La crucifixion de saint Pierre – 1602 Caravage

Caravage (1571-1610)

 

La Crucifixion de saint Pierre

1602

Huile sur toile

Dim 230 x 175 cm

Conservé dans la chapelle de Gerasi, Église sainte Marie du Peuple à Rome.

 

Le peintre

L’artiste doit son surnom au petit village de Caravaggio où il est né.
Michelangelo Merisi dit Caravage était un artiste impulsif, susceptible et violent. Il a mené une vie rocambolesque de trente-neuf années.
Il est mort épuisé, sans argent.
Son casier judiciaire est extravagant mais, protégé par ses mécènes, il s’en sort toujours.
Il fait son apprentissage dans l’atelier de Simone Peterzano, médiocre peintre milanais maniériste. La peinture lombarde exerce une influence déterminante au cours de ses années de formation.
En 1590, Caravage arrive à Rome. La ville est un immense chantier où le pape accueille avec libéralisme les artistes du toute l’Europe. Les débuts sont difficiles, il parvient à travailler chez le Cavalier d’Arpin où il peint le Jeune garçon portant une corbeille de fruits et Bacchus malade. Ces premières œuvres permettent à Caravage de se faire connaître d’hommes influents comme le cardinal del Monte.
Caravage considère le cardinal del Monte comme son ami et son mentor, c’est lui qui lui a obtenu la commande qui marque le tourant de sa carrière, la décoration de la chapelle Contarelli en 1600.

Caravage a acquis la notoriété avec deux grandes toiles inspirées des bas-fonds romains : Les tricheurs -1594 et La Diseuse de bonne aventure -1595.

Au lieu d’étudier la sculpture antique, l’anatomie et le modèle vivant, Caravage (qui débuta comme peintre de natures mortes) déguise des amis, des assistants et des courtisanes et les peint directement sans aucun dessin préparatoire, en gravant à l’aide d’un stylet les contours de la composition sur la surface de la toile. Caravage peint sur chevalet.

La démarche novatrice de Caravage eut des répercussions très vastes.
Pour les artistes entourant Caravage, cela signifiait non seulement l’affranchissement des formations comme celles établies à Bologne par la famille Carrache, que l’on allait appeler « académiques » mais aussi une incitation à explorer de nouveaux sujets ancrés dans la vie quotidienne.

C’est l’un des artistes les plus influents du baroque italien du XVIIe.

 

Le tableau

Le thème :
Condamné à mort par Agrippa, saint Pierre demanda à être crucifié comme le Christ, avec la tête en bas pour montrer sa soumission au Christ.

L’histoire :
En 1599 Caravage est chargé de produire deux tableaux religieux pour l’église de San Luigi dei Francesi à Rome.
Ces deux œuvres mettant en scène la vie de saint Matthieu ont fait sensation et ont conduit à l’invitation pour Caravage à peindre les deux tableaux latéraux de la chapelle Cerasi à Santa Maria del Popolo, à Rome, en l’année 1601 :
La Crucifixion de saint Pierre et La conversion sur le chemin de Damas
Ces deux tableaux sont accrochés face à face dans la chapelle Cerasi. L’autel de la chapelle est décoré avec un retable d’Annibale Carracci : Assomption de la Vierge Marie.
La coupole de la chapelle est ornée de fresques conçues par Caravage mais exécutées par un de ses apprentis.

Caravage ou son mécène, le financier et collectionneur italien, Marchese Vincenzo Giustiniani ont peut- être fondé leur choix sur les fresques de Michel-Ange dont la crucifixion de saint Pierre dans la chapelle Paolina du Vatican.
Les compositions de Caravage sont plus directes que les peintures maniéristes de Michel-Ange.
Caravage s’est peut-être inspiré de la Crucifixion 1565 de Tintoret.

 

Composition

Caravage réduit à une composition dépouillée une scène d’exécution que les artistes qui l’ont précédé, ont bondée de personnages.

 La perception instantanée de l’espace visuel domine cette composition.

Le saint est seul avec trois bourreaux, qui peinent à soulever la croix à laquelle il a été attaché, tête en bas.

Les trois bourreaux sont dans la pénombre, saint Pierre est dans la lumière.

La silhouette du saint fortement éclairée se détache de l’ombre.
La figure de saint Pierre  émerge de l’obscurité de la toile et les détails de son visage ridé et de ses pieds noueux sont traités avec réalisme, tout comme les pieds crasseux du bourreau.

Le tableau présente les bourreaux en train de hisser la croix.
Caravage peint l’effort, les bourreaux sont en sueur, courbés, portant et tirant. Ils n’expriment ni compassion ni émotion.
La corde qui s’enfonce dans le dos d’un bourreau, les veines gonflées du bras du deuxième, révèlent toute la difficulté de la tâche et sont criant de réalisme. Caravage peint les peaux.

Saint Pierre, cloué sur la croix affiche un visage impassible de martyr, le regard tourné vers sa main.
C’est un vieil homme qui subit la douleur et qui va mourir.

La composition s’articule sur un ensemble de diagonale crées par la croix, la corde et les bras et les jambes des figures.
Ces diagonales reproduisent le dessin d’une croix et introduisent un déséquilibre dans la composition.
Caravage utilise les diagonales pour donner du souffle à la composition.

L’annulation des effets de perspective permet à saint Pierre de faire face au regardeur.

Caravage est attentif aux des détails qui racontent :
Au premier plan au bord de la toile, Caravage a dessiné une pierre (illustration de l’évangile de saint Matthieu : « Tu es Pierre et sur cette pierre tu bâtiras mon église. »), une pelle (ériger la croix), une étoffe bleue (présence de Marie).

