La fête se saint Roc – 1735 Canaletto

 

Antonio Canale dit Canaletto (1697-1768)

 

La Fête de saint Roch

1735

Huile sur toile
Dim 148 x 199 cm

Conservé à la National Gallery à Londres

 

Le peintre

Canaletto débute sa carrière dans l’atelier de son père, en peignant des décors baroques pour des théâtres.
En 1720, il accompagne son père à Rome pour réaliser des décors au Théâtre Capriciana. C’est dans cette ville qu’il découvre les peintres du védutisme et, ses premières œuvres, remarquables par le rendu de la perspective, datent de cette époque.
De retour à Venise, Canaletto s’inscrit en 1720 à la guilde des peintres et commence à temps plein à se consacrer à peindre sa ville.
Il devient rapidement un des peintres les plus renommés de Venise.
À partir de 1722, il peint des toiles adaptées à la demande des visiteurs étrangers, principalement anglais ; le format de ses tableaux s’adapte à ces demandes, aux toiles de grandes dimensions (jusqu’en 1726) succèderont des formats plus petits, plus facilement transportables.
De 1746 à 1755, Canaletto séjourna en Angleterre. Il y réalisa certaines de ses meilleures œuvres et connu un immense succès.
En 1763, il est élu à l’Académie de Venise.

Le plus important des agents de Canaletto, qui est à la fois mécène et client, est Joseph Smith. Smith consul à Venise entre 1744 et 1760, est un collectionneur passionné et joue le rôle d’intermédiaire avec la riche clientèle anglaise.
Entre 1726 et 1727, Smith obtint six tableaux qu’il gardera dans sa collection pendant plus de quarante ans.

Au XVIIIe, Venise comptait de nombreux paysagistes qui donnèrent des représentations très détaillées de la cité lagunaire et de sa vie pittoresque. Ces vedute, ou vues topographiques, allaient devenir l’un des genres favoris de la ville.

Certains vedute furent commandés par des dignitaires locaux pour immortaliser des fêtes, commémorations et autres événements particuliers, mais la plupart finirent en Angleterre, achetés par de riches aristocrates au cours de leur Grand Tour européen. Les deux maitres du genre sont Canaletto et Francesco Guardi.

Canaletto peignait généralement en plein air, d’après nature plutôt que d’après des dessins, ce qui était inhabituel à l’époque. Il utilisait la règle et le compas et une chambre noire pour la perspective. L’exactitude géométrique de ses architectures produisait une certaine rigidité qu’on lui a parfois reprochée, mais aussi une forte impression de réalité.

Ses peintures sont agrémentées de personnages qui deviendront progressivement plus réduits et plus esquissés.

L’aspect le plus saisissant de son œuvre est sa luminosité obtenue par de fortes oppositions de lumière et d’ombre. Le contraste est moins accentué dans ses premiers tableaux, qui restituent l’effet liquide de la lumière vénitienne à l’aide de bleus et de roses estompés.

Son influence fut décisive sur les peintres vénitiens du genre vedute, Francesco Guardi, Bernardo Bellotto et Michel Marieschi.

Avec Giambattista Pittoni et Giovanni Battista Tiepolo, Canaletto est l’un des principaux maîtres italiens de la renaissance vénitienne.

 

Le tableau

Canaletto représente la visite du doge de Venise à l’église saint Roch, à droite, pour commémorer la fin de la peste en 1576. Ce jour-là, le 16 août, des tableaux étaient traditionnellement exposés sur la place. L’édifice principal, au centre, est la Scuola, siège de la confraternité de saint Roch. Le doge, vêtu d’une robe dorée et d’une cape d’hermine, porte des fleurs blanches en symbole de protection contre la peste.

 

Composition

Cette composition rappelle les décors de théâtre.

Canaletto peint une vue frontale d’une place de Venise, scindée en trois plans :
Au premier plan, se tient une foule de personnages, encadrée par des corps de bâtiments sur deux côtés.
Au second plan, les façades occupent toute la longueur et le côté droit du tableau.
À l’arrière-plan, le ciel couvre le fond du tableau.

