Berthe Morisot (1841-1895)
Eugène Manet et sa fille dans le jardin de Bougival
1881
Huile sur toile
Dim 73 x 92 cm
Conservé au musée Marmottant-Monet
La peintre
Berthe et sa sœur Edma ont très tôt suivi une formation artistique.
Berte a su se battre pour s’imposer en tant que peintre.
Pour apprendre le dessin Berthe et sa sœur Edma se rendent chaque semaine dans l’atelier du peintre Alphonse Chocarne, professeur rigoriste et pourfendeur des audaces de Delacroix.
Elles demandent à changer de professeur ce que les parents leur accordent.
Edma et Berthe choisissent les cours de Joseph Guichard, élève de Delacroix et d’Ingres.
Edma et Berthe peignent au bord des étangs de Ville-d’Avray avec Camille Corot.
Achille Oudinot, élève de Corot, poursuit la formation des deux sœurs. Son enseignement est intransigeant, mais elles tiennent bon.
Les beaux-Arts sont interdits aux femmes et le resteront jusqu’en 1897. Les deux sœurs copient au Louvre. Leurs parents leur font construire en annexe de leur maison de Passy un atelier.
Elles côtoient des personnalités influentes de la vie artistique.
Dès 1864, elles présentent leurs tableaux au Salon.
Elles rencontrent Manet au Louvre grâce à l’entremise de Fantin-Latour. Immédiatement séduit par ces deux peintres qui admirent ses tableaux, Fantin-Latour assène à Manet « dommage qu’elles ne soient pas des hommes ».
Une grande amitié va lier Berthe Morisot et Edouard Manet.
Dès 1868, Manet demande à Berthe de poser pour lui, en tout, il réalisera 14 portraits d’elle.
C’est grâce à l’impressionnisme que Berthe Morisot s’est imposée entant que peintre tout comme Eva Gonzales et Mary Cassatt. À une époque où la femme est perçue comme appartenant au monde intérieur.
En 1892, elle organise sa première exposition personnelle à la galerie Boussod et Valadon à Paris. L’accueil est favorable. Elle expose 43 œuvres. Cette année-là, son mari décède.
En 1894, l’état lui achète Jeune femme en toilette de bal pour l’exposer au musée du Luxembourg. C’est une consécration pour Berthe.
En février 1895 elle contracte une maladie pulmonaire et décède en mars 1895. Inhumée au cimetière de Passy, à Paris, l’inscription sur sa tombe : « Berthe Morisot, épouse d’Eugène Manet ». L’époque n’autorisait pas encore la reconnaissance d’une femme peintre.
Du 5 au 23 mars, l’année qui suit sa disparition, les artistes Renoir, Monet, Degas et Mallarmé organisent une rétrospective de l’œuvre de Berthe Morisot à la galerie Durand-Ruel.
Plus de 390 œuvres sont réunies et elle reste la manifestation la plus importante jamais organisée consacrée à l’artiste.
Le tableau
Julie est la fille unique de Berthe Morisot et d’Eugène Manet. L’enfant devient rapidement le modèle favori de sa mère. Berthe Morisot la couchera sur la toile plus de 70 fois.
Si les portraits autonomes de la fillette sont nombreux, il est rare qu’elle soit représentée avec son père comme c’est le cas dans ce tableau. Au moment de ce portrait la fillette a 3 ans.
Eugène n’aime pas poser. Ce qui n’a pas empêché Berthe de le représenter à plusieurs reprises, notamment dans l’ambiance paisible de leur jardin.
Le père et la fille posent dans le jardin de la villa du 4 rue Princesse, que la famille loue régulièrement à Bougival de 1881 à 1884.
Chargé en 1882 de sélectionner les œuvres de son épouse qui figureront à la septième exposition impressionniste, Eugène choisit ce tableau malgré les réticences de sa femme. La finesse de sa palette est saluée et vaut à son tableau le titre « d’impressionnisme par excellence » attribué par Philippe Burty dans la République française du 8 mars 1882.
Composition
Berthe saisit une scène de l’intimité familiale.
Chapeautée et vêtue d’une jolie robe rose, Julie s’amuse avec un jeu de construction posé sur les genoux de son père confortablement assis sur un banc du jardin.
Cette scène familiale semble surgir de la toile et vivre sous les yeux du regardeur.
Les expressions des visages sont criant de vérité.
Morisot emploi des tons clairs et irisés.
Les fleurs occupent une grande partie de la toile.
Morisot aime représenter la nature et en particulier les jardins avec leurs buissons de fleurs.
Morisot revendique son propre espace, son jardin.
Dans ce tableau le jardin occupe le second plan et tout le fond du tableau.
Le jardin est un écrin pour les personnages.
Morisot équilibre son tableau en traçant des contours très nets (comme le chapeau) et d’autres à peine esquissés (comme la main de son mari).
Ses coups de pinceau sont longs et floutés.
