La Liberté guidant le peuple -1830 E.Delacroix

Eugène Delacroix (1798-1863)

 

La Liberté guidant le peuple

1830

Huile sur toile
Dim 260 x 325 cm

Conservé au Musée du Louvre

Peintre

En 1806, Eugène Delacroix est pensionnaire au Lycée Impérial (actuel Louis le Grand), il y poursuit des études honorables.
En 1815, Delacroix entre dans l’atelier de Pierre Narcisse Guérin où, durant cinq ans, il acquiert une technique solide et y rencontre Théodore Géricault (son aîné de sept ans).
En 1816, pour parfaire sa pratique, Delacroix s’inscrit également à l’école des beaux-arts où il apprend le dessin, l’anatomie et la perspective.
Il passe du temps au Louvre où il copie les maîtres anciens. Il va également faire des croquis d’après les manuscrits ou les médailles à la Bibliothèque royale.
Pour se faire connaître il faut exposer au Salon. Décidé à ne pas rater l’occasion, Delacroix travaille d’arrache-pied dès juillet 1821 (le prochain Salon aura lieu en avril 1822) et achève une composition tirée de La Divine Comédie de Dante : Dante et Virgile conduits par Plegias traversent le lac qui entoure les murailles de la ville infernale de Dité. Le tableau est remarqué, l’État l’achète et l’accroche au musée du Luxembourg, le musée des artistes vivants.
En 1824, il expose au Salon, Scène des massacres de Scio, l’État achète la toile.
En 1827, Delacroix présente dix-sept tableaux au Salon, quatre sont refusés.
En 1828, La mort de Sardanapale déclenche une vague de critique sans précédent, Delacroix en est profondément ébranlé. Il gardera le tableau pendant vingt ans avant de trouver un acquéreur.
Au salon de 1831, Delacroix présente huit œuvres dont la très célèbre Liberté guidant le peuple. Ce tableau choque autant qu’il fascine, l’État l’achète et lui remet le titre de chevalier de la Légion d’honneur.
En 1832, durant six mois, Delacroix suit la mission diplomatique à Tanger, Meknès, Oran et Alger. Pour fixer son souvenir il exécute de nombreux croquis sur le vif qu’il rehausse d’aquarelle et prend quantité de notes. Il en rapportera sept carnets. Jusqu’à la fin de sa vie, il s’inspirera dans sa peinture des scènes et des paysages vus lors de son voyage en Afrique du Nord.
En 1834, il présente au Salon Femmes d’Alger dans leur appartement. Le tableau est très commenté et diversement apprécié. L’État l’achète pour le musée du Luxembourg.
1837, est l’année de son célèbre Autoportrait au gilet vert.
En 1838, l’État confie à Delacroix la décoration de la bibliothèque du Palais Bourbon ; La surface à décorer se répartit dans une nef large de 10 mètres et longue de 42 mètres. Delacroix mettra dix ans pour achever ce décor.
Lors de sa présentation au public en janvier 1848, il reçoit un éloge unanime.
C’est en 1838 que Delacroix réalise le Double portrait de Chopin et de George Sand. Le peintre conservera ce tableau dans son atelier jusqu’à sa mort. Il sera par la suite coupé en deux (Paris, Musée du Louvre et Copenhague, Charlottenlund, Ordrupgaad).
En 1846, après avoir sauté quelques Salons, Delacroix expose cette année-là, trois tableaux d’inspiration littéraire. L’Enlèvement de Rebecca (Walter Scott), Marguerite à l’église (Goethe), Les adieux de Roméo et Juliette (Shakespeare) et un Lion à l’aquarelle. Baudelaire le sacre
« chef de l’école moderne ».
Delacroix est fait officier de la Légion d’honneur.
En 1850, Delacroix reçoit la commande du compartiment central de la galerie d’Apollon au palais du Louvre.
Malgré l’importance de ses chantiers, le peintre mène à Paris une vie sociale très active.
En 1851, en décembre, Delacroix est nommé conseiller municipal à la ville de Paris, fonction dont il est très fier et qu’il occupera pendant dix ans.
En 1855, il présente trente-six tableaux à l’Exposition universelle. À l’issue de l’exposition, il est promu commandeur de la Légion d’honneur.
En 1858, il s’installe 6 rue de Furstenberg où il fait bâtir son atelier.
En 1859, soucieux de la conservation de ses tableaux, Delacroix obtient le droit de retoucher au musée du Luxembourg son Dante et Virgile aux enfers, altéré par d’importantes craquelures prématurées.
En 1860, Delacroix a une santé fragile, toutes les années il part en cure et se repose à la campagne. Au mois de décembre il est à nouveau malade et garde la chambre pendant deux mois. En mars il recommence à sortir et reprend ses travaux. Il veut achever sa chapelle des Saints-Anges.
En 1861 Delacroix écrit « La peinture me harcèle et me tourmente de mille manières à la vérité, comme la maîtresse la plus exigeante…Mais d’où me vient que ce combat éternel, au lieu de m’abattre, me relève, au lieu de me décourager, me console et remplit mes moments, quand je l’ai quitté ? ».
En 1862, la santé de Delacroix est toujours mauvaise. Il vit à l’écart du monde.
En 1863, sa maladie s’aggrave, Delacroix est épuisé. Dès le mois de mai, il se réfugie à la campagne pour se reposer dans un silence absolu. Son état de santé continuant à se détériorer il rentre à Paris à la mi-juin. Le 3 août le peintre dicte son testament.
Dix jours plus tard, Delacroix s’éteint dans son appartement. Les obsèques ont lieu le 17 août. Les intimes sont là, ainsi qu’un certain nombre de jeunes artistes, comme Baudelaire, Manet et Fantin-Latour.
Delacroix n’a pas beaucoup voyagé, hormis ses séjours en Angleterre et en Afrique du Nord et quelques escapades.
Il ne s’est jamais marié, la peinture est « ma seule maîtresse » disait-il.
Au début de sa carrière, il fréquente volontiers les salons, les concerts et les théâtres.
Le dandy des premières années s’est mué au fur et à mesure que sa santé déclinait en homme solitaire.

Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise.

 

 Tableau

La Liberté guidant le peuple est inspirée de la révolution des Trois Glorieuses.

Présenté au Salon de 1831, le tableau est ensuite exposé au musée du Luxembourg à partir de 1863 puis transféré au Musée du Louvre en 1874.

Par son aspect allégorique et sa portée politique, ce tableau a été fréquemment choisi comme symbole de la République française, de la liberté ou de la démocratie dans le monde.

 


Composition

C’est un très grand tableau.

Le tableau représente une scène de barricade effondrée, franchie par des émeutiers du peuple de Paris qui s’est soulevé contre le roi Charles X et ses ordonnances tendant à supprimer la liberté de la presse et à modifier la loi électorale. C’est une violation de la Constitution.
C’est la révolution des Trois Glorieuses, 26, 27 et 28 juillet 1830.

Delacroix compose et articule sa composition avec virtuosité.

La géométrie participe à la construction de la scène.
Une construction pyramidale, les personnages sont calés dans deux triangles,
Un premier plan avec des personnages morts, forme la base horizontale des deux triangles
Un deuxième plan avec des personnages-types surdimensionnés,
Un fond de tableau maquillé par la poussière des canons duquel surgissent des insurgés survoltés.
Une grande diagonale traverse le tableau délimitant une zone sombre où sont regroupés les révoltés et une zone plus claire où se détache la déesse mythique et sculpturale de la Liberté et le drapeau.
À ses pieds, au premier plan, à gauche de la composition, les combattants morts au milieu des pavés et des poutres de la barricade sont désarticulés et à moitié nus ; à droite sont étendus un membre des Gardes suisses et un cuirassier.

Delacroix a imaginé cette scène.
Le tableau est un lieu. C’est un espace imaginaire situé à Paris rive droite comme en attestent les tours de Notre Dame situées dans le fond à droite de la composition, émergeant d’une épaisse poussière.
Les tours situent l’action à Paris. Quant aux maisons entre la cathédrale et la Seine, elles sont imaginaires.
La poussière cache, une foule immense va surgir…
La poussière sert de fond clair et met la Liberté en évidence.

