Diptyque de Wilton
Vers 1395
Tempera et or sur panneau de chêne
Dim 53 x 37 cm
Conservé à la National Gallery à Londres
Aux XIIIe et XIVe siècles, le nombre de mécènes royaux et nobles s’accroit. Leurs sièges deviennent d’importants centres artistiques favorisant l’apparition d’un style plus courtisan appelé « gothique international » qui s’étend en Europe à partir de la Bourgogne, de la Bohême, de la France, du nord de l’Italie.
Ses peintures se caractérisent par une grande qualité picturale, avec des personnages élégants et gracieux et des drapés décoratifs. On remarque un réalisme très détaillé dans les tenues de cour et les détails des cadres.
Ces œuvres douces et lyriques se distinguent également par une artificialité raffinée.
Le Diptyque de Wilton est le plus bel exemple subsistant du style gothique international de cour en Angleterre.
Généralement attribué à un artiste français, ce retable portatif fut peint pour le roi Richard II (règne 1377-1399) que l’on voit agenouillé sur le panneau de gauche, et remonte aux environs de 1396, date du mariage de Richard II avec Isabelle de France. Le souverain est présenté à la Vierge par son saint patron, Jean-Baptiste, en présence de saint Édouard le Confesseur et de saint Edmond, deux anciens rois d’Angleterre. Aux côtés de la Vierge et de l’enfant Jésus un ange brandit l’étendard de saint Georges surmonté d’un orbe.
Le diptyque
Le diptyque de Wilton doit son nom de la résidence des comtes de Pembroke où l’œuvre se trouvait depuis le début du XVIIIe jusqu’en 1929, date à laquelle la National Gallery en fit l’acquisition. Aucun document de l’époque ne mentionne l’auteur de cette œuvre incomparable dont les sources et les influences sont éclectiques.
C’est un petit retable portatif, probablement commandé par le roi Richard II d’Angleterre pour ses dévotions personnelles.
Il est constitué de deux panneaux articulés peints des deux côtés.
Panneau intérieur-gauche :
Richard II est agenouillé devant trois saints ayant une signification particulière pour lui et dont le rôle est d’intercéder pour le roi auprès de la Vierge Marie et de l’enfant Jésus. Jean-Baptiste, Édouard le Confesseur et Edmond le Martyr.
Ils sont reconnaissables à leurs attributs.
Edmond tient à la main une des flèches danoises qui le transpercèrent en 869.
Édouard le Confesseur tient à la main une bague sertie d’une pierre bleue rappelant celle qu’il donna -selon la légende, à un pèlerin qui s’avérât être saint Jean l’Évangéliste. Il est considéré comme le fondateur de l’abbaye de Westminster.
Richard II était né un 6 janvier d’où la présence du saint Jean-Baptiste son saint patron qui lui touche l’épaule et le présente à l’assemblée céleste peinte sur le volet droit. Il est vêtu conformément à la tradition picturale, d’un manteau de poil de chameau et porte un agneau, animal emblématique du Christ.
Le roi ne prie pas. Il tend les mains dans une posture exprimant son espérance et sa foi en Jésus.
Une forêt terrestre sert de décor à la scène.
Panneau intérieur-droit :
La Vierge Marie tenant l’enfant Jésus est entourée de onze anges. L’un des anges tient le fanion présentant la croix de saint Georges rouge sur fond blanc, il est surmonté d’une petite boule sur laquelle est peinte l’île d’Angleterre.
La scène a lieu dans un jardin céleste en fleurs.
Panneaux extérieurs
Celui de droite représente un cerf blanc qui est l’emblème de Richard II
Celui de gauche représente un écu figurant les armes adoptées par Richard II
Décoré d’or et de lapis lazuli, ce diptyque est traité avec la richesse, le raffinement et la précision des enluminures de manuscrits.
C’est un joyau de l’art Gothique International.
Autant pour sa technique (l’or est travaillé par minuscules touches tant pour le modelé de la robe de l’enfant Jésus que pour les fonds et les détails des ornements) que pour son dessin (la préciosité des couronnes de roses qui coiffent les anges et des fleurs du jardin céleste ; la finesse des traits des personnages, le travail des expressions des visages).
Cette œuvre doublement influencée, est unique en son genre, aucune œuvre comparable ne subsiste ni en Angleterre ni en Europe.
Son style et son procédé -à tempera évoquent l’école siennoise alors que le fond blanc à la craie et le support en chêne se rattachent aux pratiques de l’école du Nord.
Analyse
Déchiffrer le symbolisme du diptyque avec l’intention de sonder l’esprit de Richard II et reconstituer sa vision du monde.
Le Diptyque de Wilton est un témoignage précieux au sujet des espérances et des aspirations de Richard II.
En représentant saint Édouard le Confesseur dont la réputation est attachée à la piété et à la prière, plutôt que saint Georges connu pour ses prouesses guerrières, le diptyque illustre la conception traditionnelle que le roi a de la royauté médiévale où la dimension sacrée masque la fonction politique.