Sa touche est dynamique, rapide. Elle alterne les empâtements légers et les tracés lisses.
Ce tableau est lumineux.
La toile est balayée par le soleil. Les couleurs sont joyeuses.
Berthe saisit un instant de lumière avec délicatesse et vivacité.
Berthe saisit l’impression lumineuse fugitive qui transforme ses personnages en multitude de touches colorées.
Elle excelle à rendre la fugacité du moment.
Absorbés par le jardin, le père et la fille s’y diluent dans un océan de verts et de fleurs.
Le nature au second plan brille de toutes ses fleurs.
Berthe, distille une clarté, une harmonie de teintes et une richesse de ton impressionnante avec son univers lumineux de blancs, de roses, de bleus, de marrons nacrés mâtinés de beige et de nuances de vert.
Berthe peint une atmosphère de tendresse et de douceur.
Elle montre son mari attentif au jeu de sa fille dans le jardin.
Berthe saisit avec bonheur l’instant de l’enfant.
La peintre montre le plaisir qu’elle prend à peindre sa famille.
Elle expose sa sensibilité de femme.
Analyse
Bien qu’ayant exposé au Salon, Berthe choisit de participer à la première exposition indépendante des impressionnistes de 1874.
Elle soumit des œuvres à sept des huit expositions qui eurent lieu entre 1874 et 1886.
Berthe Morisot représente souvent des femmes et des enfants.
Dans ce tableau, elle peint un moment de jeu entre son mari, Eugène Manet et sa fille, à l’aide de coups de pinceau visibles et assurés caractéristiques de son style.
Plus tard Berthe Morisot écrira qu’elle a vécu dans cette demeure ses moments les plus heureux.
A l’époque, elle est une artiste reconnue du mouvement impressionniste qu’elle a fondé dans les années 1860 avec sas amis : Edgar Degas, Auguste Renoir, Claude Monet et Edouard Manet.
I- Sa technique
Les critiques saluent sa touche rapide, ses teintes claires.
Avec son style unique elle fait figure d’exception dans ce monde de la peinture où les femmes sont rares et n’ont pas le droit d’étudier aux Beaux-Arts.
Le massif de fleurs : du jaune, du mauve, du rose. Un rose que l’on retrouve sur les joues et la robe de Julie.
Les couleurs pastel sont caractéristiques de son style.
Elle les doit à son premier maître Camille Corot adepte des teintes légères.
Autre particularité, Morisot laisse des parties « vides » sur sa toile.
Dans ce tableau, derrière le banc et en haut de la toile sur la partie gauche, la peintre a laissé des parties apparentes de la toile qui est de couleur brune.
L’inachevé est manifeste et assumé. C’est une forme de signature.
Ses toiles aux couleurs si gaies influenceront son beau-frère, Edouard Manet qui, dans les années 1870, délaisse les couleurs sombres pour des coloris plus clairs.
Vers la fin des années 1870, elle adopte une touche de plus en plus rapide, cernant son motif d’un simple coup de pinceau. Son objectif de peintre impressionniste est de saisir l’instant, de capter l’éphémère.
Parce qu’elle a ce regard neuf sur l’interprétation de l’image, Bethe Morisot est une artiste d’avant-garde.
Sa force est d’avoir su imposer sa légitimité dans un milieu entièrement gouverné, contrôlé par le pouvoir masculin. En innovant, Berthe Morisot est une exception.
Pour Berthe, l’impressionnisme est le style qu’elle a choisi pour exister en tant que peintre reconnue, parce que l’impressionnisme redéfinit les rapports de l’individu avec ses options esthétiques. Il s’agit de voir autrement.
Seule une femme peut traduire ses impressions et compenser ce qu’elles ont de superficiel par un charme incomparable de douceur et de grâce.
Berthe Morisot valorise l’essence de la féminité dans ses tableaux.
Elle puise ses sujets dans la vie des femmes. Elle s’intéresse au quotidien des femmes de sa classe, les peint devant leur miroir, les portraiture en robe de bal.
Elle représente, femmes, enfants et pères de son environnement.
Elle peint les enfants vivant leur vie sans se soucier de ce qui les entoure, fondus dans leur environnement.
À partir des années 1880, ses tableaux sont proches de l’esquisse, ses teintes se font acides.
Berthe Morisot est en recherche permanente.
Berthe a peint un autoportrait en 1885 sans complaisance, comme une revendication.
Ce tableau raconte les difficultés de Berthe à se faire reconnaitre en tant qu’artiste.
L’artiste au travail est une notion très importante pour elle.
II- Berthe a révolutionné le statut de peintre au féminin.
A/ Berthe Morisot expose une vision très moderne de la famille.
Dans la peinture traditionnelle le père est représenté un livre à la main et la mine grave.
En représentant un homme jouant avec son enfant, la peintre traduit la modification du rôle paternel dans la bourgeoisie.
