Jésus parmi les docteurs – 1506 Dürer

 

Albrecht Dürer (1471-1528)

 

Jésus parmi les docteurs

1506

Huile sur panneau de bois de peuplier

Dim 64,3 x 80,3 cm

 

Conservé au musée Thyssen-Bornemisza à Madrid -Espagne

 

Le peintre

Albrecht Dürer nait à Nuremberg, ville située au cœur de l’Allemagne. C’est l’une des capitales de l’Humanisme, enracinée dans la tradition gothique.
Son père y exerce le métier d’orfèvre.
Dürer commence sa formation auprès de son père.
En 1486 il est apprenti dans l’atelier du peintre local Michaël Wolgemut. Pendant trois ans il apprend les techniques du dessin, de l’aquarelle, de la gouache, de la peinture à l’huile, de la gravure sur bois pour l’illustration des livres.
En 1490, il entame son périple de compagnon et enrichi ses connaissances en gravures et dessins auprès des frères de Martin Schongauer, les éditeurs Nicolas Kessler, Johann Amerbach et Michael Furter.
Dürer révolutionne la gravure.
Il porte la technique de la gravure à un point de perfection sans précèdent.
Fasciné par l’Antiquité et sa transmission par les artistes et théoriciens de la Renaissance italienne, Dürer se rendit deux fois en Italie. L’objectif de ces voyages était de se perfectionner dans son art.
D’abord en 1494, il séjourne principalement à Venise. À son retour il exprime sa sensibilité pour la nature dans des aquarelles marquées par la perspective linéaire.
En 1495, de retour à Nuremberg Dürer ouvre un atelier, il a 24 ans.
Puis de 1505 à 1507, Dürer fait un second séjour en Italie. Il étudie le travail des maîtres contemporains. Il est reçu dans les ateliers des Vivarini et des Bellini. Il peint en quatre mois le retable de La fête du rosaire –1506, un certain nombre de portraits et Jésus parmi les docteurs
De retour à Nuremberg il reprend son activité de peintre et de graveur. C’est dans ses estampes et ses gravures sur bois et cuivre, que Dürer trouve le moyen d’expression le plus libre et le plus lucratif.
En 1518, il siège à la Diète d’Empire qui se tient à Augsbourg et fait parti du grand conseil de la ville de Nuremberg.
En 1520, il voyage pour la dernière fois aux Pays-Bas. Il séjourne à Bruges et Gand où il admire les œuvres de Van Eyck et Van der Weyden et où il promeut ses gravures.
Le talent, l’ambition et la culture de Dürer attirèrent l’attention des élites politiques et intellectuelles européennes.
Deux grands mécènes s’intéressent à lui, le Prince-Électeur de Saxe, Frederic III de Saxe -à son premier retour d’Italie et l’empereur Maximilien 1er de Habsbourg -à son second retour d’Italie, ainsi que Charles Quint.
Il se lie d’amitié avec de nombreux théologiens et érudits.

Dürer est un artiste prolifique, il créa 60 peintures, un millier de dessins et d’aquarelles, quelque 250 gravures sur bois, environ 100 estampes, 6 eaux fortes et 3 pointes-sèches.

Les dernières années de sa vie, il se consacre à la rédaction de traités. Il publie Instruction sur la manière de mesurer en 1525, Instruction relative aux fortifications des bourgs, villes et châteaux en 1527 et Traité des proportions du corps humain en 1528.
Il est enterré à Nuremberg.

 

Le tableau

Dürer a peint ce tableau durant son second séjour à Venise, il a trente-quatre ans et a atteint sa maturité de peintre.

Sur le signet qui dépasse du livre, en bas à gauche du panneau, Dürer indique que ce tableau est « l’œuvre de cinq jours », « opus quinque dierum ».

Le tableau illustre un épisode de l’évangile selon saint Luc au cours duquel Jésus de Nazareth âgé de douze ans échappe à la surveillance de ses parents et se rend au Temple de Jérusalem où son savoir impressionne les « docteurs de la Loi ».

Le thème de « Jésus parmi les docteurs » a déjà été traité par Dürer, dans un panneau du Polyptique des Sept Douleurs -1500 et dans la gravure n°15 de sa scène La vie de la Vierge -1503

 

Composition

Jésus est en visite au temple de Salomon, à Jérusalem, où il converse avec les docteurs du savoir. Dürer représente six docteurs de la Loi entourant jésus.

C’est un petit tableau.
La composition compresse les personnages, représentés en gros plan, à mi-corps, ils occupent toute la scène sur un fond noir.
Ce choix des proportions met l’accent sur les traits des visages.
Dürer peint avec précision les moindres détails.

Le cadrage de la composition scrute en profondeur les expressions des visages.

Ce groupe de visages très expressif évoque les peintures de Jérôme Bosch.