La gamme chromatique est austère, en adéquation avec le thème représenté.
Les figures des bourreaux sont faites de peu de couleurs.

Le contraste entre les zones d’ombre et de lumière, et la diagonale épurée dessinée par la croix qui barre toute la largeur de la toile, rendent ce tableau visible depuis très loin dans l’allée centrale de l’église.

 

Analyse

Au début du XVIIe le Caravage lança avec Annibale Carrache un nouveau style de peinture qui s’opposait au maniérisme tardif de la fin du XVIe par son caractère plus réaliste, plus dramatique et plus lisible.

I-   La Crucifixion de saint Pierre est un tableau baroque.

Caravage a dépouillé le tableau de tout élément inutile.
Il utilise un fond sombre afin de concentrer l’attention du regardeur sur le saint.
Le contraste de lumière et d’obscurité crée une atmosphère de drame intense.
Caravage travaille les nuances de ses couleurs et utilise un fond noir pour mettre en valeur l’effort des bourreaux et la souffrance du saint.
Il met en lumière la masse des corps et détaille les musculatures des bourreaux, le seul visage visible est celui de saint Pierre. Un visage de vieillard avec une expression de désespoir et de résignation, son regard tourné vers sa main, prend à témoin le regardeur et attire son attention sur lui.

II-   Caravage méprisait la sculpture antique et prétendait s’inspirer uniquement de la nature.

En se focalisant sur 4 personnages, Caravage utilise un clair-obscur puissant, qui rend les personnages dramatiques en les détachant sur le fond neutre.

Caravage ne peint pas des corps il peint des forces, la sensation des forces sous les figures.
Ce que ne voit pas l’œil qui ne voit que les corps.
La lumière pousse l’œil du regardeur vers une tension : le calme du saint cloué sur la croix la tête en bas.

Caravage peint la suspension d’un instant.
Caravage a choisi de représenter le moment juste avant le positionnement de la croix à la verticale, le saint n’a pas encore commencé à mourir.
Caravage est très réaliste lorsqu’il montre la force des bourreaux derrière les formes, l’effort intense que représente le fait de hisser la croix.
Le peintre s’attarde sur la souffrance des bourreaux à relever la croix.
Il choisit d’exprimer la souffrance de la sueur plus-tôt que la souffrance du martyr. Caravage a soif de réalité.
Les muscles tendus, les jointures noueuses, le dos cisaillé par la corde, les pieds crasseux sont la volonté impitoyable de Caravage d’exprimer l’aspect tragique de la vie et de donner à la mort l’aspect dépouillé du corps du vieux saint.
Caravage rejette dans le monde opaque tout ce qui n’exprime pas la sueur ou le martyr.

En éclairant fortement saint Pierre et en l’isolant de son contexte, Caravage lui confère une dignité et une émotion immenses. Illuminé et placé tout près du plan pictural, saint Pierre semble surgir de la toile et se projeter dans l’espace du regardeur.

 III-   Le clair-obscur de Caravage s’adresse à l’œil et à l’esprit du regardeur.

Caravage est un peintre visionnaire.
Il anticipe la souffrance du saint et la laisse à l’imagination du regardeur.
Ce parti-pris donne une puissance terrifiante au tableau.
Il montre le corps d’un vieillard cloué sur une croix en pleine lumière, une page blanche pour l’imagination du regardeur.

Il utilise le clair-obscur pour tenter d’exprimer ce qu’il sent et de le faire sentir au regardeur.
Caravage suggère la violence du tableau.

Caravage a un œil qui pense.
Le visible déborde dans l’invisible.
La captation du regardeur est immédiate, mobilisé par le regard de saint Pierre qui s’empare de lui .

En choisissant de peindre l’instant juste avant le redressement de la croix, Caravage propose à l’imagination du regardeur les conséquences d’être cloué sur une croix suspendu à l’envers : la mort dans d’atroces souffrances.

Il y a chez Caravage un élan absolu.
Caravage prolonge et intensifie les effets du tableau, lui donne de l’épaisseur en rendant visibles les forces invisibles.

 

Conclusion

Caravage n’a pas fondé d’école, il n’a pas eu d’élèves. Son style inspire de nombreux artiste on parle de « caravagisme ».

La révolution de style de Caravage se manifeste par un souci de naturalisme – peindre ce que l’on voit sans l’idéaliser, et les forts jeux de lumière et d’ombre,
le « clair-obscur ».
Cette leçon eut une diffusion européenne.

De nombreux peintres nord-européens, italiens et même espagnol, appelés
« caravagistes » furent fortement influencés, dont le néerlandais Gerrit Van Honthorst, le français Valentin de Boulogne et le lorrain Georges de La Tour, l’italien Bartolomeo Manfredi et l’espagnol José de Ribera. De retour dans leur pays d’origine (ou dans le cas de Ribera, dans la Naples sous règne espagnol), ils continuèrent à peindre dans le même style, assurant sa diffusion à travers l’Europe.

Le Caravage a été une victime spectaculaire de la postérité. La mémoire de Caravage a été ensevelie sous un amas d’œuvres médiocres.
Ça dure des siècles. Cela fait soixante ans qu’il est redevenu un grand peintre, grâce à Roberto Longhi.

Aujourd’hui une soixantaine d’œuvres de Caravage sont reconnues.

Plus de quatre siècles après sa mort, le peintre lombard continue de susciter passion et recherches.