La Fornarina – 1518-20 Raphaël

Raffaello Sanzio dit Raphaël (1483-1520)

 

La Fornarina

 1518-1520

Huile sur bois

Dim 85 x 60 cm

Conservé à la galerie nationale d’Art Ancien du palais Barberini de Rome

Le peintre

Raphaël a grandi à Urbino.
En 1499-1500, Raphaël orphelin travaille avec Pérugin à Pérouse.
Pérugin lui apprend la perspective et une douceur lyrique dans la représentation de la Vierge et des saints.
À l’occasion d’un séjour à Florence (1504-1508) il puisa chez Léonard de Vinci des idées sur la construction pyramidale, l’intimité discrète entre les figures et les techniques du clair-obscur et du sfumato. Il réalise une série de Vierges et de Madones dont La Dame à la Licorne –1505-1506, La Madone à la prairie –1506, La Belle Jardinière -1507.
Auprès de Michel-Ange il prend des leçons sur l’expressivité de l’anatomie humaine. Féru d’archéologie et de sculpture ancienne, il en intègre des éléments dans ses peintures.
Appelé à Rome dès 1508 au service du pape Jules II, Raphaël y demeure douze ans avec un succès grandissant et reçoit rapidement des commandes de membres du clergé et de l’élite culturelle.
Il réalise des portraits, des fresques, telles celles des appartements du pape au Vatican, qui deviennent des exemples types de l’art de Renaissance, des dessins, tels ceux des dix grandes tapisseries présentant des scènes de la vie de saint Paul et saint Pierre pour la chapelle Sixtine, et des projets architecturaux majeurs.
En 1514, après la mort de l’architecte Donato Bramante, Raphaël devient architecte de la basilique Saint-Pierre et transforme le plan de l’église, qui passe de la croix grecque à une conception latine longitudinale.
En 1517, Raphaël est nommé commissaire des antiquités de Rome par le pape Léon X.
Le trésorier du pape, Agostino Chigi, chargea Raphaël de décorer sa villa Farnesina de fresques, puis de concevoir et décorer sa chapelle funéraire dans l’église Santa Maria del Popolo.
Raphaël travaille aussi avec le graveur Marcantonio Raimondi pour réaliser des gravures, dont certaines copies de ses peintures

 

Le tableau

Ce tableau était dans l’atelier de Raphaël au moment de sa mort.
Son apprenti, Jules Romain, l’a vendu.
Au XVIe le portrait est dans les appartements de la comtesse Catherine Sforza di Santa Fiora et passe chez le duc de Buoncompagni après le mariage de la fille unique de Catherine Sforza avec Giacomo Buoncompagni.

L’acquisition du Palais Barberini a lieu en 1949 et l’édifice fut destiné au musée national.

Raphaël a peint un autre portrait de la Fornarina antérieur à celui-ci, daté de 1516, une huile sur toile conservée au Palais Pitti, La Velata.

La Fornarina a beaucoup souffert.
Il est demeuré presque inconnaissable sous une épaisse couche de poussière et de noir de fumée.
En 1820, Palmaroli l’a nettoyé.
C’est la seule restauration connue.
Les historiens d’art sont tous d’accord pour dire que la restauration a dénaturé les rapports chromatiques en accentuant de manière irréaliste le contraste entre les tons clairs et le fond sombre du tableau.
Crowe et Cavalcaselle accusent : « …les parties les plus endommagées sont le cou, la poitrine, le voile, et la main qui est posée dessus ; de nombreuses ombres ont souffert en divers endroits, de même que les demi-teintes. Le fond a augmenté en intensité et est devenu particulièrement foncé. Les yeux et le front sont les parties les mieux conservées ».

Raphaël peint une chair blonde, dorée et lumineuse.
Cinq siècles sont passés et ont estompé les couleurs de carnations.

Il existe de nombreuses copies et versions d’époque de La Fornarina Barberini, réalisées par les disciples.

Un petit échantillon :

Il y a celle de Jules Romains, l’abbé Richard commente : « …d’un coloris beaucoup plus dur, qui n’a aucun agrément ».

Il y a une copie à la villa Albanie de Rome.

Une autre se trouve à la galerie Borghèse.

Une autre version de La Fornarina Barberini  est conservée au musée de Moscou.

 

Composition

Le chancelier Coraduz décrit le tableau dans une lettre adressée à l’empereur Rodolphe II :
« Une femme nue, dont le portrait est pris sur le vif, en demi-figure ».

