Pierre -Auguste Renoir (1841-1919)
La promenade
Vers 1906
Huile sur toile
Dim 165 x 129 cm
Conservé à Philadelphie, dans la Fondation Barnes.
Le peintre
Né à Limoges, Renoir est issu d’un milieu modeste. En 1844, la famille emménage à Paris. Dès l’âge de 13 ans, Renoir devient apprenti dans un atelier de peinture sur porcelaine, puis dans un atelier de peinture sur éventail, store et panneau de bois.
En 1862, Renoir intègre l’école des Beaux-Arts de Paris. Dans cette école il rencontre Frédéric Bazille, Alfred Sisley et Claude Monet. Il les rejoint en forêt de Fontainebleau pour peindre en extérieur. Les jeunes artistes ne se reconnaissent plus dans l’ art dispensé à l’école et forment un nouveau mouvement artistique qualifié d’impressionnisme. Avec eux, des toiles ayant pour sujet les scènes de la vie quotidienne ou des paysages voient le jour. Ces tableaux sont un témoignage d’un quotidien face à la modernité apportée par la révolution industrielle.
Le Bal du moulin de la Galette -1876 et le Déjeuner des canotiers -1880 figurent parmi les tableaux impressionnistes de Renoir les plus célèbres.
Le tableau
Renoir a peint plusieurs tableaux sur le thème de la promenade à diverses étapes de l’évolution de son style.
En 1870, dans sa période impressionniste, Renoir peint le tableau qui est conservé au Getty Museum à Los Angeles. Ce tableau allie la touche virtuose de Fragonard et la douce tristesse de Watteau.
En 1874-76, il peint une autre promenade, une maman avec deux fillettes, aujourd’hui dans la Frick Collection.
Et, en 1906, le tableau étudié , Renoir est sorti de l’impressionnisme, son style « cotonneux » emprunte à Fragonard.
Composition
Pas de ciel, pas de soleil, le cadrage est très serré autour des personnages.
Renoir peint un instantané photographique.
Il s’intéresse à l’éclat du soleil et ses incidences sur les visages et les étoffes en plein air.
Un moment volé, un instant de lumière déjà passé.
Le cadre, un sous-bois, planté d’arbres que le peintre a coupés, pour se rapprocher des personnages.
Un tronc à droite, quatre à gauche, ces verticales donnent un coup de fouet à la composition.
Elles rythment la marche et marquent la profondeur du sous-bois.
Renoir peint le rapport entre la verdure et le soleil et les transformations que subissent sous cet effet, les deux personnages.
La lumière glisse sur l’herbe et éclaire les petites fleurs.
Celles que tient la petite fille dans sa main droite sont dans l’ombre et racontent que l’enfant s’est arrêté pour les cueillir.
La gamme de couleurs est chaude, elle contient des roses et des ocres rouges pour les peaux. La couleur froide du corsage met en valeur la silhouette du personnage.
Les touches de couleur sont éclatantes. Elles sont frénétiques, vibrantes.
Renoir peint la lumière au moyen des couleurs perçues pour modeler les formes.
Il emploie pour les carnations une touche lisse et fondue.
Les personnages prennent une densité vibrante qui restitue le sentiment de vie.
Sa touche est rapide, large, ses contrastes de tons et de couleurs sont hardis.
Renoir peint ce qu’il voit sans souci d’ordonner la scène.
C’est son expérience d’effets visuels ou d’impressions qui changent d’un instant à l’autre.
Analyse
P-A Renoir : « Vers 1883, il s’est fait comme une cassure dans mon œuvre. J’étais allé jusqu’au bout de l’impressionnisme et j’arrivais à cette constatation que je ne savais ni peindre ni dessiner. En un mot, j’étais dans une impasse ».
Renoir est à la recherche d’un art pictural absolu, il passe par une période dite « ingresque » puis par un période « nacrée » dont Les jeunes filles au piano -1892. Cette toile est la première achetée par l’État. Cette reconnaissance officielle consacre l’artiste aux yeux de tous.