La profondeur de la place est simulée avec la représentation des personnages, plus notre regard se rapproche des façades et plus les personnages sont réduits, ici une perruque, là un simple trait. Canaletto peint avec une minutie scrupuleuse.

Le point de fuite amène le spectateur au centre du tableau, là où se tient le personnage principal, sous une ombrelle, le doge.

Les jeux de lumières et d’ombre servent le même dessin, porter notre regard sur le doge.

La façade de l’église, à droite du tableau, projette sur la place une grande ombre qui vient mourir dans l’axe du tableau où la lumière rebondit sur les perruques, les châles blancs, les étoffes rouges et bleues.

Canaletto met en scène sa toile en jouant avec les contrastes des masses sombres et lumineuses, il crée une atmosphère de fête baignée de lumière.

Son premier plan obscur sur la moitié droite du tableau, guide notre œil au centre du tableau.

Cette place grouille de monde et cette sensation est mise en place avec la rigueur géométrique des jeux des obliques, des verticales et des horizontales. À la grande diagonale d’ombre répondent les verticales des façades. L’horizontale de l’auvent coupe la composition à mi-hauteur. Cet auvent de toile soutenu par des piques, s’étire sur toute la longueur du tableau et montre du doigt le chemin de la procession.

La tradition expose des tableaux religieux sur les bas des façades de la Scuola. Ils sont de tous formats et en grand nombre. Les fenêtres de la Scuola sont ornées de guirlandes.

L’animation de la toile est renforcée par les multiples détails pittoresques qui rythment la composition. Ici un chien s’apprête à bondir sur la chaussure d’un notable, là un enfant grimpe sur la façade de l’église saint Roch, sur les toits, une terrasse où sèche du linge…

Ces détails réalistes donnent au regardant le sentiment d’être devant une photographie, ce qui n’est pas le cas.

Les bâtiments sont peints avec des ocres des roses et des bruns.

La gamme chromatique est rehaussée d’empâtements blancs qui accrochent la lumière. Les personnages sont les seules touches de couleurs de la toile. Les perruques blanches pimentent le tableau et éclairent les grandes robes rouges des avocats. Les couleurs vives et contrastées flamboient.

Le ciel d’un bleu profond occupe le fond du tableau. Le dégradé de bleu forme les nuages qui nuancent le ciel et lui donnent sa présence.
Canaletto utilise un fond gris, ce qui lui permet d’obtenir une tonalité plus légère

Canaletto observe attentivement l’atmosphère. Il peint la réflexion du ciel sur la façade blanche de la Scuola en lui prêtant des reflets bleutés.

La touche est rapide, les contours ne sont pas soulignés.

 

Analyse

La vue urbaine est une création artistique élaborée qui sublime le réel.

Canaletto compose son tableau en fonction de la commande.

Ses perspectives théâtrales mettent en scène les monuments et sont parfois en décalage avec la réalité visuelle -comme la représentation conjointe de monuments qui ne peuvent être observés d’un même point de vue.

Ces vues topographiques qui fonctionnent sont fausses. Ce n’est pas une démarche scientifique, c’est un point de vue de peintre. Canaletto interprète l’espace de façon personnelle en atelier, d’après ses dessins pris sur le vif.

Ses vedute s’éloignent de la réalité en modifiant la perspective et en déformant les bâtiments dans le but d’améliorer la composition du tableau dans sa vision d’ensemble.

Canaletto peint une interprétation du réel, et transcrit sa vision sur la toile.

S’il utilise systématiquement une chambre noire et soigne ses perspectives, il n’en demeure pas moins que tout est faux, il agrandit les façades, coupe les campaniles, ses vues sont recomposées. Les dessins des lieux accumulés durant la phase préparatoire sont ensuite assemblés sur la toile sans chercher à éviter les distorsions ou inexactitudes.

Canaletto peint des vues idéales, composées de bâtiments existants assemblés selon un schéma fictif.

