Intérieur avec une jeune femme vue de dos – 1904 – Vilhem Hammershøi

 

Vilhem Hammershøi (1864-1916)

 

Intérieur avec une jeune femme vue de dos

1904

Huile sur toile
Dim 60,5 x 50,5 cm

Conservé au Randers Kunstmuseum au Danemark

 

Le peintre

Le peintre fréquente l’académie des Beaux-Arts de Copenhague entre 1789 et 1884 tout en suivant les cours des Ateliers libres, sous la direction de Kroyer, entre 1883 et 1885.
En 1887, Vilhem Hammershøi voyage en Hollande et en Belgique.
En 1889, il visite Paris et présente quatre toiles à l’Exposition universelle.
La qualité unique de sa peinture est perçue par quelques collectionneurs, parmi lesquels Alfred Bramsen qui acquiert des tableaux dès 1888.

Vilhem Hammershøi est un artiste sans frontière ouvert et attentif aux expérimentations esthétiques de ses contemporains, comme, les belges Khnopff et Mellery, le polonais Pankiewicz, l’américain Whistler ou les français Puvis de Chavannes et Eugène Carrière.

 

Le tableau

Entre 1900 et 1909, Vilhem Hammershøi peint une vingtaine d’intérieurs, avec ou sans personnage.

Le peintre porte à son paroxysme le principe de simplification et d’épure, en faisant de son appartement le seul et unique sujet de ses tableaux.

Les intérieurs de Vilhem Hammershoi sont presque toujours des représentations de son domicile de Copenhague, meublé simplement et peint de tons sourds.

Ses effets singuliers, camaïeux de gris, cadrage serré, espace vide, temps suspendu caractérisent sa manière de fabriquer une image.

Vilhem Hammershøi peint la silhouette solitaire et captive de sa femme Ida.

 

Composition

Une douce lumière nimbe la scène.
La jeune femme occupe le premier plan
Au second plan un piano sur lequel est posé une soupière

La profondeur est pratiquement inexistante.
Sur le mur du fond, en haut à gauche de la composition, le regardeur aperçoit un morceau de cadre.

C’est une composition de lignes droites, brisées seulement par les diagonales du plat argenté et du bras gauche de la jeune femme.
Une composition a angles droits, parfaitement équilibrée.

Vilhem Hammershoi a peint un mouvement arrêté.  C’est un cadrage photographique.
Le cadre et la jeune femme sont coupés.
La soupière posée sur le piano est l’élément le plus détaillé de la composition.
La jeune femme, juxtaposée à ces objets, semble appartenir à une nature morte.
Sa tête est légèrement inclinée vers la droite, un mèche rebelle s’échappe du chignon, le regardeur l’entend penser. Elle est dans l’attente.

Le vide mural crée une distance qui renforce l’isolement de la jeune femme.

La jeune femme tient appuyé sur sa hanche gauche un grand plat en argent ou en étain.
La soupière est peinte avec minutie, elle est blanche avec un décor bleu.
Le morceau du cadre que l’on voit est gris foncé, une couleur sans motif.
Le meuble est mystérieux. J’ai pensé à un piano parce qu’il n’y a pas de pied mais, ce pourrait être une console encrée dans le mur.

Les teintes sont sourdes, du noir pour la jeune femme, du gris pour le mur, un brun foncé pour imiter le bois du piano. Ce sont des couleurs douces.

La lumière qui éclaire cette toile arrive dans notre dos.
La lumière distille une atmosphère où le temps est suspendu.
La lumière aussi est douce, elle enrobe la scène de secret.

Cette toile est intemporelle.

 

Analyse

À la fin du XIXe et début du XXe, Vilhem Hammershøi, fait partie de ces artistes qui s’attachent à examiner et à dépeindre de façon troublante la sphère familière et confortable de l’intérieur familial.
Indissociable de l’intérieur domestique, la femme occupe un espace traditionnellement considéré comme féminin.

Vilhem Hammershøi s’inspire de la peinture néerlandaise du XVIIe et s’intéresse à l’atmosphère créée par l’éclairage de la pièce, son décor et son contenu, le personnage apparaissant comme un accessoire dans un lieu mis en scène et soigneusement équilibré.

Le regardeur devient témoin d’une scène destinée à rester privée.
L’artiste lui donne accès à son univers intime.
La tête de la jeune femme est plongée dans l’ombre et saisie en plein mouvement.
Tout n’est que mystère dans l’attitude de la jeune femme et dans le cadre qui l’entoure.

Vilhem Hammershøi a peint un mouvement arrêté. La jeune femme semble hésiter. Le panneau de mur gris dont les angles stricts de sa régularité sont repris en écho par le cadre tout proche, bloque son regard. Que lui inspire ce mur ?
Pourquoi le peintre l’a-t-il peinte de dos.
Il en fait un élément au même titre que la soupière ou le cadre.