Un autre commissaire d’œuvres d’art au service de Vincent 1er, duc de Mantoue, Ludovico Cremasco fournit une description plus précise :
« La vénus en demi-figure nue aux yeux et aux cheveux noirs, qui arbore au bras gauche un bracelet sur lequel est écrit Raphaël Vrbinas »

« La Fornarina est représentée avec une telle maîtrise du mouvement que
Canova affirme qu’il s’agissait des plus belles formes exécutées par Raphaël s’inspirant de sa bien-aimée ».

Au XVIIIe, l’abbé Jérôme Richard partagea le jugement des voyageurs anglais :
« le portrait de la maitresse de Raphaël peint par lui-même. Elle a le teint brun et obscur, les yeux noirs et tristes, les cheveux forts noirs et lissés, qui lui accompagnent le visage dans toute sa longueur, le nez bien fait, et quelque grâce dans la bouche, la figure est peu agréable : ce tableau peint sur bois est d’autant mieux conservé, qu’il paraît que Raphaël lui-même avait fait ajuster les deux petites parties de bois noir qui l’enferment dans le cadre. Il y en a une copie faite par Jules Romain, d’un coloris beaucoup plus dur, et qui n’a aucun agrément ».

De Lalande :
« …Un tableau de Raphaël représentant sa maîtresse. C’est une belle brune, il l’a peinte un peu découverte, un bracelet au bras, à la manière des antiques, sur lequel Raphaël a écrit son nom ; le tableau … est peint d’une manière très sèche ».

Nibbly
« Pour finir, dans un cabinet séparé, l’on peut observer le portrait de la Fornarina, aimée par Raphaël, peinte par lui-même, dont l’exécution est excellente bien que les teintes aient grandement souffert, en face l’on peut voir une copie du même portrait… exécutée par Jules Romain ».

 

Analyse

Commençons par une anecdote :

Chigi qui vit le tableau 1618 chez les Buoncompagni, établit un rapport d’identité entre le modèle et la femme aimée par Raphaël.
C’est la même personne qu’Agostino Chigi avait dû conduire chez le peintre afin qu’il achève les fresques de Farnésine.
C’est la première fois que le tableau est associé à un moment particulier de la vie de Raphaël : à la période des travaux effectués dans la villa d’Agostino Chigi, avec une référence directe au passage décrit par Vasari (1550, vol. III) pour lequel Raphaël qui « ne pouvait point se mettre au travail en raison de l’amour qu’il portait pour une femme, sujet qui préoccupait Agostino si fortement que, tant par son intervention que par celle d’autres, et de circonstances auxquelles il s’attacha, il n’eut de cesse et obtint que cette femme demeurât continuellement auprès de lui ; raison qui permit que le travail s’achevât ».

Femme que selon Vasari, Raphaël « aima jusqu’à la mort ».

Au XVIIIe c’est précisément la représentation d’un personnage désormais entré dans la légende qui vaudra au tableau une renommée grandissante.


I-   Ce portrait est -il celui de la femme aimée par Raphaël ou bien est-ce une légende perpétuée depuis trois siècles ?

 La Fornarina représente bien le portrait de l’amour de Raphaël.

La tradition qui veut que la Fornarina soit le portrait de la « bien-aimée » de Raphaël s’avère constante et précise.
C’est le rapprochement entre la Fornarina de la collection Barberini et
La Velata du palais Pitti qui permet cette affirmation.Il apparait clairement que le modèle des deux portraits est une seule et même personne.
Parmi les nombreux portraits que Raphaël aurait fait de sa fiancée, selon Vasari, la Velata est le seul qu’il décrit et dont l’histoire peut être retracée jusqu’à nos jours.
Le témoignage de Vasari digne de foi concernant la représentation de la femme aimée par le peintre, affirme que Raphaël « peignit de nombreuses femmes et en particulier la sienne, dont il fit un magnifique portrait qui parait vivant, La Velata, lequel se trouve aujourd’hui à Florence dans la demeure de l’honorable Matteo Botti, marchand florentin, ami et amateur de toute personne vertueuse et des plus grands peintres ; conservé par celui-ci comme une relique témoignant de l’amour qu’il nourrit pour l’art et en particulier pour Raphaël ».