Quelques vedute mêlent réalité et fiction. Ces tableaux sont nommés « caprices », Canaletto ajoutent des édifices inventés à des sites existants.
Ses compositions ont un accent de vérité parfait !
Conservé à la Galerie nationale de Parme, Caprice avec édifices palladiens – 1756-59, est une œuvre marquante de ce principe.
On reconnait le quartier du Rialto dans lequel Canaletto a transposé la basilique de Vicence et ajouté le pont fictif du Rialto.
Dans cet exemple le tableau montre ce que serait devenu le quartier si le projet d’urbanisme d’Andrea Palladio avait été retenu plutôt que celui d’Antonio da Ponte.

Sous son pinceau Venise tient le rôle principal, elle est à la fois décor et sujet.

Les fêtes constituent des expressions éclatantes de la puissance de l’état et de la cohérence de la communauté. Un calendrier des fêtes découpe l’année, les déplacements du doge en grand apparat sont des grands spectacles. De multiples occasions permettent aux vénitiens de se retrouver et à Canaletto de peindre avec une minutie presque… scientifique, les plus belles vues de Venise, son sujet de prédilection.

Une de ses toiles les plus connues est le Bucentaure au Môle le jour de l’Ascension sa première version date de 1729, elle est conservée en Angleterre.
L’œuvre commémore la fête la plus connue des vénitiens, le mariage de la mer. Canaletto peint le retour du Bucentaure vers le palais des Doges ; le bâtiment de parade s’avance avec un cortège de bateaux dans son sillage.

Les vues sont parsemées de détails qui confèrent aux scènes une animation plaisante. Les personnages sont immobiles, par groupes, devisant sous le soleil qui éclaire la scène en rehaussant les plus petits détails.

Il y a mille formes de beautés urbaines, toutes différentes, mais celles que propose Canaletto, sont d’une grande sensibilité et d’une grande force.
Leurs scénographies sont un témoignage social formidable et précieux.
Canaletto sait à la perfection sublimer sa ville, Venise.

Ses compositions sont des créations artistiques élaborées qui donne au genre vedute ses lettres de noblesse.

 

Conclusion

La peinture de vues topographiques et de paysages n’attirait pas les grands peintres, la peinture d’histoire étant le genre noble par excellence, suivi du portrait et de la nature morte.

Canaletto à exploiter avec génie le genre des vedute crée au début du XVIIIe, par le peintre hollandais Gaspar van Wittel, installé à Rome.

Sa production est immense, 500 prototypes, 300 dessins et des milliers de versions successives dont un grand nombre, exécutées pour l’aristocratie anglaise.

Peu admiré par ses contemporains vénitiens, qui préféraient les tableaux de figure, Canaletto n’en domina pas moins la peinture topographique à Venise. Le succès grandira tout au long de sa carrière.

Canaletto est une figure emblématique du genre des vedute.

Au XVIIIe les vues sont appréciées des riches visiteurs étrangers qui affluent à Venise -ville incontournable de tout voyage en Italie. Carnavals, joutes nautiques sont autant de souvenirs que les plus fortunés achètent pour avoir un témoignage de leur séjour.

Canaletto a deux disciples : Guardi qui s’attache au rendu de la lumière et aux effets atmosphériques et son neveu Bellotto qui peint des vues topographiques de Venise et des grandes villes d’Europe (Dresde, Munich, Varsovie).

C’est en Italie, à Naples notamment, que s’est formé, le plus grand paysagiste français du XVIIIe, Hubert Robert (1733-1808).

À partir de 1750, le genre des vedute se répand dans toute l’Europe.

Quelques décennies après sa mort, au XIXe, les toiles de Canaletto sont très recherchées. La Venise baroque atteint des cotes élevées.

La peinture européenne tantôt académique tantôt romantique reste liée en un genre conventionnel, comme avec les marines, très stéréotypées ou la peinture orientaliste, héritière des vedute du XVIIIe avec son réalisme topographique.

Turner et Monet se sont inspirés du talent de Canaletto.

Au XIXe il fallait aux peintres de paysage trouver de nouvelles voies.
Ainsi naîtra le désir de capter le moment fugitif qui conduira au paysage romantique puis impressionniste.