Forêt d’ormes – 1919 Edvard Munch

Edvard Munch (1863-1944)

 

Forêt d’ormes 

1919

Huile sur toile

Dim 90 x 120 cm

Conservé au musée Munch à Oslo, Norvège

 

Le peintre

Munch est né en 1863, en Norvège. De son enfance, Edvard Munch retiendra surtout la maladie et la Mort qui endeuillèrent sa famille, puisqu’il est à peine âgé de cinq ans lorsque sa Mère et sa sœur décèdent des suites de la tuberculose.
Ces décès lui donneront le goût des représentations morbides.
Munch étudie une année à l’école technique avant de se consacrer très
sérieusement à l’art. Il étudie les anciens maîtres, suit le cours de dessin de nu à l’école royale de dessin et obtient pendant un temps la correction du plus grand naturaliste norvégien de l’époque, Christian Krohg.
Puis grâce à une bourse d’État, Munch voyagera beaucoup : Bruxelles, Italie, Suisse et France…mais c’est surtout en Allemagne où il se fera connaître lors d’une Exposition en 1892. Le cri exposé fait scandale mais, grâce à ce tableau, Munch acquiert une certaine popularité.
Toute sa vie d’artiste sera vouée à l’expérimentation de techniques : peintures, lithographies, pointes sèches, gravures sur bois et cuivres, aquarelles, pastels, dessins, sculptures….
Ses sujets sont aussi variés : paysages, portraits, squelettes, vampires, têtes de mort et pour évoquer différents sentiments tels que la jalousie et l’angoisse, il malmène ses supports : toiles griffées, gestuelle agressive, traits striés, empreintes. Il expose ses toiles aux intempéries…
Les nazis qualifient son art de « dégénéré » et plus de 80 de ses œuvres exposées dans des musées allemands seront brûlées. Il n’oubliera jamais cette humiliation et sombrera dans l’alcoolisme.
En 1908, il est hospitalisé pour une grave dépression.
Il continuera à produire jusqu’à la fin de sa vie et meurt seul dans sa propriété au bord du fjord d’Oslo en 1944.

Munch est un peintre productif.  1789 œuvres ont été recensées, la plupart réalisées entre 1887 et 1908, durant ses séjours en France et en Allemagne.
La période artistique qui s’échelonne de 1885 à 1902, l’a propulsé sur le devant de la scène. A partir de 1904, il peint des séries de variations sur un même thème.
Entre 1909 et sa mort en 1944, il peint seulement 50 tableaux.

Munch a écrit autant qu’il a peint. La compréhension de ses tableaux va de pair avec ses écrits.

 

Le tableau

Forêt d’ormes en automne est un tableau tardif dans l’œuvre de Munch.
Il fait partie d’une série qui représente des forêts.

Un autre tableau plus petit, plus sombre, plus tortueux encore est de la même veine. Conservé au musée Munch il porte le même titre et a été peint en 1919-20 Forêt d’ormes en automne.

A la mort de l’artiste toute son œuvre a été léguée à la ville d’Oslo qui a ouvert un musée dédié à Munch pour les exposer.

 

Composition

Munch compose une toile oppressée.

Il plante dans ses couleurs liquides des verticales comme des épées.
Ce sont des troncs d’arbres dénudés luisants tortueux lancés vers le ciel comme autant de cris.
Le ciel est une fine bande bleu-gris persillé de rose qui enferme la toile comme un couvercle.

La lumière s’infiltre, éclaire les jaunes, les verts, les bleus.

Ces couleurs dessinent le sous -bois. Elles sont âpres et vives.
Elles s’affrontent.
Les violets et les bruns des arbres tortueux, l’agencement des jaunes, des verts, des ocres, des rouges et des bleus forme les lignes sinueuses du sous-bois, vibrantes  de malaise.

C’est un bois, un sous-bois, gorgé d’humidité, chargé du tourment du peintre.

 

Analyse

I-    Munch est un peintre expressionniste.

Le mouvement expressionniste apparaît au XXe. Les expressionnistes déforment la réalité pour inspirer au regardant une réaction émotionnelle.

Les toiles de Munch sont fondées sur des visions angoissantes.
Elles sont le reflet de la vision pessimiste que le peintre a de son époque hantée par la Première guerre mondiale.

Munch est farouchement un peintre expressionniste.
Munch : « Je ne peins pas ce que je vois mais ce que j’ai vu. Je peins et je pense dans le présent. Je vis dans le passé et le futur. »

 Il augure avec Le cri –1892, un style qui portera son nom, l’expressionisme, en 1910.

Sa série représentant des hommes au travail Maçons et ouvriers -1908, Les Pelleteurs de neige -1913, Les ouvriers à la sortie de l’usine -1916,  témoigne d’un style de plus en plus marqué.

Le principe de faire des séries sur le même thème traduit une patiente exploration formelle.
Émotionnellement, la répétition possède une valeur cathartique, le sujet maintes fois reformulé est progressivement mis à distance, devient un motif autonome et un souvenir moins douloureux pour Munch.

Munch peint de mémoire, il cherche à retrouver sur la toile sa première impression. Tous les lieux figurés sont des endroits réels.