I- Renoir travaille avec sa sensibilité et tout son cœur.
À peindre en extérieur, Renoir est arrivé à voir naturellement et à peindre naïvement, comme il voit.
La décomposition de la lumière dans l’humidité du sous-bois y rend l’atmosphère nacrée.
Renoir ne laisse rien au hasard, il raisonne tout.
Le regardeur pénètre dans ce sous-bois d’une douceur infinie, d’une clarté lumineuse, d’une harmonie où les vivacités s’évaporent dans une atmosphère enivrée des grâces des personnages.
Renoir surprend les promeneuses et peint le moment qui s’enfuit.
Il saisit le mouvement des promeneuses en même temps que leur forme et leur couleur.
Renoir est un impressionniste par sa faculté à percevoir la transparence de l’atmosphère.
Les couleurs se déploient dans une gamme de demi-teintes délicates et nobles.
Renoir peint en fin d’après-midi, à l’heure où la lumière s’apaise.
Renoir nous montre les finesses de l’atmosphère et les dorures du soleil.
II- De 1890 à 1900, Renoir change de style.
Ce n’est plus du pur impressionnisme ni du style de la période ingresque, mais un mélange des deux. Il reprend la fluidité des traits. La première œuvre de cette période est Les jeunes filles au piano -1892 (une version est conservée à Orsay).
Cette décennie celle de la maturité et aussi celle de la consécration.
Ses tableaux se vendent, la critique commence à apprécier son style et les milieux officiels le reconnaissent et achètent des tableaux.
Ses scènes sont de plus en plus chatoyantes et Renoir utilise l’huile tout en transparence.
Ses corps féminins ronds et sensuels resplendissent de vie.
Renoir revendique son ascendance, il déclare : « je suis un du XVIIIe. Je considère avec modestie que mon art descend non seulement d’un peintre comme Watteau, d’un Fragonard et d’un Hubert Robert, mais encore que je sois un des leurs ».
Renoir a évolué tout au long de sa carrière jalonnée de plusieurs périodes.
Octave Mirbeau déclarait : « de même que Watteau a créé la grâce de la femme au XVIIIe, de même Renoir a créé la grâce de la femme au XIXe ».
Renoir est rarement mélancolique.
Son art joyeux, exaltant le plaisir de peindre, il le doit à Boucher et à Fragonard.
Renoir s’inscrit tout autant dans la tradition que dans le temps présent.
Ce tableau appartient à cette période, la dernière, alors que Titien et Rubens sont devenus les références ultimes de Renoir et le nu le centre de ses préoccupations.
Renoir dans ce tableau montre une liberté de touche poussée à son paroxysme.
Son aisance technique n’hésite pas à renouveler encore et encore sa manière.
Renoir actualise son tableau en profitant des plaisirs de la promenade, ses personnages sont vêtus dans la mode raffinée de leur temps. Ils inspirent au peintre une toile légère et enjouée.
Renoir explore dans cette composition, sans trame narrative particulière, les joies et nouveaux loisirs populaire de son époque.
Peintre de la figure et de la femme en particulier, Renoir a puisé dans l’art de Boucher et de ses contemporains un penchant pour la délicatesse, les couleurs tendres et les ombres adoucies.
Ce tableau brille de son éclat moelleux, de son voluptueux écrasement de palette.
Quand Renoir ne peint pas des fleurs,
Le Senne -1904 : « ce sont ces tableaux qui sont « d‘un charme floral ».
Renoir est un « petit-fils de Boucher épris au XXe des grâces attardées du XVIIIe ».
À partir de 1900 l’influence de Rubens ou de Titien éclipse celle du XVIIIe, mais les critiques ne s’en font pas l’écho.
J. Monod -1904 : « Les œuvres de Renoir, même les plus connues, restent neuves par leur perpétuelle jeunesse. Comme un adolescent merveilleux, il porte avec lui son printemps ».
