Jour d’été – 1879 Berthe Morisot

Berthe Morisot (1841-1895)


Jour d’été

1879

Huile sur toile

Dim 75,2 x 45,7 cm

Conservé à la National Gallery à Londres

 

Le peintre

Berthe Morisot est issue de la grande bourgeoisie française. Elle est l’arrière petite nièce de peintre jean-Honoré Fragonard. Son père est préfet du Cher.
En 1852, il est nommé à la cour des comptes et la famille s’installe à Paris.

Berthe reçoit une éducation dans un collège privé ; elle apprend le piano et le dessin. Elle apprend à dessiner dans l’atelier du peintre Alphonse Chocarne, un professeur rigoriste, condamnant les audaces de Delacroix. Elle demande à changer de professeur et choisit les cours de Joseph Guichard qui est un élève de Delacroix et d’Ingres. Berthe est attirée par le style en vogue, la peinture sur le motif. Berthe rencontre Camille Corot -qui est un ami de J. Guichard.
Elle peint à ses côtés au bord des étangs de Ville-d’Avray.
Corot exercera une influence importante sur le style de Berthe.

Les Beaux-Arts sont interdits aux femmes et le resteront jusqu’en 1897.
Berthe copie les grands maîtres au Louvre. Accompagnée de sa sœur Edma, elles copient les Rubens, Titien et Véronèse
Pendant la décennie 1860 ; Berthe peint et expose au Salon.
En 1865, ses œuvres côtoient l’Olympia de Manet. Elle se lie d’amitié avec Edouard Manet, elle pose également pour lui. Edouard Manet devient son professeur. Elle affirme peu à peu son originalité et trouve son style de tendance nettement impressionniste. Elle se reconnait dans le principe de saisir l’impression d’un moment.Elle participera à la première exposition impressionniste organisée à Paris en avril 1874 en présentant plusieurs tableaux dont Cache-cache. Elle sera présente à toutes les expositions impressionnistes sauf celle de 1879 (elle avait accouché de sa fille un an plus tôt).
En décembre 1874, elle épouse le frère d’Édouard, Eugène Manet.
Entre 1875 et 1885, elle voyage aux Pays-Bas, en Belgique et en Italie.

Les tableaux de Berthe suscitent l’intérêt dans le milieu intellectuel et parmi les peintres d’avant-garde.

En 1887 elle expose avec les XX à Bruxelles, chez Durand-Ruel à New-York et aux expositions internationales des galéristes parisiens.
En 1892, elle organise sa première exposition personnelle à la galerie Boussod et Valadon à Paris et reçoit un accueil favorable.

En février 1895 Berthe contracte une maladie pulmonaire et décède en mars à l’âge de 54 ans. Elle est inhumée au cimetière de Passy.

En mars 1896, Degas et Rouart organisèrent à Paris une grande rétrospective avec 300 de ses œuvres.

 

 Le tableau

Cartel de la National Gallery :

« Il s’agit probablement du tableau que Morisot présenta sous le titre Le lac du bois de Boulogne, à la cinquième exposition impressionniste en 1888.
D’une exécution intentionnellement sommaire, il représente deux jeunes femmes à la mode dans un bateau flottant calmement sur un lac. Le sentiment d’une impression visuelle saisie sur le vif est souligné par le détail d’un chariot tiré par des chevaux se déplaçant le long de la rive.
Les femmes, probablement des modèles professionnels, apparaissent également dans d’autres œuvres de Morisot. »

 

Composition

C’est un tableau lumineux, avec une volonté d’ordonnance.

Berthe Morisot représente une sortie estivale à l’aide d’une pluie de coups de pinceau vifs et lâches qui animent la surface et semblent presque dissoudre tout élément solide.

C’est une composition graphique.

Les formes sont floues et vivantes, sa touche est vivace.
Berthe fixe les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe.
Les couleurs claires, presque transparentes, produisent une sensation de légèreté.
Le rose, le vert pâle, la lumière argentée du matin, projettent une douce harmonie.
Son pinceau est élégant, subtil et délicat.
Morisot estompe ses tons, les fond, et va à l’essentiel.
C’est le pinceau qui met tout en place, qui jette ses personnages sur la toile et leur donne de la grâce.

