Gothique américain – 1930 Grant Wood

 

Grant Wood (1891-1942)

 

Gothique américain

1930

Huile sur panneau d’aggloméré

Dim 78 x 66,3 cm

Conservé à Chicago, à l’institut d’Art de Chicago.

 

Le peintre

Grant Wood est l’une des figures principales de l’école régionaliste américaine qui se développa dans les années 1930.

Grant Wood a grandi dans une ferme de l’Iowa.
En 1910, Il entreprend des études d’art à Minneapolis puis en 1913, à Chicago.
En 1920, il voyage à Paris.
En 1923 il suit les cours à l’académie Julian à Paris.
En 1928 il est à Munich et découvre les peintures flamandes et l’art de la Renaissance allemande.
En 1932 de retour dans l’Iowa, il fonde une école, la Stone City Colony and Art School.
De 1934 à 1941, il enseigne à l’université.

 

Le tableau

Le titre du tableau fait référence au style architectural de la construction en arrière-plan.

Wood peint une maison qu’il avait repérée dans le sud de l’Iowa, dans la petite ville d’Eldon.

Il fait poser sa sœur et le dentiste de la famille.
Sa sœur Nan Wood lui reprocha de l’avoir enlaidie, s’en suivit un conflit familial.

Lorsque que Wood exposa le tableau en 1930 à L’Art Institute of Chicago, la pensée progressiste qui émerge à cette époque à Chicago, l’accuse de donner une vision caricaturale du monde paysan américain.

Wood riposte et juge son tableau conforme à la réalité des habitants de la région du Midwest et de leurs valeurs morales.

Wood présente son tableau à un concours organisé par l’institut d’Art de Chicago.
Le jury influencé par un mécène du musée attribua la médaille de bronze à l’œuvre et l’institut d’Art de Chicago en fit l’acquisition.

En 1934, le magazine Time publia une reproduction en pleine page, ce qui contribua à rendre le tableau célèbre.

Au fil du temps, ce tableau est devenu le tableau le plus célèbre des États-Unis, et une icône mondiale.

C’est également l’œuvre la plus détournée de l’histoire de l’art.
Elle a fait la couverture du Time en 1994, est au générique de Desperate Housewives, dans le dessin animé de Disney Mulan, chez les Simpson, pour citer quelques exemples.

 

Composition

La construction du tableau, avec une perspective frontale et d’une simplicité géométrique, dynamise le tableau.

Trois figures posent devant une maison, deux personnages et une fourche.

Les deux personnages et la fourche emplissent tout le premier plan.
La maison en arrière-plan, en partie cachée par les personnages, est couverte de bardeaux blancs.
Sur la droite du tableau et sur le même plan que la maison, est représentée une grange aux pans de bois.
Un bosquet d’arbres émerge derrière la maison, sur toute la longueur de la toile.
Au-delà de la ligne d’arbres, on discerne une flèche d’église comme un pendant au paratonnerre de la maison.
Au-dessus, un ciel bleu, grisé par les nuages, ferme la partie supérieure du tableau.

La femme porte un tablier de style colonial orné d’une ganse démodée sur une robe noire à petit col blanc fermé par un camée. Ses yeux bleus regardant ailleurs, sa bouche fine et ses cheveux tirés en chignon contribuent à lui donner l’air austère.

L’homme en salopette sous une veste noire et une chemise sans col tient une fourche.
L’homme est nettement plus âgé que la femme. Son visage émacié, ses lunettes rondes, son regard droit et perçant contribuent à lui donner l’air austère.

La fourche est représentée dressée face au regardant, tenue dans la main gauche de l’homme et dupliquée. On retrouve ses trois branches, sur les coutures de la salopette, sur les montants de la fenêtre en ogive et sur le bas du visage ovale de l’homme.

La fenêtre en ogive installe un doute, est-ce une maison ou, un temple.
Sa situation, dans l’axe du tableau lui donne beaucoup d’importance.
Les rideaux sont tirés protégeant la maison de notre regard.
Le rebord de la fenêtre du rez-de-chaussée est décoré de plantes en pots (une note qui tempère l’austérité ambiante).

