Jaune, Rouge, Bleu – 1925 Vassily Kandinsky

Vassily Kandinsky (1866-1944)

 

 

Jaune-Rouge-Bleu

1925
Huile sur tissu
Dim 128 x 202 cm

Conservé au M.N.A.M (Beaubourg) -Paris

 

Kandinsky découvre le tableau de Monet Les Meules exposé à Moscou en 1895 :

« Je n’ai pas tout de suite reconnu le sujet de cette peinture ; cette incompréhension me troublait et m’agaçait. Je sentais sourdement que le sujet manquait dans cette œuvre, mais je constatais aussi qu’il s’en dégageait la puissance d’une palette qui dépassait tous mes rêves. Le sujet n’était donc pas indispensable au tableau ».

Kandinsky vient d’avoir la première révélation d’une peinture non figurative.

Kandinsky est l’un des fondateurs de l’art abstrait -non figuratif. Aux côtés de Picasso et de Matisse, c’est un artiste important de ce XXe siècle.

Né à Moscou, Kandinsky est formé et travaille à Munich où il expose.
Ses toiles sont également exposées à Berlin et à Paris.

En 1926, Kandinsky écrit et publie Point et ligne sur plan.

La plupart des toiles du peintre de cette époque sont l’expression pratique de ses idéaux théoriques : une interprétation intuitive et poétique. 

Kandinsky, en tant qu’écrivain, est cohérent et méthodique, mais lorsqu’il travaille sur la toile avec des figures et des couleurs, il devient sensuel et impulsif. 

 

Sujet 

C’est l’histoire de la rencontre du soleil et de la lune.
À gauche, le jour, le jaune, à droite, la nuit, le bleu et au milieu le rouge pour l’aube.

 

Composition

L’œuvre se compose de deux parties qui s’opposent :
Lignes géométriques
 à gauche, Formes libres à droite.  –
les formes géométriques : cercles, demi-cercles, ronds, triangles, rectangles ; les formes libres : traits fins et épais et formes biomorphiques.

L’accent principal est mis sur les trois couleurs primaires.
De gauche à droite les jaune, rouge et bleu, articulent et dominent la composition. Leur superposition en transparence renvoie à leur combinaison.

Kandinsky met en scène l’opposition entre le jaune chaud, lié au mouvement, et le bleu froid, stable, lié à la forme du cercle.

La partie jaune est lumineuse, légère, des fines lignes droites et noires l’accompagnent, évoquant le soleil par la couleur et par les obliques. Elle s’inscrit sur un fond pâle aux bords bleu-violet où la peinture est appliquée de manière à produire la sensation d’un ciel avec ses nuages.

A l’opposé, la partie droite est sombre, l’obscure rotondité lunaire, le cercle bleu se détache sur un fond jaune clair, rythmé par la ligne serpentine noire.

Entre les deux polarités du jaune et du bleu, se déploie une myriade de formes et de couleurs: les rectangles rouges, des damiers en couleurs ou en noirs et blancs. Le vert et l’orange sont visibles dans les carrés superposés au-dessus du cercle bleu sur la droite. Une aura orangée entoure le rectangle jaune sur la gauche et le fait ressortir. Le violet s’immisce dans la composition depuis le coin intérieur gauche. Les surfaces se chevauchent et se lisent en transparence. Deux formes biomorphiques aux nuances grises, comme deux plumes, coiffent le cercle bleu.

Toutes les couleurs sont représentées.
Elles sont apposées par aplats ou par transparence en dégradés.

Les éléments s’équilibrent et se répondent dans un jeu d’oppositions et de complémentarités.

Le tableau est structuré par des lignes géométriques à gauche du tableau, les ondulations de la ligne d’horizon dans le bas du tableau et les lignes de fuites, la ligne serpentine à droite du tableau.
Ces différentes perspectives donnent la profondeur au tableau.

Ce tableau miroitant et mystérieux interpelle le spectateur.
C’est un univers de rêves où le spectateur fait sa propre interprétation.

Kandinsky s’exprime à propos des couleurs et de leur « naissance » : « Jaune et bleu par rapport au rouge… Phébus et la Lune s’évitent et se retrouvent quand même entre jour et nuit comme l’aurore et le couchant. Naissance mystérieuse du rouge par la tendance simultanée à l’éloignement et à l’ascension du jaune et du bleu. »

 

Analyse

La dissociation de la peinture et du sujet

À la fois peintre et théoricien, Kandinsky a donné une nouvelle définition aux formes et aux couleurs.

Kandinsky : « La création d’une œuvre, c’est la création du monde »

Ce monde n’est pas à l’image du réel, c’est « une création ne répondant qu’à la nécessité interne au tableau » écrit Kandinsky

Kandinsky souligne qu’il ne faut pas se borner à voir la nature, mais qu’il faut la vivre.

Jaune-Rouge-Bleu est un tableau de grandes dimensions.
Avec ses signes et ses contours, ce tableau a un aspect spectaculaire.