En cette fin du XIXe les Manet sont le symbole parfait de l’évolution des mœurs. Dans leur couple Eugène s’occupe surtout de la carrière de son épouse.
Quand elle le représente au jardin en compagnie de sa fille, elle le dépouille de son statut social.
Le portrait d’Eugène dans l’île de Whit, le montre à l’intérieur, derrière la fenêtre, à la place où le regardeur a l’habitude de voir une femme. Le thème de la fenêtre permet à Berthe de jouer sur le « dedans-dehors » à l’heure où l’on commence à songer à la place de la femme dans la société.
Chacun reste dans ce qu’il perçoit comme son identitaire : Berthe s’exprime en peignant, pour elle les formes les volumes et les couleurs, pour son mari la promotion de ses tableaux et les jeux de sa fillette.
B / Sa modernité avait de quoi étonner son entourage.
Elle a défendu ses valeurs jusqu’au bout.
Morisot n’en fait qu’à sa tête et suis son instinct.
Elle peint le plus souvent des figures et des portraits qui renvoient à la vie moderne.
Malgré les réticences de ses amis, Edouard Manet et Pierre Puvis de Chavannes, elle participe à la première exposition impressionniste.
Morisot veut représenter le monde qui l’entoure et sortir des tableaux historiques.
Elle impose son style.
Avec Dans les champs de blé à Gennevilliers,Berthe offre une vision actuelle de son époque et présente la société qui s’industrialise rapidement. Et dans le même temps elle allie de manière remarquable la peinture de paysage et de figures.
Ce qu’il la distingue de ses amis peintres c’est qu’elle peint ses figures en pied.
Le « chez soi » pour Morisot n’a aucune couleur politique, elle est à cent lieues des naturalistes qui représentent le monde paysan.
Elle aime renverser les rôles.
À Nice elle renouvelle l’art de la marine, en peignant le port depuis un bateau en mer et non depuis le port.
Berthe peint des toiles intimes où ses modèles portent des tenues de la sphère privée.
Elle s’appuie sur le point de vue de ses modèles et suggère plutôt qu’elle ne décrit.
En 1875 elle peint jeune femme à sa toilette, de dos.
Elle peint sa fille Julie.
Ce sont les employées de maison qui prennent soin de sa fille.
Berthe n’a pas d’obligation maternelle. Elle travaille ses toiles et donnent à voir des femmes qui travaillent aussi. C’est une précurseur, avant elle, les femmes n’osaient pas montrer que la maternité n’est pas la seule option pour une femme.
Son mari l’a bien comprise et son mariage n’a pas été un frein à son activité artistique.
Morisot se bat pour sortir des clichés de la peinture dite « féminine ».
Elle écrit : « Je ne crois pas qu’il n’y ait jamais eu un homme traitant une femme d’égal à égal, et c’est tout ce que j’aurais demandé, car je sais que je les vaux ».
Conclusion
Berthe Morisot a voulu vivre de son art et pour son art.
Berthe Morisot est obstinée et fidèle à son engagement dans la peinture. Elle est au cœur des avant-gardes. Elle a laissé 423 tableaux, 191 pastels, 240 aquarelles, 8 gravures, 2 sculptures et plus de 200 dessins.
Berthe Morisot qui immortalise dans ce tableau son mari et sa fille, a connu près d’un siècle d’oubli, avant d’être de nouveau considérée comme l’un des piliers majeurs de l’impressionnisme.
Cela grâce à une grande rétrospective qui lui est consacrée en 1987 à la National Gallery of Art à Washington.
Une victoire pour Julie sa fille, qui peintre à son tour et collectionneuse a consacré une bonne partie de sa vie à préserver l’œuvre et la mémoire de sa mère jusqu’à sa mort en 1966.
Près de s’éteindre, le 1er mars 1895, Berthe Morisot écrit à sa fille et le conseil maternel se fait intime : « …Tu as la beauté, la fortune, fais-en bon usage…Tu diras à M. Degas que s’il fonde un musée il choisisse un Manet. »
Stéphane Guégan – extrait du catalogue d’exposition du musée d’Orsay Manet Degas 2023 :
« Monet et Renoir étaient dignes de la plus grande admiration, et leur attitude au temps des expositions expressionnistes, souvent dicta celle de Morisot, mais Manet et Degas lui avaient toujours semblé supérieurs aux autres, différents des autres. Au moment de disparaître elle rêve de la galerie de tableaux modernes qui les aurait réunis pour l’éternité. »
A la mort de Berthe, Mallarmé devient le tuteur de Julie qui a déjà perdu son père d’une maladie respiratoire en 1892. C’est également lui qui préface la rétrospective posthume dédiée à Morisot en 1896 à la galerie Durand-Ruel.
Dans un climat misogyne, Berthe Morisot a assouvi sa soif de créer.
Un désir de peindre, chevillé au corps jusqu’au bout.