III- Chez Renoir la nature est joueuse et tranquille.
Pour Renoir la peinture est décorative. Le peintre est animé par la volonté de s’inscrire dans une tradition de la peinture française. Il souhaite être un maillon de cette chaîne en apportant sa modernité et ses inventions.
« Renoir est un chercheur autour de la forme et de la couleur, révélée par la lumière. Il se préoccupe de la matérialité de la peinture : la qualité des pigments et leurs interactions entre eux, leur vieillissement.
Il se préoccupe aussi de ce que doit révéler la peinture à celui qui prend le temps de la regarder : du bonheur »
Absorbées dans leur lecture ou leurs pensées, les jeunes femmes de Renoir sont des descendantes des effigies mutines et rêveuses de Madame de Pompadour par Boucher ou Marie-Antoinette par Élisabeth Vigée-Lebrun.
Extraits du 7ème entretien de la série Mémorables –enregistrée en 1858, Jean Renoir :
Renoir refusait l’emploi du mot artiste. Il se voyait comme « un ouvrier de la peinture ».
« Lorsque l’on regarde les œuvres des anciens, dit-il, on n’a vraiment pas à faire les malins. Quels ouvriers admirables, avant, étaient ces gens-là. Tout est la. La peinture n’est pas de la rêvasserie. C’est d’abord un métier manuel et il faut le faire en bon ouvrier. Mais on a tout chambardé. Les peintres se croient vraiment des êtres extraordinaires, ils s’imaginent qu’en mettant du bleu à la place du noir ils vont changer la face du monde ».
Conclusion
Renoir est surnommé le « peintre du bonheur ».
Figure majeure de l’impressionnisme, bien qu’il n’ait été impressionniste qu’un temps (au-delà des années 1880, Renoir s’éloigne de l’impressionnisme). « Ce qui me semble important dans notre mouvement, c’est que nous avons libéré la peinture du sujet » dira Renoir à son fils Jean -extrait de Pierre-Auguste Renoir, Mon père de Jean Renoir.
Pierre-Auguste Renoir est aujourd’hui l’un des plus célèbres artistes français, jouissant d’une renommée internationale.
De tous les impressionnistes c’est lui qui a peint avec le plus de constance les évènements et les plaisirs des gens ordinaires.
En 1904, Renoir connaît un véritable triomphe populaire et critique lors de la rétrospective qui lui est consacrée au Salon d’automne. Le peintre poursuit ses envois les années suivantes avec quelques toiles caractéristiques de sa dernière manière et devient président d’honneur du Salon en 1906.
Renoir est un maître séduisant et voluptueux, à la fois moderne et traditionnel dans son lien avec le XVIIIe. On l’associe fréquemment avec Paul Cezanne, autre figure tutélaire du Salon d’automne et de l’art moderne.
Ces tableaux manifestent sa volonté de saisir la vie, les instants de bonheur et de sérénité.
Son style a évolué au cours d’une carrière longue de plus d’une demi-siècle et riche d’environ 7000 œuvres.
Dans les dernières années de sa vie, Renoir se met à la sculpture.
Les impressionnistes eurent du mal à être admis, non seulement par le public, mais aussi dans les milieux officiels.
S’il existe un musée de l’impressionnisme, si les œuvres des impressionnistes se trouvent dans les musées de province, c’est seulement grâce à des legs. Jamais une commande officielle ne fut faite aux impressionnistes !
Sources :
Dans Revue de l’Art -2024 article de Anna Zsófia Kovács : P.A Renoir et B. Morisot : Deux peintres impressionnistes face à l’art du XVII
Dans la revue Persée -2011 article de P. Perrin : Un éblouissement, Renoir au Salon d’automne (1904-1912)
Musée Fournaise -Chatou- Renoir impressionniste, l’expérience immersive -Livret du parcours spectacle