ingres, Delacroix et Courbet.
En 1855, à la suite du décès de son frère, les Cassatt retournent en Pennsylvanie où Mary reprend ses cours de dessin.
En 1866, elle revient vivre à Paris avec sa mère. Les femmes n’étant pas admises aux Beaux-Arts, elle étudie avec un maître, Jean-Léon Gérôme, le « pape » de la peinture académique.
La joueuse de mandoline -1868 est accepté au Salon de Paris.
Elle voyage, Turin, Parme, Anvers et Londres.
Elle rencontre Edgar Degas qui l’entraîne à exposer au salon des impressionnistes, en 1879. Elle fréquente Degas, Pissarro et Berthe Morisot.
Elle participera à quatre expositions des impressionnistes.
Mary Cassatt est cataloguée, avec Berthe Morisot et Eva Gonzalès comme une peintre impressionniste de la fin du XIXe.

Mary Cassatt préférait pour définir son style parler « d’indépendance » plutôt que d’impressionnisme.

En 1890, elle visite une exposition sur la gravure japonaise qui va marquer fortement son style.
Mary peint pour le plaisir, sa famille l’entretien.
En 1891 et en 1893, le galeriste Paul Durand-Ruel organise deux expositions à Paris qui lui sont consacrées.
Profondément affectée par les décès dans sa famille (son père en 1891, sa mère en 1895 et son frère en 1911) Mary sombre dans la dépression.
En 1914 à la suite de problèmes de vision elle cesse de peindre.
En 1921 Mary est aveugle. Elle mourra cinq ans plus tard, en France. Elle est enterrée à Mesnil-Théribus, commune du département de l’Oise.

 

Le tableau

Mary Cassatt peint ce tableau à Antibes,  son lieu de villégiature estivale.

Ce tableau demeurera la propriété de Mary Cassatt jusqu’en 1918, date à laquelle Paul Durand-Ruel l’achète.

En 1929, Durand-Ruel le vend au banquier et mécène new-yorkais Chester Dale qui le lèguera à sa mort à la National Gallery de Washington.

La National Gallery considère que cette toile est l’une des plus audacieuse de Mary Cassatt.

 

Composition

C’est une composition asymétrique.

Trois plans échelonnés :
La barque et ses occupants, l’eau et la rive.

L’absence de profondeur donne l’impression que les personnages et la barque ont été découpés et collés sur l’eau.

Une grande diagonale traverse la toile du bord inférieur droit au bord supérieur gauche. Le dos voûté de l’homme fait écho à la voile gonflée par le vent. L’espace dégagé dans l’axe du tableau est occupé par la mère et son enfant.
Les lignes convergent sur l’enfant.
Ce choix de composition est un clin d’œil aux piétas.

Le traitement de la mer dans laquelle se projette la lumière du ciel, absent de la toile est une allusion aux tableaux impressionnistes.
Cassatt représente les flots bleu foncé persillés de blanc et de noir.
Elle utilise une touche rugueuse.

La ligne d’horizon qui délimite le rivage est de même facture.
Sur un fond sombre on devine des bâtisses éparpillées sur la rive opposée qui trace une horizontale traversant la toile.
Cette ligne de force cadre les personnages.

En complète opposition la barque, et les personnages sont traités avec de grands aplats de couleur. Mary Cassatt donne de l’importance aux formes et aux dessins. La barque d’un jaune lumineux s’impose sur l’eau bleu foncé de la mer.

Le motif de la barque et de ses deux figures est aplati par la ligne d’horizon placée très haut sur la toile.
 La perspective est écrasée.
L’emploi du bleu pour l’eau joue le même rôle, la couleur de l’eau au premier plan est identique à celle de l’arrière-plan ce qui a pour effet d’annuler la profondeur.

C’est un arrêt sur image.
Le cadrage projette les personnages sur le regardant qui a la sensation d’être assis au fond de la barque, hors champ.

Assise face au regardant, la femme, une mère portant son enfant dans ses bras, paraît anxieuse. Le roulis de la barque l’incommode. D’apparence, la femme n’a pas l’habitude de naviguer. Le froncement des sourcils de l’enfant et sa position inconfortable, suggèrent qu’il est impatient et n’apprécie pas la balade.
La femme et son enfant sont saisis sur le vif.
Cassatt représente la femme telle qu’elle est, sans idéalisation, sans emphase, son visage est dur.
Elle peint son inquiétude, dans ses yeux, dans la rigidité de sa posture. La mère transmet ses appréhensions à l’enfant qui tente de se dégager et se tient raide lui aussi. Le femme et l’enfant sont vivants, animés.
Cassatt recherche la vérité du moment. Elle peint l’émotion.

L’homme nous tourne le dos. Tout habillé de noir, le pied droit calé sur le banc au milieu du bateau, l’homme est arcbouté et rame avec force. Dans le mouvement sa tête est inclinée vers l’avant, les yeux ancrés dans ceux de l’enfant. Une large ceinture, bleu foncé, lui ceint le dos.
Le morceau de voile, tendu sur la gauche du tableau, indique que le vent est transversal. Le rameur doit fournir une grande énergie pour ne pas dévier de sa trajectoire.
Ce morceau de voile gonflé équilibre la composition et dirige notre regard.

Cassatt ne s’attarde pas sur la robe de la mère, une robe longue, imprimée, ouverte sur un chemisier à jabots, un chapeau agrémenté de rubans.
Cassatt peint une dame de la bourgeoisie en tenue d’après-midi.
L’enfant lui aussi est vêtu avec soin, on remarque ses petits souliers de cuir.
Quant à l’homme, sa tenue nous indique que c’est un marinier.
Il ne se promène pas sur l’eau, il travaille.

