La mise au tombeau – 1603-1604 -Caravage

Caravage -Michelangelo Merisi (1571-1610)

 

La mise au tombeau

1603-1604
Huile sur toile
Dim 300 x 203 cm

Conservé à la pinacothèque du Vatican

 

Le peintre

Au début du XVIIe, Caravage lance avec Annibal Carrache un nouveau style de peinture qui s’oppose au maniérisme tardif de la fin du XVIe par son caractère plus réaliste, plus dramatique et plus lisible.

En éclairant fortement ses personnages et en les isolant de leur contexte, Caravage leur confère une dignité et une émotion immenses. Illuminés et placés tout près du plan pictural, ils semblent surgir de la toile et se projeter dans l’espace du spectateur.

Au lieu d’étudier la sculpture antique, l’anatomie et le modèle vivant, Caravage déguise des amis, des assistants et des courtisanes et les peint directement, sans aucun dessin préparatoire, en gravant à l’aide d’un stylet les contours de la composition sur la surface de la toile.

Les répercussions de cette démarche novatrice sont très vastes.
Pour les artistes entourant Caravage, cela signifiait non seulement l’affranchissement des formations comme celles établies à Bologne par la famille Carrache, que l’on appelait « académiques », mais aussi une incitation à explorer de nouveaux sujets ancrés dans la vie quotidienne.
De nombreux peintres nord-européens, italiens et même espagnols appelés « caravagistes » sont fortement influencés dont le néerlandais Gerrit van Honthorst, le français Valentin de Boulogne, l’italien Bartolomeo Manfredi et l’espagnol José de Ribera. De retour dans leur pays d’origine ils continuent à peindre dans le même style, assurant sa diffusion à travers l’Europe.

 

L’histoire

Comme le rapportent les évangiles de : Matthieu 27, 57-60 – Marc 15, 42-46 – Luc 23, 50_53 et Jean 19, 38-42 :

À l’heure cruelle de la crucifixion, Joseph d’Arimathie n’hésite pas à faire face et il demande à Pilate le corps de Jésus. Le préfet lui ayant donné l’autorisation, il détache le crucifié, l’enveloppe dans un drap propre, aidé par Nicodème, dépose Jésus dans son tombeau. Après l’avoir fermé avec une grande pierre tous deux s’en vont.

 

Le tableau

La mise au tombeau est une toile monumentale de Caravage.

Le retable était destiné à l’autel de Chiesa Nuova à Rome, qui est consacré à la Pietà. Il y sera accroché jusqu’en 1797, date à laquelle il a été emporté par Bonaparte au titre de prise de guerre pour être exposé au Louvre. Il est revenu à Rome après la seconde abdication de Napoléon 1er, pour être désormais installé à la Pinacothèque du Vatican.

Dans les représentations traditionnelles, les disciples du Christ transportent son corps, descendu de la croix, vers le sépulcre.
Caravage choisit d’éclairer fortement le corps du Christ et de le montrer à l’instant où il est déposé dans son tombeau.
Ses bras ballants et ses pieds s’avancent vers nous, comme si le spectateur était placé en contre-bas, dans la tombe.
Nicomède, l’homme aux traits creusés et aux pieds nus, qui entoure de ses bras les jambes du Christ, se tourne et regarde à l’extérieur du tableau.
Les autres membres du cortège, qui expriment leur douleur par des gestes éloquents, se serrent sur une grande dalle de pierre qui surgit dans l’espace du spectateur, et dont le coin transperce le plan pictural.

 

Composition

Caravage organise sa composition autour d’une grande diagonale (du coin inférieur droit au coin supérieur gauche du tableau). Il attire ainsi le regard du spectateur sur le corps du Christ.

Un seul plan.

La composition se focalise sur un petit groupe de personnages. Si le tableau est parfaitement cadré, la pénombre enveloppant les figures centrales n’a pas de limites. L’espace est défini par les corps.
La lumière colle au corps.

C’est la marque de fabrique de Caravage, instaurer de puissants contrastes lumineux.
La lumière tombe sur le corps du Christ et inonde le devant de la scène.
Fortement éclairé et se détachant de l’ombre, Caravage offre au regard du spectateur un beau corps traité avec un réalisme revisité, seule la blessure en partie dissimulée par la main de Joseph d’Arimathie est représentée.

Si la lumière tient le premier rôle dans cette composition, le cadrage n’en n’est pas moins important. Le spectateur est dans la fausse, il voit les personnages agglutinés sur la dalle en gros plan et en contre-plongée.

Les personnages :
À l’extrême gauche, Joseph d’Arimathie tient le corps de Jésus en passant sa main sous son épaule.
Dans son dos, Marie portant un voile bleu encadrant son visage penché, le regard ferré sur le corps sans vie de son fils et la main droite tendue dans un geste de bénédiction.
À ses côtés, Marie-Madeleine la tête également penchée, une main devant son visage, essuie pudiquement les larmes coulant de ses yeux.
Dans son dos, les bras et les yeux levés vers le ciel, les mains et la bouche ouvertes, Marie de Cléophas se lamente.
À droite, au-devant de la scène, Nicodème, courbé au-dessus du caveau, soutient les jambes de Jésus. Il ne regarde pas le Christ. Son regard est tourné vers la fausse.