Les insurgés qui accompagnent la Liberté sont des archétypes sociaux, à chaque personnage son costume :
Un paysan blessé, sur la barricade, émerge des décombres, aux pieds de la Liberté, il porte les couleurs du drapeau, chemise bleue, ceinture rouge et chemise blanche.
Deux enfants des rues, l’un à droite, giberne en bandoulière, coiffé d’un béret, brandit un pistolet de cavalerie et crie la bouche ouverte, il est le symbole de la jeunesse et de l’injustice (c’est le personnage de Victor Hugo, Gavroche) ; l’autre à l’extrême gauche, coiffé d’un bonnet de police des voltigeurs de la Garde nationale, s’agrippe au pavé,
Un homme armé d’un tromblon à deux canons en redingote et cravate, coiffé d’un haut de forme, ce n’est pas un bourgeois, il porte le pantalon et la ceinture des ouvriers,
Un manufacturier portant un tablier, un béret, un sabre briquet à la main, un pistolet retenu par un foulard rouge et sa banderole sur l’épaule.

Dominant la scène, une femme du peuple est coiffée d’un bonnet phrygien, c’est la Liberté qui, légèrement désaxée sur la droite du tableau, brandit par la hampe le drapeau tricolore qui occupe l’axe central du tableau.
La Liberté est mise en valeur par la couleur claire de sa robe jaune à double ceinture, dans la lumière.
Cette allégorie, cette Athéna, est porteuse d’une humanité sublime.

À l’arrière-plan, émergeant de l’épaisse poussière, les étudiants, un élève de polytechnique porte un bicorne bonapartiste et un détachement de grenadiers en tenue de campagne et capote grise.

Delacroix peint un évènement populaire, mêlant jeunes et vieux, intellectuels ; artisans, soldats et paysans.

Cette composition exprime le mouvement et la vitalité des révoltés.

La répartition des accents colorés structure le tableau.
Delacroix utilise la couleur pour exprimer la détermination des insurgés.
La gamme chromatique est dominée par le bleu, le blanc et le rouge.
L’intensité des couleurs provient de leur interaction les unes avec les autres.
Des coloris gris et bruns font valoir le bleu, le rouge et le blanc.

La lumière entre par la gauche de la composition.
Le traitement de la lumière est d’une prodigieuse subtilité au service de l’acuité de la Liberté et de l’ouverture vers le lointain.
La lumière de Delacroix a une puissance narrative.
C’est une lumière de soleil couchant mêlée à la poussière des canons.
Delacroix métamorphose l’ombre en lumière.

 

 

Analyse

Dans ces années-là la stratégie artistique de Delacroix est alimentée par son désir de se faire remarquer, apprécier et d’occuper le devant de la scène.
Il cherche des sujets inédits tirés de l’histoire politique récente.
Ce désir d’originalité et de gloire le motive.
Il sait que c’est avec les thèmes d’histoire politique qu’il a le plus de chance.

Delacroix est stimulé par le sujet des trois glorieuses. Il sait qu’il touchera le plus grand nombre de personnes.

Delacroix réunit histoire et fiction, réalité et allégorie.

Delacroix utilise le procédé du hors-champ avec efficacité au service de l’idée.

D’une part alors que la composition est strictement pyramidale, le fait que le drapeau soit coupé par le cadrage introduit une dynamique inattendue.
D’autre part l’idée de faire sortir les personnages de face, la Liberté en tête, crée un mouvement extraordinairement violent.
L’irruption brutale dans l’espace du regardeur, de la Liberté suivie de la cohorte d’hommes et d’enfants en armes ne laisse plus de place à l’hésitation.
Le peuple en marche vers sa libération, avance sur le regardeur, ne lui laissant comme alternative que de se rallier ou d’être écrasé.

Le temps de la réflexion cède le pas à celui de l’action.

Avec l’image de la liberté en mouvement, l’avancée des insurgés apparait comme immédiate et ne laisse pas de choix.
Le rôle de la marche est déterminant pour provoquer les interférences nécessaires au processus interprétatif du regardeur.

Delacroix mise sur l’imagination du regardeur pour entendre le bruit et la fureur dégagés par les barricades.

Delacroix invente un tableau pour la démocratie.

Delacroix a choisi une composition pyramidale comme dans son tableau Les massacres de Scio et le Radeau de la méduse de Géricault.