La couleur jaune électrique et la touche employée au premier plan -à la fois fluide et rugueuse, posée en de larges aplats, est audacieuse.

Il n’y a pas de demi-ton, la scène est peinte en pleine lumière.
Ce qui a pour effet de rehausser la présence physique de la barque.

 

Analyse

 I-   L’ukiyo-e est un terme japonais signifiant « image du monde flottant ».

Les racines du mouvement artistique l’ukiyo-e remontent à l’époque d’Edo (1603-1868) et à l’urbanisation de la fin du XVIe qui favorise le développement d’une classe de marchands et d’artisans japonais.
Les trois artistes phares de cette époque sont Kiyonaga, Utamaro et Sharaku.
La naissance de l’ukiyo-e et des techniques d’estampes permettant une reproduction sur papier peu coûteuse marque une grande évolution des formes artistiques.
Alors qu’il passe au Japon pour vulgaire, parce qu’il valorise des sujets issus du quotidien et se voit publié massivement grâce à la nouvelle technique d’impression de l’estampe, ce genre connaît à la fin du XIXe un grand succès auprès des occidentaux.
Vers 1853, l’arrivée en grande quantité des estampes japonaises en Europe et aux États-Unis influencent fortement la peinture occidentale.
Les artistes perçoivent d’une toute autre manière les possibilités expressives de la couleur, de la ligne et de la composition.
La première exposition occidentale d’estampes japonaises eut lieu en 1867 lors de l’Exposition Universelle à Paris.
L’enthousiasme pour la culture et l’art japonais fut tel qu’en 1872 l’écrivain et critique Philippe Burty inventa le terme « japonisme » pour le désigner.
La peinture européenne incorpora directement des motifs et des objets, tels que les éventails, costumes, céramiques et paravents.

D’un point de vue général, le japonisme offrit aux artistes une alternative à la représentation illusionniste de la réalité qui prévalait depuis longtemps dans l’art occidental.
L’attrait pour l’art japonais reposait en partie sur son extraordinaire variété.

Les réalistes et les impressionnistes trouvaient dans les estampes ukiyo-e la confirmation de leur propre intérêt pour la nature et la vie moderne et, l’écart japonais des conventions occidentales les encouragea à renouveler leurs sujets naturels ou à développer un nouveau langage pictural.
Aux États-Unis son impact resta confiné aux arts décoratifs jusqu’à la toute fin du siècle, lorsque les estampes furent largement diffusées.


II-  La promenade en barque
exprime l’évolution du style de Mary Cassatt

A la fin du XIXe, l’impressionnisme n’est plus le seul courant novateur. Apparaissent des mouvements picturaux comme le symbolisme et le nabisme qui reviennent au primat du dessein et renoncent au réalisme pour privilégier l’expression des croyances et des émotions.
Gauguin et Van Gogh utilisent la couleur avec une grande liberté.

Ces influences émergent dans l’évolution du style de Mary Cassatt.
Elle évolue vers un style où le dessin apparent et les couleurs posées en grands aplats se substitue à ses toiles floutées impressionnistes.
La promenade en barque est représentative de cette évolution.

 Ce tableau est imprégné de l’influence des estampes ukiyo-e :
– La peintre trace un horizon extrêmement haut dans sa toile.
– Ses modelés sont minimalistes.
– Son traitement fragmenté de la barque qui émerge du bord inférieur du tableau.
– L’équilibre asymétrique de sa composition
– Les grands aplats de couleurs
– Le sens aigu du dessin

Le dessin franc et linéaire de Mary Cassatt et ses grands aplats de couleur font de cette toile autant une exploration des possibilités formelles offertes par les estampes japonaises qu’un aperçu des loisirs de la classe moyenne.


III-  
Le sujet de prédilection de Mary Cassatt sont les scènes d’intimité maternelle, qu’elle reproduit pendant toute sa vie.

La peinture de Cassatt est une peinture de figures et non de paysages.

Femme peintre, Mary Cassatt peint presque uniquement des femmes et des enfants.

Les personnages sont les éléments essentiels de ce tableau

Mary Cassatt est intemporelle lorsqu’elle s’intéresse aux liens de l’affection maternelle.
Elle reprend l’iconographie des Vierges à l’Enfant en les vidant de leur contenu religieux, en les réactualisant.
Elle célèbre le rôle de la mère.

A son époque les critique louaient sa sensibilité et l’acuité de son regard.

Dans ce tableau, la femme fait face à l’homme, elle serre un enfant dans ses bras et son air est inquiet.
Elle est passive et, dans l’instant représenté, elle n’a pas le contrôle de sa destinée.
C’est le XIXe siècle, Mary Cassatt évoque les restrictions de la société envers les femmes.

Mary Cassatt donne une grande force esthétique et narrative à une scène banale de la vie quotidienne.

 

Conclusion

Le nouvel intérêt pour l’histoire des femmes artistes en Europe qui depuis plusieurs années a eu pour effet de multiplier les expositions a profité à Mary Cassatt.

Aux États-Unis, elle est « The American impressionnist », une fierté picturale nationale.

C’est une artiste majeure du XIXe français.

Cassatt a su s’imposer dans la scène artistique parisienne de la fin du XIXe.
Militante du droit des femmes, jamais mariée, elle incarna, à travers sa vie d’artiste couronnée de succès, la femme indépendante et libre de la fin du XIXe.

Les musées américains doivent beaucoup à Mary Cassatt, c’est grâce à elle que certaines des plus belles toiles de Manet, Degas, Monet, Renoir et Cézanne s’y trouvent.