La découverte du corps de saint Marc – 1562 Le Tintoret

 

Le Tintoret (1518-19 – 1594)

 

La découverte du corps de saint Marc

1562
Huile sur toile
Dim 405 x 405 cm

Conservé à Milan à la pinacothèque de Brera

 

Le peintre

Aîné des 21 enfants d’un teinturier (d’où son surnom), Tintoret (de son vrai nom, Jacopo Robusti ou Jacopo Comin) ne fut l’élève de Titien que pendant dix jours : ses dessins étaient soit si bons qu’ils suscitaient la jalousie du vieux maître, soit trop aboutis pour lui imposer le long apprentissage traditionnel. Ainsi, Tintoret apprit son art en étudiant les esquisses et les œuvres d’autres peintres et débuta sa carrière en peignant gratuitement. Dans son atelier, il affichait sa profession de foi : « La conception de Michel-Ange et la couleur de Titien ».

Quatre toiles sur l’histoire de saint Marc, commandées par la Scuola Grande di Marco, à Venise, lui forgèrent la réputation de grand maître de la ville.

Sa forte personnalité et son style lui valurent le surnom de « Furioso ».

 

L’histoire de saint Marc

Démarrée en Palestine, en l’an 70 de notre ère, sa mission a conduit Marc à Rome, à Venise, à Chypre, à Antioche et enfin à Alexandrie où il était évêque.
Les iconoclastes égyptiens le capturent et le tuent.
Un bûcher est dressé pour effacer son souvenir.
Au même moment éclate un violent orage.
Profitant du désordre général, les chrétiens d’Alexandrie se saisissent du corps et partent l’ensevelir.

Le 8 octobre 1094, le doge Falier fait placer le corps du saint évangéliste dans un sarcophage qui est descendu dans la crypte de la basilique de saint Marc à Venise.

 

Le tableau

Des vénitiens se sont introduits la nuit dans les catacombes d’ une église d’Alexandrie, pour voler les restes de saint Marc et les emmener à Venise.
Tintoret peint les vénitiens ouvrant les tombes de la crypte de la cathédrale, en quête de la dépouille du saint.
Soudain, pendant qu’ils s’affairent à exhumer les cadavres de leurs tombes, le fantôme de saint Marc apparaît et leur montre son véritable corps, interrompant la profanation d’autres sarcophages.

Le tableau de Tintoret illustre ce moment : la découverte du corps de saint Marc par des Vénitiens, à Alexandrie.

Au second plan, des coiffes ottomanes suggèrent des égyptiens d’Alexandrie à l’époque de Tintoret.

Tintoret représente une narration orientale dans un décor de Renaissance italienne.

 

Composition

Cette composition n’a qu’une seule dimension, la profondeur.

Au premier plan :
À l’extrémité gauche du tableau, le fantôme de saint Marc se dresse de toute sa hauteur. À ses pieds, un cadavre nu, dont la position rappelle le corps du christ peint en raccourci de Mantegna, est la dépouille du saint.
L’homme agenouillé au centre du tableau est le donateur du tableau, Tommaso Rangoni.
À droite, un homme possédé, un pestiféré et une femme effrayée qui s’adresse au saint, équilibrent la composition.
Au second plan :
À droite, des vénitiens sont entrain d’exhumer un cadavre situé dans une tombe murale.
À l’arrière-plan :
Dans une lumière éclatante qui surgit de la crypte, se profilent les ombres de vénitiens entrain d’ouvrir des tombes.

Tintoret peint un tableau de perspectives et de lumières.

Cette composition met en avant le goût de Tintoret pour les lignes de fuite,
Le point de fuite est tout à fait sur la gauche.
La ligne de fuite à droite est très allongée comme si Tintoret cherchait à ouvrir l’espace. Cette ligne de fuite est très appuyée avec une succession d’arcs décroissants, une corniche en diagonale, des tombes murales en contrebas.
Alors qu’à gauche la ligne de fuite est dissimulée.
Au centre de la toile la ligne est induite par le carrelage du premier plan.
Avec le jeu des lignes, Tintoret obtient un effet de contraste et de déséquilibre.
Dans la Renaissance classique, l’espace était clairement délimité, ce qui n’est pas le cas ici.

La lumière est vibrante et lumineuse. En écho aux obliques, elle infuse une grande tension au tableau et raconte la scène en éclaboussant de lumière le fantôme de saint Marc et sa dépouille.

La lumière dynamise les couleurs choisies dans la gamme des bruns sourds.

Les coups de pinceau en longues touches souples et colorées confèrent de l’énergie à l’ensemble.

 

Analyse

Tintoret organise sa composition de manière dramatique.

L’espace est fractionné par une action empreinte de spiritualité. Son pinceau rapide et nerveux crée des situations tourbillonnantes où l’opposition entre les ombres et les lumières dévoile une agitation intérieure.

Il crée un effet spectaculaire avec une perspective excentrée et un éclairage nocturne.

Les personnages au premier plan sont grands et représentés avec beaucoup de précision dans les détails. Ils font la grimace et on l’air effrayés.
L’homme possédé est vibrant de réalisme.
Dans un geste impérieux, le bras gauche du fantôme de saint Marc est peint en raccourci. Ce bras est une ligne de fuite qui bute sur les longues obliques de la droite du tableau.

Le croisement des diagonales, auxquels répondent les contorsions des personnages, est le point culminant de la dramatisation de la scène.

Le contraste est violent entre l’ombre et la lumière.
La lumières dans l’obscurité mystérieuse de l’église est d’une grande brillance, elle illumine la toile, découpe la scène, anime les silhouettes.

Le tableau dégage une impression d’irréalité et de surnaturel.
Tintoret peint un spectacle lyrique à partir d’une scène angoissante.

Cette façon nouvelle d’aborder la peinture rend ce tableau fascinant.
Tintoret est un peintre fantasmagorique.
Si Titien est le peintre des aristocrates, Tintoret travaille pour les corporations d’artisans ou de marchands.
C’est pour ces corporations qu’il réalise son œuvre majeure, le cycle de l’École de saint Roch, Le christ devant Ponce Pilate, La crucifixion, La fuite en Égypte.
Il peint également des portraits, comme celui de Jacopo Soranzo et des scènes inspirées de la mythologie, comme Suzanne et les Vieillards.

 

Conclusion

Ce tableau est considéré comme un manifeste du Maniérisme. Le mouvement, le dramatisme de la scène, l’importance donnée à l’architecture et la perspective ajoutant encore à la théâtralité témoignent de l‘influence majeure qu’à constituer à son époque l’œuvre de Michel-Ange et, plus particulièrement les fresques de la chapelle Sixtine.

Son œuvre traite principalement de sujets religieux.

Tintoret a contribué au mouvement maniériste au même titre que Véronèse et Titien.

Ses perspectives spectaculaires et ses effets de lumière sont en avance sur leur temps et annoncent l’art baroque.

Il est l’un des artistes les plus populaires du milieu du XVIe.