Jeune lièvre – 1502 Albrecht Dürer

Albrecht Dürer (1471-1528)


Jeune lièvre

1502

Aquarelle sur papier

Dim 25 x 22,5 cm

Conservé à Vienne au palais Albertina

Le peintre

Né à Nuremberg, centre artistique et commercial florissant, Dürer se forme d’abord auprès de son père orfèvre, puis du peintre local Michael Wolgemut, dont l’atelier réalisait également des illustrations de livres.
En 1490, lors de son séjour en Alsace et à Bâle, il s’exerce à la gravure.
Dürer révolutionna la gravure, en faisant un art à part entière, avec des thèmes plus variés et de plus grandes possibilités de nuances tonales. Cette technique n’avait jamais connu une telle dimension intellectuelle et psychologique.
Fasciné par l’antiquité et sa transmission par les artistes et théoriciens de la Renaissance italienne, Dürer se rendit deux fois en Italie.
En 1494-1495, puis de 1505 à 1507 afin d’étudier les œuvres antiques et le travail des maîtres contemporains.
Cette expérience attisa son intérêt pour la forme humaine comme l’attestent non seulement des œuvres connues, telle Adan et Eve -1504. Il rédigea un manuel d’introduction à la théorie géométrique à l’intention des étudiants, qui comprend le premier traité scientifique de la perspective écrit par un artiste d’Europe du Nord.
En 1520-1521, il se rendit aux Pays-Bas pour étudier le travail des maîtres et promouvoir ses gravures.

Peintre et graveur de grande renommée, Albrecht Dürer est aussi un théoricien des arts et du dessin, suivant ainsi l’exemple des artistes de la Renaissance italienne, comme Pierre della Francesca ou Léonard de Vinci.
Dürer est un artiste cultivé unique en son genre dans les contrées germaniques. Dürer se comportait d’égal à égal avec les lettrés de son temps.

 

Le tableau

Pour peindre ce tableau très réaliste, la taxidermie n’étant apparu qu’au XVIIIe, Dürer s’est inspiré uniquement de son observation des animaux.
Il fait preuve d’une acuité visuelle et d’une mémoire époustouflantes.

Le monogramme et la mention de l’année indiquent qu’il s’agit d’une œuvre achevée.

À la fin du XVIe cette aquarelle a déjà été copiée une douzaine de fois.

À la mort de Dürer, le tableau est vendu par ses héritiers.
Le tableau passe entre les mains de l’empereur Rodolphe II en 1588, qui l’emporta à Prague après l’avoir acquis auprès des descendants d’un célèbre collectionneur contemporain de Dürer, Willibald Imhoff.
En 1631, l’empereur Ferdinand II transfère la collection de Rodolphe II du château de Prague à la Hofburg de Vienne.
À partir de 1783, le tableau intègre la Bibliothèque impériale, puis est vendu en 1796, au Duc Albert de Saxe-Teschen, dont les collections sont à la base du musée Albertina.

Admirer ce tableau au musée Albertina est une gageure.
Le Jeune lièvre est exposé trois mois puis, disparait pour cinq ans à l’abri de la lumière dans une pièce au taux d’humidité inférieur à 50% pour que le papier puisse se reposer correctement.
La dernière exposition date de 2019 alors, avec un peu de chance …

 

Composition

Le lièvre est l’élément central

Dürer le met en scène comme un personnage.

Le lièvre est représenté de trois-quarts gauche et son expression révèle une grande expressivité. Assis sur ses pattes arrière, les pattes avant repliées sous le corps, les yeux attentifs, les oreilles dressées, le lièvre donne le sentiment d’être monté sur un ressort, prêt à bondir.

Dürer l’a représenté sorti de son contexte, comme une sculpture antique, le lièvre est entouré du vide de la feuille, juste quelques traces d’ombre.

La posture du lièvre est à la fois gracieuse et élégante.

Cette mise en valeur témoigne du respect du peintre pour l’animal.

Cette représentation est si fidèle à la réalité qu’on aperçoit dans la pupille du lièvre, le reflet de la fenêtre de l’atelier de Dürer.

Le lièvre a les yeux sur le regardeur.

La peinture à l’eau permet l’extrême précision des détails et permet de créer une image subtile et délicate avec des effets de transparence et de luminosité.
La fourrure du lièvre est impressionnante de réalisme.
Dürer a dessiné les poils un à un.
La délicatesse du traitement témoigne du talent de Dürer pour les représentations naturalistes.

La grande précision et la grande finesse de ce lièvre montrent que Dürer a peint cet animal avec l’attention accordée à un portrait d’être humain.

Dürer complice du lièvre, lui rend un hommage vibrant.

 

Analyse

Pout toutes ses œuvres, des peintures à l’huile aux gravures et aux aquarelles délicates, Dürer exploite son œil acéré et curieux.
Il utilise en particulier l’aquarelle pour illustrer les sujets liés à la nature, animaux, plantes, paysages découverts lors de ses voyages, en se fondant sur une observation minutieuse.

Dürer a un don d’observation exceptionnel joint à une maîtrise technique qui témoigne de la grande subtilité de nuances dans les couleurs et les lignes du pelage.

