Il était une fois une jolie ferme sur le lieu-dit “Gratte-Paille”.
Gratte parce que le corps de ferme est perché au sommet d’une petite montagne. On accède au terre-plein tout en haut par un chemin zigzaguant entre les troncs des grands sapins. La route grimpe, les arbres se raréfient et les prés de verdure, trop pentus pour être cultivés, succèdent à la forêt.
La ferme, formée d’une étable, d’une bergerie, d’une porcherie, d’une grange et d’une petite maison occupe le seul espace plat.
C’est une ferme auvergnate, les bâtiments sont construits autour d’une grande cour qui est l’espace de vie des paysans et des animaux.
Une entente exceptionnelle règne entre vaches, moutons, poules, cochons, chiens, chats, et âne qui passent leur journée à gambader dans la cour et le pré qui la prolonge. Les animaux mangent tous ensemble, c’est une cour des miracles au tintamarre joyeux et vivifiant.
Au petit trot ou au grand galop, selon que nous sommes en forêt ou sur les chemins nous nous rendons mon frère et moi à Gratte-Paille, à cheval, où nous sommes attendus.
C’est un immense plaisir que de traverser les bois protégés des rayons du soleil qui chauffent les prés à blanc en ce mois d’août.
Les chevaux sont en sueur quand nous arrivons au pas et je cherche des yeux une fontaine pour les abreuver.
Une joyeuse cacophonie nous accueille, vaches, chiens, cochons, moutons, tout ce petit monde se précipite vers nous, les paysans ferment la marche.
A croire que cette symphonie pastorale calme les chevaux. Ce sont des chevaux de concours effrayés au moindre bruit insolite et, ils ne bronchent pas.
Narcisse, le paysan et Marthe, sa femme nous accueillent à bras ouverts.
Je demande de l’eau pour les chevaux que nous dessellons avant de les emmener à l’abreuvoir.
Narcisse m’incite à lâcher les chevaux. L’herbe est verte, ils vont se régaler, ne t’inquiète pas, ils sont bien ici, ils ne partiront pas me dit-il.
Sceptique, je m’assois dans l’herbe pour les surveiller après avoir enroulé les cordes des licols autour de leurs encolures. L’herbe est verte et drue, les chevaux ont l’air heureux…
Narcisse revient me chercher et je le suis à reculons.
Je suis installée sur le banc à la grande table de ferme devant une part de tarte à la crème.Je ne me souviens pas d’avoir mangé mais je me souviens très bien m’être levée sans un mot pour aller jusqu’au palier de la porte.
Pas de chevaux en vue,
Je sors sans un mot, je m’avance en espérant que les chevaux sont descendus un peu plus bas. J’appelle mon frère qui descend le pré avec moi.
Toujours pas de chevaux en vue
Nous prenons le chemin, nous trouvons et suivons les traces de glissades des fers des chevaux sur la route.
Comme tous les animaux ils ont la mémoire de l’écurie. Ils ont rebroussé chemin. Deux chevaux, qui déboulent au grand galop dans le village …….
Je suis morte d’inquiétude.
C’est le temps des moissons les tracteurs sillonnent les routes.
Je tape à la porte de la première maison du village où nous nous présentons. Nous sommes toujours bien accueillis parce que nous sommes les petits enfants de notre grand-père, un notable de la région
Vous avez de la chance les enfants Marcel a arrêté les chevaux, il s’est mis en travers de leur route au bout du village.
Nous y courrons.
Tremblants, couverts d’écume blanche, les naseaux dilatés, les chevaux sont là.
Nous remercions chaleureusement Monsieur Marcel.
Je parle aux chevaux qui se calment au son de ma voix.
Ils nous ont retrouvés. Nous les avons retrouvés. Ils ne sont pas blessés.
Narcisse arrive en voiture avec les selles et les bombes.
Ne nous voyant pas revenir dans la maison : plus de chevaux, plus d’enfants. Narcisse en bon paysan a déduit que les chevaux étaient rentrés au bercail et que les enfants couraient derrière.
Il ne pouvait pas savoir que les chevaux avaient été arrêtés au village mais il était là. Parti pour apporter les selles jusqu’à Paulhaguet, notre village.
Chez Narcisse les animaux pouvaient vivre joyeusement en liberté, se côtoyer, partager leur territoire comme je ne l’avais jamais vu mais la nuance était qu’ils étaient chez eux à Gratte-Paille. Les chevaux étaient des ‘’invités’ ’ils étaient en confiance tant que j’étais dans leur paysage.
À partir du moment où j’ai disparu dans la maison, ma monture se sentant abandonnée et perdue s’est arraché du pré à toute allure, pour rejoindre le lieu qu’elle connaissait : son enclos à Paulhaguet.
Si j’étais restée assise au bord du pré il ne se serait rien passé. Les chevaux seraient entrain de manger l’herbe tranquillement et Narcisse serait sorti dix fois de la maison pour me demander de les rejoindre…
Être raisonnable c’était être « rabat-joie » et refuser une gentille invitation.
Il y a toujours ce que l’on a envie de faire et, ce que le petit doigt dit qu’il faut faire.
Cela ne m’a pas vraiment servi de leçon puisqu’il m’arrive encore de ne pas écouter mon petit doigt et d’être déraisonnable.