La reconnaissance de l’identité du modèle, et, par conséquent, la correspondance de l’image avec la « bien-aimée » de Raphaël, est un argument fondamental pour reconstruire la genèse du tableau.

L’examen radiographique permet d’affirmer que l’œuvre se présente tel un travail exécuté en temps réel, sur le vif, incluant des rectifications immédiates, comme le prouvent sur le fond, les corrections apportées sur le turban et sur le bras.

Le tableau ne semble pas achevé dans ses derniers étalements, la qualité de l’exécution témoigne d’une maîtrise exceptionnelle et le dessin que dévoile la reflectographie est tout à fait différent de la manière de peindre de Jules Romain et totalement analogue à la méthode de Raphaël.

La Fornarina est le portrait privé de la maîtresse-modèle du peintre, demeuré dans l’atelier du peintre sans avoir été achevé à sa mort.
Le caractère strictement privé du tableau peut aisément expliquer qu’il ne réapparait qu’en 1595, à Rome.

Les autres représentation majoritairement reconnue comme étant le portrait de la Fornarina sont :

La Muse Clio à droite d’Apollon sur la fresque Le Parnasse – 1511, au Vatican.

La Madeleine dans la contemplation extatique de sainte Cécile –1514 Pinacothèque Nationale de Bologne

L’Allégorie de la justice -1508 située dans la chambre de signatures au Vatican.

Le personnage de Psyché de la villa Farnésine à Rome.

Tous ces tableaux appartiennent à la dernière période de Raphaël.

Pour conclure,  les sources mentionnent clairement l’existence d’une femme aimée par Raphaël que Vasari définit comme « la sienne ».

II-   Raphaël amoureux nous communique la passion qu’il porte à son œuvre.

Le peintre sacrifie la pudeur de sa maîtresse à sa propre curiosité d’artiste.

Beauté inventée et beauté réelle, la rivalité entre le tableau et la femme réelle ne tarie pas l’amour de Raphaël pour son modèle.
L’image capte les apparences et permet le passage de la représentation à la femme de chair.

La Fornarina accepte de pauser nue pour son amant, elle accepte de se déposséder, elle accepte le pouvoir empirique de l’image.

Raphaël peint vrai.
Son pinceau est expressif, fanatique de la forme. Il traite les ombres comme un certain état de la lumière, suggère les contours par le jeux de la couleur.

Sa mission n’est pas de copier le corps mais de l’exprimer.
Raphaël peint ce qui est l’âme, ce qui flotte sur le corps.

Raphaël peint ce portrait avec sincérité, sans interprétation personnelle, avec une sorte d’impassibilité.

Raphaël a le sens de ce qui fait le charme intime, et restitue le corps de son modèle dans la splendeur de son épanouissement.

Le portrait de La Fornarina est une œuvre exacte et passionnée, concrète et émue.

Si La Fornarina n’a pas la sensualité des portraits de Suzanne de Rubens, l’expression de son visage nous parle de ses charmes secrets.

Raphaël est un peintre amoureux dont le pinceau a besoin pour s’exprimer de la présence de sa maîtresse.
Ce contact avec le réel, en l’occurrence la Fornarina, lui est nécessaire pour peindre l’invisible.

Le trésorier du pape, Agostino Chigi qui lui confia la décoration de sa villa Farnesina l’avait compris. Pour achever les fresques de sa maison, il demanda à la Fornarina de rester auprès de Raphaël qui avait besoin de sa présence physique pour exprimer tout son talent.

 

Conclusion

Raphaël a  l’intelligence, le sens artistique et la capacité de percevoir et d’adapter les innovations des autres artistes.
C’est parce qu’il a su « oublier » les leçons de Pérugin qu’il est devenu un très grand peintre. Il suffit de comparer Le Mariage de la Vierge –1504 avec La mise au tombeau –1507. Ses tableaux s’équilibrent entre l’application des règles de l’art de la Renaissance, l’imitation de la nature et la douceur de l’expression.

Peintre, décorateur et architecte, Raphaël est l’un des artistes les plus séduisant de la Renaissance.

Il se démarque par la grâce et l’harmonie de sa peinture, réputée pour sa clarté tant dans la forme que dans la composition, et par la sérénité des expressions des visages de ses sujets.

Son charme, son caractère agréable et son talent prodigieux lui ont valu le surnom de « prince des peintres ».

 

Source :
La Fornarina, Biographie d’un tableau -article de Lorenzo Mochi Onori