Le centre du tableau ce sont les mains.
La composition est centrée sur le mouvement des mains.
Les mains de Jésus démontrent, l’index de la main droite appuyé sur le pouce de la main gauche. Il est contredit par les mains du docteur dont la main gauche cherche à temporiser tandis que la main droite cherche à prouver.
Cette dispute muette nous évoque Léonard de Vinci.
Dürer infuse ainsi une grande énergie au tableau.

Dürer attache de l’importance à la structure et à la ligne.
Les lignes qui passent par les personnages forment des cercles qui font écho au cercle formé par les mains au centre du tableau. Ces lignes vibrent comme un brouhaha, un son. On entend les conversations.

La lumière entre par la gauche du tableau, elle module les visages, s’attarde sur la grande moustache du docteur à droite de la composition, flashe sur le groupe des mains au centre et devient l’aura qui illumine Jésus.

Le bleu, le vert et des nuances de marrons dans des teintes de terre déclinent les draperies.  Les draperies sont simples et fermement modelées.

Le coup de pinceau spontané et l’application fluide de la peinture suggèrent une certaine rapidité d’exécution.

 

Analyse

I – Le tableau parle avec les mains –

Le jeu des mains est le nerf de la guerre, la pièce maitresse du tableau.

 Dürer garde le contrôle de l’ensemble de la scène.
Il se préoccupe du contraste des expressions entre les visages et les mains.
Si Jésus est au centre du groupe des docteurs, il n’est pas au centre du tableau, ce sont ses mains et celles d’un docteur qui occupent le centre.
Les mains s’expriment et créent le rythme. Les visages en sont le contrepoids.
Ce jeu de mains crée un tourbillon scandé par les livres ouvert, entre-ouvert et fermé. Il évoque le flot de paroles, de questions.
L’atmosphère qui se dégage est puissante, âpre, elle éclaire Jésus.

Dürer travaille son rapport entre figures et espace.
il recherche un équilibre entre la parole et les personnages.

Ce choix de composition fait ressortir le grand calme et l’assurance de Jésus.
Aucun détail n’est laissé au hasard.

II – Dürer est profondément influencé par les peintres contemporains italiens :

Le traitement de la perspective et de la représentation proportionnée du corps humain de Léonard de Vinci à Milan,
Le traitement du portrait de Mantegna à Padoue et
Les couleurs et le naturalisme de Giovanni Bellini à Venise où il se fixe.

 Ce tableau est une synthèse des influences de Dürer.
On détecte Bosch, Léonard de Vinci et Bellini.

 Le regard de Dürer est filtré par le regard de Bellini.
Cette composition évoque l’adaptation que fit Bellini du tableau de Mantegna La présentation au temple.  1453 pour Mantegna, 1470 pour Bellini.
Le visage de Jésus exprime la douceur des portraits de Giovanni Bellini.

Les portraits en buste de jeunes hommes et femmes peints vers 1505 et 1507 sont entièrement dans le style de Bellini.

A Venise Dürer découvre le rôle essentiel de la couleur.
Il intègre dans sa palette toute les influences créatrices.

Attentif aux aspects humains des tableaux de Venise, il émane de Jésus parmi les docteurs une chaleur et une vivacité d’expression qui définissent le style de Dürer.

Ce tableau avec L’adoration des mages –1504, marque le début de l’âge classique de la peinture allemande.

 

Conclusion

Dürer est le peintre allemand le plus populaire. C’est un peintre voyageur, pluridisciplinaire, novateur et humaniste.

Il est souvent considéré comme le plus grand peintre allemand de tous les temps.

Dans l’histoire de la Renaissance européenne, Albrecht Dürer domine l’art du nord de l’Europe au début du XVIe.
Les artistes flamands accomplissent le passage de la tradition plastique médiévale et du gothique flamboyant à l’art classique, en prenant Dürer pour guide.

Son ambition n’avait d’égal que son talent.
C’est un dessinateur exceptionnel.
Il savait tout faire dans le domaine des arts graphiques, dessin, gravure sur bois et cuivre, huile, aquarelle et gouache.
Il savait promouvoir son œuvre grâce à ses gravures (ses estampes se vendent dans toute l’Europe) ainsi que son image d’aristocrate de l’art grâce à ses remarquables autoportraits.
Il connait de son vivant une célébrité internationale.

Tout au long de sa carrière Dürer a recherché une définition de la beauté.
La ligne vibrante des modèles inspirés de la statuaire antique, la tension dynamique qu’ils renferment, exercent une impression définitive sur la sensibilité de Dürer, dessinateur, graveur et peintre.
S’il est influencé par les peintres italiens, il n’idéalise pas la beauté formelle. Ses Vierges conservent une épaisseur physique très humaine.
Sa sensibilité est proche des peintres flamands.

Dès le XIIIe les Vénitiens s’intéressent à l’art des pays du nord de l’Europe en même temps qu’ils faisaient des affaires avec eux.
Les influences artistiques furent réciproques.

Dürer sera une référence pour les artistes de la Renaissance italienne comme Raphaël, les Carrache et leur style néo-classique, le Caravage et son style maniériste, Andrea del Sarto ou Guido Reni.