Delacroix s’attache à rendre son sujet noble.
Le sujet de Delacroix est moins dans le rendu que dans la perception.
Il s’inspire des tableaux de son idole Rubens, Le massacre des innocents –1611-12 (morts au premier plan, personnages surdimensionnés…) ou La bataille des amazones –1617-18 (le mouvement, le fond…)

La puissance de l’image en fait une œuvre iconique.

L’allégorie de la Liberté est un ressort didactique.
Cette composition exprime une relation d’autorité entre la Liberté et le regardeur.
L’existence des figures est corrélative des synthèses qu’opère le regardeur par les images.
La composition décrit un processus de simulation de marche que Delacroix renforce avec son procédé de hors-champ.
La simulation de marche par l’image s’impose comme sujet de réflexion.
Les figurations mentales du regardeur apparaissent sous les traits de l’allégorie, la Liberté.

Delacroix dialogue avec le regardeur.

C’est dans un lieu mental qu’est construite cette barricade composée de points d’accroche.
Delacroix attire l’attention du regardeur et lui permet de mémoriser la scène avec l’effet visuel des agencements des personnages types, l’alternance chromatique rouge/bleu/blanc et la poussière dense du fond du tableau qui cache ce que le regardeur imagine.
Le cadrage choisit par Delacroix donne l’impression que les personnages sont immenses.
La robe de la Liberté évoque les drapés antiques, le torse dénudé l’associe aux Victoires ailées. La Liberté, déterminée et noble, donne l’impulsion et guide l’initiative populaire et l’entraîne vers la victoire finale.
La liberté, allégorie, est la vraie protagoniste du combat, le fusil qu’elle tient dans la main gauche l’ancre dans la réalité.

 Le tableau est projeté sur le regardeur.
Delacroix réveille le regardeur et le questionne sur son rôle en démocratie.

Le peuple est acteur et spectateur de sa propre histoire.

Le pouvoir subversif du tableau est tel que, dès 1832, jugé dangereux pour le gouvernement de la monarchie de Juillet, il est décroché au musée du Luxembourg et rangé en réserve.
En 1859, le régime accepte de rendre le tableau à l’artiste, (Delacroix le demande pour faire des retouches).

Le tableau est soupçonné d’être une incitation à l’émeute.
C’est à la faveur de l’exposition universelle de 1855 et une permission exceptionnelle de Napoléon III que le public peut à nouveau admirer le tableau.

Ce tableau est considéré comme le réveil du peuple.
Il montre la détermination, le sang, la souffrance et la mort mis au service d’une cause commune.

La Liberté guidant le peuple : c’est l’allégorie de la révolte populaire pour la liberté.

Tableau de l’enthousiasme romantique et révolutionnaire, c’est une peinture universelle.

 

Conclusion

Charles Baudelaire : « … Pour un pareil homme, doué d’un tel courage et d’une telle passion, les luttes les plus intéressantes sont celles qu’il a à soutenir contre lui-même ; les horizons n’ont pas besoin d’être grands pour que les batailles soient importantes ; les révolutions et les évènements les plus curieux se passent sous le ciel du crâne, dans le laboratoire étroit et mystérieux du cerveau. »

L’œuvre de Delacroix est immense, plus de mille peintures et six mille dessins.
Tout au long de sa vie d’artiste l’œuvre de Delacroix connaît des réorientations radicales au fil de ses préoccupations successives imposées par la diversité de ses commandes.

Théophile Gautier à l’occasion du Salon de 1838 dresse de Delacroix un portrait élogieux :
« …M. Eugène Delacroix, dans son ardeur de bien faire et d’arriver à la perfection a tenté toutes les formes, tous les styles et toutes les couleurs ; il n’y a point de genre où il n’ait touché et laissé quelque noble et lumineuse trace ; peu de peintres ont parcouru un cercle aussi vaste que M. Delacroix, et son œuvre est déjà presque aussi considérable que celle d’un Vénitien du beau temps ; il a fait des fresques, de grandes machines, des tableaux d’histoire, des tableaux de genre, des batailles, des intérieurs, des chevaux aussi bien que Géricault, des lions et des tigres qui valent ceux de Barye ou de Desportes ».

Pour la biographie, source : Catalogue de l’exposition « Delacroix, 1798-1863 » présentée à Paris au Musée du Louvre du 29 mars au 23 juillet 2018.