En refusant de représenter la jeune femme de face, en refusant de peindre un portrait, le peintre affirme sa liberté de choix et témoigne d’un vrai moment de vie.

Le peintre installe un paradoxe, entre la remise en question d’un certain conformisme et la volonté délibérée de soumettre la représentation picturale à une technique réaliste minutieuse dans une tradition qui remonte aux peintres flamands.

Cadré comme une photographie, Vilhem Hammershøi peint un mouvement arrêté, la jeune femme va poser le plateau qu’elle tient appuyé sur sa hanche.

Le peintre a un souci de réalisme.
Le cadrage est osé ; La jeune femme est amarrée au piano, ce rectangle coloré contraste avec la pâleur des autres surfaces.
La jeune femme, arrêtée dans son mouvement, attend.
Le plateau, vu sur sa tranche, fait apparaitre cet objet circulaire, comme une ligne argentée.
L’artiste a métamorphosé un simple plateau en une ligne légère et fine, accolée au corps de la jeune femme.
Vilhem Hammershøi donne de l’importance à cet objet par sa taille et son emplacement.
Le peintre souligne le galbe de la hanche.

Vilhem Hammershøi nous parle de la tranquillité de la vie d’une jeune femme dans son intérieur net, dépouillé et ordonné.

Cet intérieur est une étude d’atmosphère.
Vilhem Hammershøi peint une atmosphère de silence.

Vilhem Hammershøi invite avec subtilité et mystère le regardeur à la contemplation.
Son tableau n’est ni fade, ni ennuyeux.
Le peintre nous parle de l’âme de la jeune femme en la peignant de dos.
Il s’attarde sur le silence.
La nuque inclinée, les cheveux électriques, la jeune femme est vivante, elle a docilement arrêté son mouvement. Elle se coule dans cette atmosphère repliée sur elle-même. Elle nous offre son cou vulnérable qui évoque une extrême fragilité de l’instant.

Loin du vacarme et de l’agitation du monde.
Sans visage, sans regard, la jeune femme de dos s’efface à elle-même autant qu’au regardeur.
Vilhem Hammershøi a capté une empreinte de la jeune femme qui dégage une grande force.

La jeune femme est figée dans un temps suspendu.
Une jeune femme dans un temps et un espace qui n’appartient qu’à elle.

Aux yeux de Vilhem Hammershøi, le plus important est la construction du tableau.
La pièce est nue, seuls demeurent les éléments qui la structurent, le mur, le décor de moulures, le meuble, le personnage.
Vilhem Hammershøi procède par soustraction.

La méditation artistique sur cette pièce et sa lumière est une réflexion sur l’essence des choses.
« Vilhem Hammershøi pourchasse la fugacité de la lumière au cœur de la géométrie statique des plans » écrit Paul Vaden en 1997 dans de le catalogue de l’exposition organisée au musée d’Orsay.

Nourri de la peinture d’Eckersberg et des grands maîtres de l’Âge d’or danois, tout comme de l’art de Vermeer, Wilhem Hammershøi construit une palette resserrée, un univers de dépouillement, d’intériorité et de silence, dans ses paysages comme dans ses scènes d’intérieur, ses vues d‘architecture et ses portraits.

Le regardeur a la sensation d’un bonheur de l’instant apprivoisé dans l’humilité d’une vie sans éclat. Vilhem Hammershøi peint une scène intimiste de la vie courante, une scène vivante bien que silencieusement essentielle.

De ce tableau presque monochrome s’exhale un charme mélancolique, un univers distancié qui le rendent fascinant.

 

Conclusion

La maîtrise conceptuelle de l’œuvre d’art de Vilhem Hammershøi, maître danois, et son regard interrogatif résolument moderne semblent relever d’une évidence.
Au XXe ces éléments se retrouvent dans les films de Dreyer et de Bergman, comme dans certains tableaux d’Edward Hopper et de Balthus.

Maître de l’intime et de l’intérieur, Vilhem Hammershøi occupe une place dans son époque tout à fait singulière.
Descendant de Vermeer et précurseur de Hopper, l’intimisme minimaliste de ses intérieurs comme l’atmosphère trouble qui se dégage de son apparent rigorisme en témoignent.

Vilhem Hammershøi a inventé le portrait de dos.
Le personnage attire le regardeur par son indifférence affichée. Au personnage silencieux correspond une gamme très raffinée de gris et de bruns, qui montrent la sensibilité profonde de Vilhem Hammershøi aux atmosphères intérieures.

Extrait du journal Le Monde – avril 2019 – Philippe Dagen : « Aujourd’hui ses œuvres suscitent la convoitise des collectionneurs. Les musées français se sont distingués par leur cécité en matière d’art vivant du second empire jusqu’à la fin de la IIIe République.
Ils ont manqué Vilhem Hammershøi ».