Les figures sont fortement modelées, les détails sont précis.
C’est une peinture très réaliste où chaque objet, chaque détail révèlent la condition et le métier des figures.
Leurs regards graves et sévères traduisent la dure réalité du monde rural américain.
La fourche est le symbole de l’Amérique profonde.

La gamme chromatique est réduite et plutôt sombre, tempérée par du blanc distribué sur les vêtements et la maison et relevée par le bleu triste du ciel.

La lumière est douce, les ombres sur les visages nous indiquent qu’elle entre dans le tableau par la droite

 

Analyse

I – Gothique américain appartient au courant du régionalisme américain.

Le tableau est d’un réalisme pur et dur.  Il représente un mode de vie révolu.

Le « régionalisme » américain fut une tentative de préservation des identités locales américaines face à l’anonymat du cosmopolitisme urbain.
Principalement centré sur l’Amérique du Midwest, le régionalisme encouragea un art inspiré des communautés rurales et des classes ouvrières urbaines et se voulait accessible par celles-ci : ni ésotérique, ni abstrait, mais figuratif et compréhensible.

Dans son article polémique Révolte contre la cité -1935 Grant Wood estime que les artistes américains devaient retrouver leurs traditions rurales indigènes, au lieu de puiser leur inspiration dans l’art européen et dans le « cosmopolitisme déroutant, le bruit, la proximité excessive de la grande ville ».

Wood revint à une ancienne tradition pastorale prônant la supériorité morale d’un style de vie rural. IL représente le caractère monumental et déterminé de communautés rurales, ou démontre de façon métaphorique la ténacité et la stabilité de structures ayant résisté au tumulte et au changement.

II – Le tableau étudié Gothique américain ouvre de nombreuses interprétations.

Cette maison sans prétention de l’Iowa, de style néogothique à bardeaux blancs et fenêtres ressemblant à celles des églises, est une référence manifeste au passé, de même que les modèles, la sœur du peintre, Nan et le dentiste de la famille, le docteur McKeeby.

L’attitude stoïque des personnages et leur expression suggèrent la ténacité des pionniers ainsi que des racines religieuses strictes destinées à persister en dépit de tous les efforts du modernisme pour les éradiquer.

Avec son regard planté dans celui du regardant, sa bouche pincée, sa chemise blanche à l’encolure ronde et sa veste noire, ainsi que ses lunettes et son visage grave, l’homme ressemble à un prêtre. Cependant la fourche et la salopette tachée de terre nous indiquent que l’homme est un paysan.

Bien que représentée au second plan, la fenêtre de l’étage placée dans l’axe du tableau, focalise notre attention sur la maison et lui donne le premier rôle.

Aux yeux du peintre cette maison matérialise la mentalité et la culture caractéristiques de son Iowa natal.

Quelle est la signification de la fourche
La fourche est le symbole du monde paysan.
Les dents de la fourche tournées vers le ciel (un paysan tiendrait la fourche dans l’autre sens) nous interpellent.
Le fermier tient la fourche comme une arme, il lui donne ainsi une grande importance.
La fourche brandit apparait comme une menace.
La fourche serait un symbole de virilité.
Serait-elle représentée pour barrer le passage à la maison, pour éloigner le regardant ou pour protéger les siens d’une menace.
Les coutures de la salopette reprennent exactement le dessin de la fourche. Ainsi dupliquée son pouvoir d’attraction est renforcé. Quel est le message.
Nous ne serons jamais ce qui se cache sous les rideaux baissés, ni quel mystère pictural recèle ce tableau.
Dans ce contexte la fourche évoque le puritanisme.
Sa forme fait écho à celle de la fenêtre.
La fourche prend une signification plus symbolique. Elle fait allusion à la Trinité et à des métaphores bibliques liées à la culture de la terre.
La fourche est aussi le symbole du diable, qui est lui-même issu de l’imagerie gothique.
La fourche est l’attrait mystérieux de ce tableau.