 

II-   Munch peintre de la mort et de la douleur

Avec ces distorsions et déformations, Munch parvient à nous montrer son angoisse et illustre de façon générale le malaise de la civilisation.

Munch : « la maladie, la folie et la mort étaient des anges noirs qui se sont penchés sur mon berceau. »

S’opposant au réalisme, au positivisme, au matérialisme, mais aussi à l’impressionnisme, le symbolisme, qui émerge dans toute l’Europe, veut aller au-delà des apparences et traduire des idées, en se recentrant sur le rêve, l’imaginaire ou le monde de la pensée.

Munch fait preuve d’une subjectivité d’une extrême violence à la fois sur le plan de la forme et du fond. Son univers est totalement intériorisé.

Ce tableau est tardif dans l’œuvre du peintre.

C’est un tableau post-dépression.

Les couleurs sont lumineuses mais les tourments sont toujours là.
Munch est censé représenter une forêt d’ormes et nous montre des arbres morts, un chemin gorgé d’eau, une nature qui se tord et qui souffre.

Cependant il y a dans ce tableau une énergie que l’on ne retrouve pas dans la toile plus petite et postérieure qui porte le même titre :
Forêt d’ormes en automne –
1919-20.

Juste après sa dépression en 1909, le Jardin à Krager est une toile lumineuse qui communique son mieux être, la nature est apaisée, les troncs des arbres sont droits, le sous-bois est décliné en nuances de verts, la composition conduit le regard jusqu’aux toits rouges qui grimpent sur la colline bleue. Les couleurs sont mises en valeur par leur complémentaires. L’atmosphère est détendue.

Les démons du peintre ne sommeilleront pas longtemps.

Le tableau étudié est à la croisée des chemins entre le Jardin à Krager et Forêt d’ormes en automne –1919-20.

Les œuvres de Munch se nourrissent des bouleversements de sa vie affective. Munch peint la passion, la jalousie, l’angoisse devant la mort de l’humanité tout entière.

Munch exprime l’idée que l’humanité et la nature sont inexorablement unies dans le cycle de la vie, de la mort et de la renaissance.

Il s’acharne à vouloir percer les mystères de l’âme humaine à partir des images qui le hantent.
Munch : « je n’ai jamais aimé. J’ai ressenti l’amour qui déplace les montagnes et transforme les êtres- l’amour qui déchire, fait chavirer le cœur et boire le sang. Mais je n’ai pas pu dire à quelqu’un -femme, c’est toi, je t’aime. Tu es tout pour moi. »

Le regardant recherche dans la texture de sa toile les replis de son âme.

En plein milieu du naturalisme, Edvard Munch a revendiqué une forme d’art complètement non-naturaliste. Il n’a pas peint la nature. Il s’est servi de la nature en la transformant. Il l’a colorée pour exprimer des ambiances particulières.

III-   Munch a inventé un style : « le style de l’angoisse ».

Tout dans son art oblige le regardant à s’adapter à un univers très personnel, un univers plastique et moral.

Dans ce tableau les arbres morts à l’écorce luisante dressent leur désespoir et celui du peintre.
Munch peint des cris incrustés dans la solitude du sous-bois et dans la sienne.

Le choix des couleurs exprime l’angoisse du peintre.

Le style de Munch ne fait pas la part entre le réel et l’imaginaire, Le cri l’exprime à la perfection.

Ensor, lui aussi, imposera son univers, avec ses masques, ses coquillages, ses squelettes, attributs d’une vision tragi-comique de la vie.

 Les deux peintres sont liés par un scandale.
L’entrée du christ à Bruxelles, 1888, d’Ensor marque le début de l’expressionisme précurseur. Cette œuvre fut suivie d’un autre scandale, la fermeture de l’exposition Munch à Berlin.

La technique spontanée et le contenu sans concession de ses œuvres (tableaux et gravures sur bois) conséquence d’une expérience existentielle douloureusement assumée, marqueront sensiblement- mais dans des circonstances idéologiques contradictoires- de nombreux « fils spirituels » notamment : les représentants expressionnistes et néo-expressionnistes européens et américains de Die Brücke jusqu’à Georg Baselitz en passant par Francis Bacon, Bengt Olson pour ses paysages extatiques.

L’exposition du Sonderbund organisée à Cologne en 1912, montre les œuvres de Munch, de Van Gogh, de Cezanne, de Gauguin et de Picasso.
A cette occasion Munch gagne une reconnaissance internationale.

 

Conclusion

Le mouvement expressionniste commencera officiellement en 1910. A cette date la période expressionniste de Munch est révolue.

Munch est le créateur d’une nouvelle époque.
Il est un pionnier du mouvement expressionniste et de la peinture moderne.

Edvard Munch représente la contribution inattendue de la Norvège à l’épanouissement de la peinture et de la gravure au XXe.

« Intensité » est le meilleur mot pour décrire l’art d’E. Munch.
Munch a réussi à comprimer, à tordre les atmosphères de ses toiles pour qu’elles renvoient  une énergie impressionante. Il a osé mettre de côté tous les concepts de beauté conventionnels et les formes habituelles pour parvenir précisément à exprimer ce qu’il a à dire.

Ed. Munch : « Qu’est-ce que l’art ?  L’art nait de la joie et de la peine. Mais surtout de la peine. Il naît de la vie humaine ».