La lumière bouillonne dans ce tableau.
Elle dissout les contours et éclabousse toute la composition.

Cette impression d’inachevé instille une énergie vive, une instantanéité.

Le regardant a une vue en plongée.

Un plan d’eau au premier plan occupe les 7/8 de la composition.
La ligne d’horizon matérialisée par la berge opposée est très haute. Elle délimite le deuxième plan qui se prolonge jusqu’au chemin matérialisé par la cariole et les chevaux.
Le troisième plan bouche le fond du tableau, c’est un fouillis d’arbres qui s’étire sur toute la longueur de la composition.

Au premier plan, au bord de la toile, représentées en gros plan et coupées par le cadre, deux modèles sont assises dans une barque.
Le personnage de gauche occupe toute la hauteur du tableau.

Ce choix de composition emprunte à la photographie, et propose un instant
« volé ».

La scène se passe le matin, les ombrelles sont pliées et la lumière est argentée.

L’eau occupe la surface la plus importante du tableau, Berthe Morisot travaille les reflets de l’eau dans une gamme subtile de bleus et de verts.

 Le ciel n’est pas absent de la composition, il est dans l’eau.
L’eau reflète les arbres qui bordent la toile à droite, et décline une gamme de verts.
Au centre de la toile et sur la gauche, l’eau est le miroir du ciel, un camaïeu de bleus, de mauves, panachés de blanc.
Sur la gauche de la composition, au premier plan, une figure est assise, le corps de ¾ et le visage de profil, elle est légèrement penchée vers l’avant et se tient à la barque, totalement absorbée par le spectacle de l’eau.
Dans l’axe du tableau, une deuxième figure assise, a le regard planté dans celui du peintre. Elle se tient bien droite.

Morisot intègre les personnages dans leur environnement.
Ce sont les couleurs qui dessinent les visages, la robe tout en transparence pour la figure centrale et d’un bleu soutenu pour la jeune-femme de gauche.
Les deux femmes sont liées par le tissu bleu ornant le chapeau de l’une qui est de la même étoffe que la veste de l’autre.
Les tenues de ces jeunes-femmes nous indiquent qu’elles appartiennent à la bourgeoisie aisée.

 

Analyse

Comme sa consœur Mary Cassatt, Berthe Morisot voyait l’éventail de sujets possibles réduit par sa condition féminine.

Les œuvres de Berthe Morisot comptent pourtant parmi les plus modernes du mouvement impressionniste.

Quand Napoléon III demanda au baron Haussmann, préfet de la Seine, de rénover Paris, il ne pouvait prévoir les profonds changements qui affecteraient la peinture. Les transformations radicales de la ville menées entre 1852 et 1870, créèrent les espaces de modernité dépeints par les impressionnistes et fit de la capitale un spectacle.

Les jardins faisaient partie intégrante de ce programme, qui vit la création du bois de Boulogne, où la classe moyenne se promenait, à pied, à cheval, en voiture ou en barque.

Les femmes du XIXe étaient relativement limitées dans leurs mouvements, le rôle du flâneur leur était interdit : leur fonction consistait à être vues et non à voir.

Raison pour laquelle, les femmes peintres impressionnistes prirent souvent pour sujet des scènes de la vie domestique ou s’intéressèrent à des activités féminines.

Malgré ces restrictions, des peintres tels que Mary Cassatt et Berthe Morisot peignirent des images où transparaissent la nouvelle passion bourgeoise pour le loisir ainsi que le détachement psychologique qui semble inhérent à la nouvelle expérience urbaine.

Comme dans les œuvres de ses confrères masculins, Morisot adopte un regard différent et une facture radicale.
Sa touche réduite à l’essentiel, allège la matière en une surface d’effets fugitifs de lumière, et donne du mouvement à sa peinture.

Son contour imprécis, presque abstrait est extrêmement moderne.