La disposition des personnages les uns par rapport aux autres, leurs regards, leurs gestes animent la composition et lui donnent sa profondeur et son volume.

La lumière sculpte les visages, les rend expressifs.
Elle anime la composition, éclaire un coté de la pierre tombale.

Seul élément du décor, la dalle funéraire est une pierre angulaire qui en se projetant vers le spectateur et en le dominant, donne le ton de la scène.

La plante verte dans le coin inférieur gauche du tableau illustre la résurrection.

La palette chromatique travaillée par la lumière est le langage du tableau.
Elle est réduite.
La touche de bleu du voile de Marie bordé de blanc nous permet de la reconnaître.
Le blanc du linceul irradie la lumière qui tombe sur le corps du Christ.
Le drapé pourpre du manteau désigne une personne de qualité, joseph d’Arimathie.
Selon les règles de l’art en utilisant le rouge, ton plus vigoureux, Caravage ramène Joseph d’Arimathie sur le devant de la scène, alors qu’il est le personnage le plus éloigné dans l’espace.
Dans le même temps, la tâche rouge s’élève au-dessus du corps de Jésus et rappelle la crucifixion.
L’ocre du manteau de Nicomède s’harmonise avec les robes de Marie-Madeleine et de Marie de Cléophas.

La sobriété de la palette chromatique met en valeur le sujet du tableau : le corps magnifique et livide du Christ sans vie. 

 

Analyse

Caravage se tourne vers une représentation réaliste tant au niveau du fond que de la forme et développe un langage de clair-obscur.

Léonard de Vinci en travaillant la clarté et l’ombre, les maniéristes en traitant les aspects fantastiques de la lumière ont ouvert la voie.

Caravage s’éloigne du baroque et du maniérisme et se rapproche du modèle classique de Raphaël et de Michel-Ange.

La lumière de Caravage sculpte les couleurs et définit une gamme de contrastes lumineux. . Sa lumière est théâtrale, modelée par un clair-obscur.

La mise au tombeau comparé au Le Repos pendant la fuite en Égypte illustre cette recherche et le détachement du style baroque et de l’influence de la culture vénitienne.

Caravage peint les corps de ses modèles beaux ou laids, les sentiments sont ceux de la douleur et de la violence, on pense au grand tableau accroché au musée de Capodimonte à Naples La flagellation du Christ -1607

Dans La mise au tombeau, les attitudes des personnages courbés, baissés et serrés, traduisent l’humilité et la soumission.

Avec son refus de peindre l’individu humain comme sublime et héroïque, les peintures d’histoire de Caravage se détachent de l’art de la Renaissance.

Caravage nous interroge sur un nouveau concept de beauté qui sera repris dans toute l’Europe.

Dans La mise au tombeau Caravage fait le choix d’une lumière crue, de couleurs tranchantes et d’une composition en saillie. C’est le regard du peintre sur son sujet.

« Le clair-obscur dépend absolument de l’imagination du peintre » analyse Roger de Piles.
Il écrit aussi « le clair-obscur est l’art de distribuer avantageusement les lumières et les ombres et sur les objets particuliers et dans le général du tableau ».

Le bras inerte du Christ désigne le sépulcre et souligne l’espace dramatique.

Caravage représente l’impuissance devant la mort.
Les personnages sont unis entre eux par une attitude de souffrance.
Marie-Madeleine est éperdue de douleur pour celui qui lui a pardonné toutes ses fautes et rendu sa dignité de femme.
Nicodème serre le Christ contre lui donnant le sentiment de vouloir le retenir plutôt que de le descendre. C’est l’expression du désespoir qui ne sait comment s’exprimer.
Les blessures de la flagellation, les marques d’épines n’apparaissent pas, Caravage gomme le pathétique au profit d’une tension plus grande générée par la composition : Ni l’étendue dans le plan vertical, ni la position dans la profondeur ne sont réglées, cette charge repose sur les figures

La lumière haute dans ce cadrage serré produit des ombres fortes qui traduisent l’effroi de la mort et la profondeur du tombeau dans lequel les personnages viennent ensevelir le corps nu de celui qu’ils ont tant aimé.

L’attitude théâtrale des personnages évoque la solitude d’une humanité confrontée aux conséquences de son péché.

 

Conclusion

Roger de Piles dans son livre Ut pictura poesis -XVIIe, écrit « Il y a dans la peinture différents genres d’harmonie… IL y en a de forte et d’élevée comme celle de Giorgione, Titien et Caravage ».

Cependant de son vivant Caravage fut autant admiré que critiqué, autant célèbre que misérable et haï.

Félibien écrit « Monsieur Poussin ne pouvait rien souffrir du Caravage et disait qu’il était venu au monde pour détruire la peinture ».

Caravage a choqué en peignant des êtres vieux et laids ou ordinaires en place des apôtres ou des saints, allant à contre-courant de la Contre-Réforme qui veut éblouir les fidèles.

Caravage est prisonnier de son génie et de ses émotions. Sa conscience aigüe de la souffrance lui a fourni le terreau de son propre univers.
Il peint l’intériorité.
Son œuvre implacablement humaine exprime à la perfection le sentiment religieux.

Roberto Longhi écrit dans Le Caravage –1968 : « Imaginez donc qu’il prétendait nous présenter le monde tel qu’il est, et sans l’embellir ! Attitude déraisonnable »