Dans ce rectangle aux dimensions parfaites, « Soleil » et « Lune » se donnent rendez-vous.

Soleil sous la forme d’un visage vu de profil, lune qui se diffracte dans l’échantillonnage des bleus, violets, roses, en un bouillonnement de courbes et contrecourbes, de lignes obliques et ondulées, auxquelles s’ajoutent rectangles et carrés en suspension comme un jeu de cartes flottant dans la vacuité des aires.

Dans cette œuvre Kandinsky met en relation les couleurs et les formes, rondes, triangulaires ou carrées, et les lignes ouvertes ou fermées.
Le jaune (chaud et agressif) et le bleu (mystique et froid) fonctionnent comme deux zones fondamentales.

La couleur provoque une vibration psychique, une note qui touche l’âme.
Le noir et le blanc sont égaux au silence pour Kandinsky.
La forme circulaire noire-consumée- est réchauffée par le rouge (passionné) qui l’entoure.
Les triangles expriment le mouvement et les cercles la stabilité.
Les cercles dominent et impriment un effet statique
Les auras colorées autour des cercles sont les motifs favoris de l’artiste.
Tous les éléments sont suspendus dans l’espace du tableau.

Kandinsky écrit : « La composition n’est qu’une organisation précise et logique des forces vives contenues dans les éléments sous forme de tension ».

L’identification visuelle des formes et des principales masses colorées présentent sur la toile nécessite une observation, non seulement des formes et des couleurs utilisées dans la peinture, mais également de leur relation, de leur position, de leur disposition sur la toile et de leur harmonie d’ensemble.

La couleur est un équivalent de l’expression et l’expression d’un sentiment.

À propos de Jaune-Rouge-Bleu Kandinsky écrit : “Ma partie gauche est géométrique. On y voit des lignes droites fines, des carrés, des rectangles, c’est clair et ensoleillé. À droite, en face, c’est la ligne courbe, le geste manuel sur des couleurs plus sombres, plus froides, le bleu. Et au milieu, le rouge ».

Selon Kandinsky le point est « un cercle idéalement petit » et l’élément le plus pur et le plus fondamental de la peinture. Il est fixe en lui-même mais peut former une ligne mouvante ou un plan statique. Le cercle est le plus statique des plans (formes en deux dimensions) et en tant que tel, il ne génère pas de mouvement par lui-même mais bouge s’il est placé en tension avec d’autres formes.

Pour Kandinsky l’impression trouve son origine dans l’impression directe de la nature. Et les couleurs sont rarement descriptives d’un point de vue naturaliste.

La composition est une création consciente souvent précédée d’études.
Kandinsky réalise de nombreuses aquarelles où apparaissent clairement des motifs figuratifs (montagnes, soleils, barques), il s’inspire de paysages et de motifs reconnaissables, qu’il dépasse et dissimule intentionnellement.

Ses formes individuelles deviennent sur les toiles des hiéroglyphes, suspendus ou en mouvement rotatif.

Le peintre suggère que les couleurs ne peuvent être définies et contenues géométriquement que jusqu’à un certain point.
Kandinsky s’intéresse aux effets psychiques des couleurs et se fonde pour cela sur les théories scientifiques comme la chromothérapie.

Il utilise les couleurs comme des atmosphères.

Ainsi, le jaune donne une impression de chaleur analogue à une sonorité aigüe.

Comme la spiritualité, les couleurs sont organiques et toujours en mouvement.

« Le spirituel est du ressort de la peinture qui agit directement sur les sens et sur l’émotion ».

La peinture est un art, une puissance.
La toile est réussie si les couleurs et les formes déterminent des impressions particulières, véhiculent des sensations différentes, si elles transmettent un sentiment au spectateur. Raison, conscience et intention jouent un rôle majeur mais, du calcul, rien ne doit paraître, hors le sentiment.

 

Conclusion

Kandinsky souhaite que le public perçoive son travail avec émotion.

Le peintre consacra sa vie au développement des possibilités évocatrices de la forme et de la couleur, qu’il considère comme les deux « armes » de la peinture.

Il en fit le premier art véritablement abstrait du XXe siècle.

Grâce à Monet Kandinsky découvre que la couleur est plus importante que l’objet représenté.
Grâce à Rembrandt Kandinsky comprend la musicalité de l’ombre et de la lumière.
Grâce à Wagner Kandinsky a posé des couleurs sur les sonorités.

Parce que les sonorités musicales expriment l’âme de l’artiste.
Kandinsky s’intéresse à l’analogie entre l’art abstrait et la musique.
Il cherche un langage abstrait qui, comme la musique, provoquerait de grandes émotions chez le public.

L’unité thématique de la série des Compositions (réalisées de 1911 à 1939), permet de considérer ces tableaux -dont Jaune-Rouge-Bleu, comme autant de mouvements d’une symphonie musicale.