Si son statut de femme la contraignait à choisir des sujets féminins, elle y mit toute son audace et sa singularité en peignant des tableaux en apparence non terminés. C’est elle qui va le plus loin parmi les impressionnistes à donner un aspect non-fini. C’est elle qui décide, elle ne respecte pas les critères habituels. Elle capture une urgence, une contemporanéité, une ambiance.

Morisot c’est l’aventure de l’œil
Morisot capte la matière qui devient couleur, rose, bleu verte, blanche.
La relation de Morisot au réel est très déterminée. Le réel est, ce qui l’enchante. Elle a l’amour de la nature et du paysage.
Elle peint en plein air.

Morisot travaille avec sincérité et de tout son cœur.
Dans sa représentation du paysage, l’eau est un élément capital.

Ainsi Jour d’été ne montre pas seulement les divertissements de la classe moyenne.
Elle se sert du plan d’eau éclaboussé de lumière, pour infuser ses rêveries dans un paysage lumineux.

Peindre en plein-air à la recherche de la vérité.
Elle sait saisir des moments délicats, pleins de fraîcheur.
Jour d’été est un moment de bonheur au bord de l’eau.
Un bref instant, peint en plein air.

Morisot transgresse constamment les préjugés de la peinture féminine.
Comme dans Eugène à l’île de Wight -1875 où elle inverse les rôles en représentant l’homme dans un intérieur regardant par la fenêtre ouverte une femme et un enfant se promenant. Elle peint une série d’écrans, produisant des effets de tableau dans le tableau.

A son époque il faut beaucoup de caractère en tant que femme, pour être engagée dans un projet artistique. Morisot a mené ce combat toute sa vie.
Affichant son intérêt pour la vie moderne et tournant le dos aux sujets religieux. Elle exploite l’aspect domestique de la vie moderne.
Elle montre la vie intime. Elle peint Les femmes à leur toilette.
Ce qui l’intéresse c’est l’intemporalité.
Elle cherche l’impalpable. Elle veut saisir le temps qui passe.

Elle crée des espaces qui n’obéissent pas aux lois de la perspective traditionnelle, il y a des miroirs qui ne reflètent pas ce qu’ils devraient reflétés, il y a des fenêtres qui ne se ferment pas, des fleurs sont dehors et dedans,

Dans Les blanchisseuse -1881, Morisot peint à même la toile, sans couche préparatoire, elle obtient un effet de transparence, la toile affleure dans les draps et à travers le feuillage. Ce tableau fait très rapidement, esquissé est l’un de ceux qu’elle a le plus exposé.
Morisot restitue une impression, une toile en prise directe avec la vie.

Berthe Morisot est une artiste radicalement engagée dans l’invention de la modernité.

 

Conclusion

L’œuvre de Berthe Morisot est reconnue à une époque où l’école des beaux-arts refuse les élèves femmes, puis oubliée au XXe.
Ses œuvres sont pour la plupart dans des collections privées et elle n’a pas la réputation des chefs de file impressionnistes figurant dans les musées.

Elle est redécouverte au début du XXIe à la faveur d’expositions consacrées à l’impressionnisme. Notamment une exposition à l’Orangerie organisée pour célébrer le centenaire de sa naissance.
C’était en 1941, à partir de ce moment on l’a regardée autrement.

Aujourd’hui nombre de ses tableaux sont conservés dans les plus grands musées.
Le musée Marmottant à Paris en possède plus de 80.

Degas Renoir et Monet furent des peintres impressionnistes avec lesquels elle était liée. Renoir a souvent réalisé des portraits de sa fille. Il sera toute sa vie un véritable soutient sur lequel elle a pu compter. Mallarmé, Monet, Degas et Renoir tiendront la promesse faite à Berthe, à savoir qu’ils continueront de prendre soin de Julie, sa fille.

« La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d’observation contre action, de volonté créatrice contre lumière » Paul Valery.

Berthe Morisot grande artiste de la lumière a été le cœur battant de l’impressionnisme.

PS : Retrouvez demain, comme tous les dimanches, les tableaux cités dans le commentaire. Bonne lecture, bons voyages dans les lumières.