La fenêtre supérieure de la maison a des arcs en ogive, typiques des maisons gothiques et des églises.
Ce pourrait être aussi la fenêtre d’un temple.
Cette ambiguïté fait toute la force du tableau, relayée par les personnages qui, en occupant tout l’espace nous barrent la vue.

Le personnage féminin porte un bijou, l’homme un veston noir, cet effort vestimentaire serait-il pour célébrer un moment important.

Les rideaux sont baissés en pleine journée.
Serait-ce un signe de deuil, deuil des paysans ou fin d’une époque.
En 1930 le progrès est en marche.
Beaucoup de fermiers sont obligés de renoncer à leurs terres. C’est le début de la grande dépression, un cauchemar qui hante encore les américains.
Ceci expliquerait les regards austères des personnages.

Gothique américain serait l’image d’un rêve brisé.

Pour les américains de cette époque le paysan européen symbolise à la fois les racines et la dureté d’une vie rurale.
Les tableaux de Millet, de Bastien Lepage, de Rosa Bonheur, qui recouvrent les murs des salons des riches familles américaines, représentent une paysannerie honnête, pauvre mais digne, nettement plus valorisante à leurs yeux qu’un prolétariat urbain.
Par contraste la réussite du système américain n’en paraît que plus éclatante.

Les paysans de l’Iowa sont très attachés aux traditions, à la terre nourricière et aux valeurs liées à la rigueur d’une existence austère, axée sur le travail et la droiture morale. Si le rêve capitaliste vole brutalement en éclat avec le krach boursier, la terre, éternelle valeur refuge donne au paysan américain la dimension symbolique idéalisée du paysan européen.

Alors cette toile est-elle une satire du mode rural du Midwest avec des personnages austères enfermés dans leurs principes et leur religiosité ou bien, est-elle un éloge au travail, une célébration de l’esprit pionnier pendant la dure période de la Grande Dépression ?
Le peintre toute sa vie laissa planer le doute.

Wood a su instaurer dans son tableau un juste équilibre entre ironie et hommage à l’éthique puritaine et aux vertus qui donnaient toute sa grandeur à l’esprit du Midwest.

 

Conclusion

Gothique américain idéalise l’Amérique des pionniers.

Voici les propos de Wood,
parus dans une étude de l’historien John Evans Seery :
« J’avais vu une maison de campagne, blanche et soignée, avec son porche blanc et net – une maison de campagne construite avec des lignes gothiques sévères. Cela m’a donné une idée. L’idée était de trouver deux personnes qui, par leurs traits, s’accorderaient à une telle maison. J’ai regardé autour de moi, parmi les gens que je connaissais dans ma ville natale, Cedar Rapids, dans l’Iowa, mais je n’ai trouvé personne, parmi les fermiers. J’ai finalement incité ma propre jeune sœur à poser en se peignant les cheveux tirés en arrière, avec une raie sévère au milieu du front. Le travail suivant consistait à trouver un homme pouvant représenter le mari. Mon choix s’est finalement porté sur le dentiste local, qui a, à contrecœur, consenti à poser. J’ai commandé, pour ma sœur, à une maison de vente par correspondance de Chicago, le tablier imprimé typique des pionniers ainsi qu’un bleu de travail pour le dentiste. Je les ai fait poser côte à côte, le dentiste tenant avec raideur, dans sa main droite, une fourche à trois dents. La fameuse maison de campagne apparaît à l’arrière-plan ».

Gothique américain est un tableau figuratif qui témoigne de la quête d’une identité nationale et précède l’entrée de l’art américain dans l’ère contemporaine d’après-guerre.

Les tableaux de Grant Wood comme ceux de Thomas Hart Benton, Andrew Wyeth ou John Stewart Curry ouvrent la voie au Pop Art et à l’expressionnisme abstrait.