Andrea Mantegna (1431-1506)
La chambre des époux, La Cour
1465-74
Fresque décorant une pièce voutée du donjon nord-est du Castello San Giorgio, dans le Palazzo Ducale de Mantoue.
Le peintre
À l’âge de onze ans, Mantegna intègre l’école dirigée par le peintre Francesco Squarcione, à Padoue. Passionné d’art antique, Squarcione sillonnait l’Italie pour observer des monuments et se constituer une collection de statues, de reliefs et de vases antiques qu’il faisait étudier à ses élèves. Ainsi formé à l’observation attentive et au dessin des marbres, Mantegna se forge une conception sculpturale du corps humain. L’atmosphère humaniste de Padoue, nourrie par son université de renommée internationale, et la profusion de vestiges romains dans le nord de l’Italie enrichissent ses études. Dans de nombreuses peintures, il évoque avec vérité les costumes, structures et coutumes romains.
Outre le thème antique, les tableaux de Mantegna se caractérisent par des compositions originales, une utilisation audacieuse des raccourcis et de la perspective et une exécution d’un réalisme précis.
Une fois sa réputation établie grâce à de nombreuses commandes reçues dès l’âge de dix-huit ans, telles les fresques de l’église des érémitiques de Padoue, il accepte en 1457 le poste de peintre à la cour de Louis II Gonzague, marquis de Mantoue. Il sert successivement trois marquis de la dynastie des Gonzague : Ludovico jusqu’en 1478, son héritier Federico qui meurt en 1484, puis son petit-fils Francesco, époux d’Isabelle d’Este. Il demeure à Mantoue pendant près d’un demi-siècle réalisant fresques et retables et créant des reconstitutions historiques et des allégories.
Le tableau
La fresque La chambre des époux, dans le palais Ducal de Mantoue, est l’œuvre la plus importante de la maturité de l’artiste.
Sa vision humaniste s’y montre pleinement.
Les peintures déroulent sur les murs de la chambre une illustration à la gloire du pouvoir politique du Prince.
La Chambre des Époux est une pièce située à l’étage noble, conformément aux habitudes de la cour, la chambre servait à la fois de chambre à coucher et de salle d’audience. Le maître des lieux recevait les invités de marque, c’était un endroit privilégié. La pièce abritait également les archives secrètes du couple ducal.
Dès 1465, la décoration de la chambre du palais ducal, que l’on appela ensuite
« camera magna picta » commence.
Conformément à la pratique en vigueur, les travaux débutent par le plafond et se poursuivent par le mur de la cheminée avec un remarquable portrait de la famille de Ludovico et Barbara de Brandebourg puis avec les autres murs dans le sens des équilles d’une montre.
Les murs Nord et Ouest sont ornés de scènes historiées –La Cour (mur Nord) et La Rencontre (mur Ouest), les murs Sud et Est sont recouverts de fausses tentures de brocard doré.
La place du prince est signifiée par une série de symboles hiérarchiques : le tapis persan sous les pieds (chaussés de pantoufles) du marquis et la tenture relevée formant un dais au-dessus du fauteuil.
Mantegna représente Louis, sa famille, son conseiller, ses courtisans et Rubino son chien préféré.
La chambre possède deux portes et deux fenêtres.
L’éclairage étant nécessaire à l’illusion, Mantegna différencie la lumière naturelle diffusée par les deux fenêtres de la lumière peinte qui illumine les reliefs du plafond, les pilastres et les figures. Les personnages debout sur le lambris, évoluent au premier plan d’un paysage rural peint en trompe l’œil où l’on reconnaît châteaux et villes.
La lumière naturelle éclaire ce paysage lointain et les figures penchées au-dessus de l’oculus (situé au centre du plafond).
Mantegna peint le paysage du palais Ducal avec l’ouverture de l’architecture par une fenêtre sur le lac Mezzo formé par le fleuve. L’œil du spectateur a l’illusion de sortir des limites de la pièce, cette vue précise correspondant à ce que l’on peut voir en se penchant à l’une des fenêtres de la chambre.
Mantegna insère une image dans l’image.
L’illusion de la réalité est spectaculaire.
Au plafond, la voûte de la chambre semble annulée par la perspective feinte qui donne des dimensions illusoires à un lieu dont les proportions sont relativement petites (25m2).
Pour la première fois depuis l’antiquité, un oculus ouvre sur le ciel le plafond de la chambre. Ce plafond peint est la partie la plus originale des fresques :
Depuis une balustrade circulaire entourée d’une guirlande de feuillages et de rubans, des putti et des jeunes femmes accoudées, observent, amusés, le spectateur.
Au cours des deux siècles suivants, les plafonds à effet d’optique allaient se répandre dans les palais et les églises.
Si les personnages de Mantegna sont aussi sculpturaux que ceux de Masaccio, le peintre va plus loin en les mettant en scène comme des acteurs dans un espace mit en perspective.
L’attention que Mantegna porte aux détails et au raffinement (on observe la sobriété des couleurs) fait qu’il s’écoule neuf ans entre le début et la fin des travaux.
Pendant ce temps les enfants grandissent, les courtisans sont remplacés… Ces changements obligent Mantegna à modifier les peintures tout au long de leurs exécutions. Les visiteurs doivent être impressionnés de retrouver leurs effigies sur les murs.
Les peintures représentant les fausses tentures de brocard doré ne sont pas des « bouche-trous », elles participent à la scénographie de la pièce en illustrant sa deuxième fonction (la première étant celle de recevoir), celle d’abriter les archives secrètes.
Daniel Arasse de la revue Persée écrit dans son article, « L’art et l’illustration du pouvoir » :
« Les deux murs « non figurés » de la Chambre des Époux contribuent ainsi à articuler plus complètement les contenus qui sont implicites dans l’appropriation par le prince du système allégorique d’autoreprésentation du pouvoir ; incarnant en sa personne les Principes de ce gouvernement, le Prince est, en toute légitimité… investi d’un droit au secret… La personnalisation des Principes du Bon gouvernement dans la personne du Prince entraîne avec elle une moralisation du secret d’État, droit et fondement du bon gouvernement».
Cette fresque a une dimension hautement symbolique.
Le décor de la chambre des Époux met en scène la cour des princes et courtisans dans un effet de trompe l’œil magistral.
La grandeur des figures brossées avec un modelé dur et vigoureux, l’accentuation des effets plastiques, le tour de force illusionniste de la représentation, les allusions à la philosophie humaniste et à la grandeur de l’Antique font de cette fresque un moment significatif de l’œuvre de Mantegna.
Conclusion
Fasciné par l’Antiquité et ambitieux dans ses entreprises destinées à faire renaître les éléments du passé, Andrea Mantegna marque toute son œuvre de son intérêt pour les vestiges de la Rome antique, y compris dans ses compositions les plus ouvertement religieuses.
À Padoue, les nouvelles tendances artistiques arrivent de Toscane avec les protagonistes de l’art nouveau, Filippo Lippi, Paolo Uccello, Andrea del Casta, donnant à l’œuvre de Mantegna une importance majeure. C’est lui qui, dans les villes de la vallée du Pô, rompt définitivement avec le style gothique, toujours vivace au milieu du XVe.
Avec cette grande composition, Mantegna a jeté les bases de la peinture scénographique qui trouvera son développement dans l’art de Corrège et, au-delà, dans l’illusionnisme baroque.