Son analyse attentive conjuguée à son talent de dessinateur, lui permettent de reproduire avec précision ce jeune lièvre.

Il a su capter les nuances de la fourrure et la posture avec une précision quasi scientifique.

 

I-   La virtuosité de l’artiste est sidérante.

Dürer a longuement observé l’animal, le peintre est doté d’une incroyable mémoire visuelle.

Dürer a capturé le pelage doux et long du ventre et des cuisses ainsi que le poil court sur le dos. Il a travaillé les poils un par un y compris les poils tactiles de la moustache. Il a rendu les vibrations de la fourrure.

Le directeur du musée Albertina, Klaus Albrecht Schröder,  précise :
« Avec le Lièvre, Dürer a créé quelque chose de révolutionnaire : une reproduction impartiale de la nature. Ceci nécessitait de la part de l’artiste un détachement considérable, que l’on pourrait qualifier de scientifique, par rapport à son objet. En même temps, Dürer dotait son lièvre d’une âme. Il ne s’agit pas d’une nature morte ou d’un objet mort mais d’un être vivant de chair et de sang. Avec une œuvre comme celle-ci, Dürer quitte le Moyen-Âge et prouve qu’il est l’un des pionniers de l’humanisme et de la Renaissance moderne »

Dürer a utilisé la technique de l’aquarelle pour créer son Lièvre.

Il dilue les pigments dans de l’eau pour créer des effets de transparence et de luminosité.
Il utilise plusieurs pinceaux pour obtenir des textures différentes et dessiner la fourrure du lièvre.
Dürer a utilisé cette technique pour créer une représentation détaillée et réaliste du lièvre, en utilisant les blancs du papier pour rendre les parties les plus claires du pelage. En utilisant la blancheur du papier il crée des effets de lumière.
Il en résulte une image délicate qui met en valeur l’élégance du lièvre.

II-   Le lièvre a une signification symbolique dans l’œuvre de Dürer

À l’époque de la Renaissance, le lièvre était souvent représenté dans l’art, que ce soit dans les peintures, les gravures ou les tapisseries.
Dans l’œuvre de Dürer le lièvre est un motif qui revient régulièrement.
L’animal est lié à la tradition de la chasse. Le lièvre était souvent représenté en train d’être chassé.
L’animal est souvent associé à la rapidité, à l’agilité et à l’idée de la fugacité et de l’éphémère.

Le lièvre renvoie à la nature éphémère de la vie humaine.

III-   Les suiveurs

Hendrickx Goltzius La circoncision -1594 Gravure conservée à Londres au British Museum. Cette gravure imite l’éclat argenté de Dürer. Van Mander (peintre et écrivain flamand (1548-1606) a écrit un recueil de biographies de peintres des anciens Pays-Bas et du Saint-Empire romain germanique) raconte que Goltzius donna à un tirage une apparence ancienne, pour faire croire aux collectionneurs qu’elle était de Dürer. Goltzius semble s’approprier l’héritage de Dürer, nordique lui aussi, en le transposant chez lui, à Harlem.

Le scarabée de Gheyn est peut-être un hommage partiel à la célèbre aquarelle de cet insecte, peinte par Dürer en 1505.

Sur un tableau à volets daté de 1515, conservé au musée d’Anvers, Cornelis Buys a copié l’Eve de la planche de Dürer dans son Traité des proportions du corps humain -1504. Dürer a également gravé un Adam et Eve en 1504.
En 1592, Cornelis van Haalerm s’en inspire, conservé au musée des Beaux-Arts de Qimper.

En 1979, Jeff Koons a créé une sculpture géante en acier inoxydable d’un lapin qui ressemble beaucoup au lapin de Dürer

En 2018, Hermès a sorti une collection de foulards, avec un foulard reproduisant le lièvre de Dürer

 

Conclusion

Le talent, l’ambition et la vaste culture de Dürer attirèrent l’attention des élites politiques et intellectuelles européennes.

Il travailla pour Maximilien 1er et Charles Quint et se lia d’amitié avec de nombreux théologiens et érudits, dont des humanistes tels Érasme (grande figure de l’humanisme du XVIe), Philippe Melanchthon (docteur en théologie, disciple de Martin Luther) et Willibad Pirckheimer (célèbre juriste et humaniste), dont il réalisa un grand nombre de portraits très réalistes, captant leur esprit aussi bien que leurs traits.

Artiste prolifique, Dürer créa quelque 60 peintures, un millier de dessins et aquarelles, quelques 250 gravures sur bois, environ 100 estampes, 6 eaux-fortes et 3 pointes-sèches.

Il fut le premier artiste allemand à reproduire et à vendre ses œuvres à grande échelle en exploitant les avantages de la gravure : reproductibilité, possibilité de réutiliser les planches de bois et de cuivre et large diffusion.

Albrecht Dürer domine l’art du nord de l’Europe au début du XVIe.

Son ambition n’a d’égal que son talent.
Peintre, dessinateur et graveur remarquable, il sait promouvoir son œuvre grâce à ses gravures, ainsi que son image d’aristocrate de l’art grâce à ses superbes portraits.