Le dytique met en évidence la volonté d’articuler ce monde de l’horizon terrestre à l’horizon céleste, en mettant la politique royale au service d’un concept sacramentel du pouvoir.
Les représentations picturales du moyen-âge sont codées, les couleurs, les attitudes, les symboles ont tous une signification.
-Quel message nous livrent les attitudes des mains
Le symbolisme de la main humaine nous renvoie à des valeurs religieuses qu’il s’agisse de gestes accomplis par l’homme ou par une présence divine -qui prend alors la forme d’une bénédiction.
La main de saint Jean-Baptiste est posée sur l’épaule du roi en signe de protection. Celles de saint Édouard le Confesseur et saint Edmond le Martyr dans un même mouvement désignent le roi et soulignent leur intention d’intercesseurs.
Les anges du second plan ont les bras croisés en signe de soumission, ceux du premier plan ont les bras tendus et désignent le roi à l’enfant Jésus.
Richard II quant à lui a les mains ouvertes et tendues vers l’enfant Jésus dans un geste de soumission et de béatitude.
L’attitude des mains de l’enfant jésus est celle de l’imposition des mains, un des plus anciens gestes rituels de bénédiction.
-Quel message nous livrent les couleurs du diptyque
Le choix des couleurs n’est pas aléatoire, leurs emplois se justifient par la valeur symbolique que l’emblématique chrétienne leur attribue.
Le bleu est la teinte la plus immatérielle que nos sens perçoivent par transparence et que notre expérience associe au vide du ciel ou de l’eau.
Appliqué à un personnage ou un objet du bleu, couleur de l’infini, transforme le réel en imaginaire et le regard accède au rêve.
Grâce au bleu la perception consciente cède la place à la vision surréelle qui n’est pas de ce monde. Le bleu plus ou moins foncé recouvrant la Vierge et les anges symbolise le seuil qui sépare Richard II de ceux qui gouvernent, depuis l’au-delà, son destin.
Le brun est la couleur des champs, de la terre. Il rappelle l’automne et la tristesse.
C’est aussi pour l’église catholique la couleur de l’humilité, qui a conduit certains ordres religieux à se vêtir de bure.
Le jaune est la couleur solaire, une couleur de lumière et de vie. Elle traverse l’azur des cieux, elle nimbe l’enfant Jésus de la tête aux pieds.
Elle est le symbole de la puissance, de la force et de l’éternité de la divinité de Jésus. C’est la couleur de la robe d’apparat que porte Richard II, la tenue du roi désigne l’origine divine de ses pouvoirs.
–Quel message nous livrent les symboles du diptyque
Les fleurs
À partir du XIVe les plantes paradisiaques se développèrent dans les œuvres picturales en respectant un langage codé compris par tous.
Ainsi la Vierge Marie est associée à la violette -présente dans le jardin céleste, et à la rose, la reine des fleurs.
Les roses du diptyque jonchent le sol du jardin et sont tressées en couronnes autour des têtes des anges.
Le genêt
L’emblème des Plantagenet fait partie à l’origine des armes du roi de France.
Il est envisageable que Richard II ait inclus cet emblème dans sa livrée à l’imitation de la cour de France, en 1395, lors des négociations qui devaient aboutir à son mariage avec la fille de Charles VI. Richard II épouse en secondes noces en 1396, la fille du roi de France.
Le symbolisme du genêt ne renvoie pas seulement à l’affirmation de l’appartenance à un lignage.
Les branches fleuries de cette fleur étaient utilisées pour recouvrir le corps des défunts et symboliser leur passage de ce monde dans l’au-delà.
Le roi et les anges portent des colliers de genêt et, sur la robe royale, les broderies de genêt encerclent les cerfs.
Le cerf
L’importance et l’omniprésence de l’emblème de Richard II, le cerf blanc.
Cet emblème fonctionne dans le diptyque comme un signe permettant d’identifier le commanditaire.
S’il occupe entièrement l’extérieur d’un panneau, il est également représenté sous la forme d’une broche en or et émail qui ferme la robe du monarque.
Cette robe est brodée de cerfs d’or.
Chaque robe des onze anges porte également, un cerf blanc brodé signifiant qu’ils sont les serviteurs du royaume.
Les bestiaires médiévaux s’accordent tous sur le symbolisme du cerf. Le cerf est l’un des animaux qui furent acceptés au début du christianisme comme une image allégorique du Christ et du chrétien, son disciple.
La bannière
S’agit-il du symbole traditionnel de la Résurrection ou de la bannière de Saint Georges, saint patron de l’Angleterre
Quel est la nature de cet emblème à croix rouge, est-ce l’étendard de saint Georges à l’origine du drapeau anglais ou bien la bannière triomphale de la résurrection du Christ qui symbolise sa victoire sur la mort ?
Dans un retable autrefois conservé à Rome, Richard II et sa première épouse Anne de Bohème, étaient représentés entrain d’offrir le globe de l’Angleterre à la Vierge.
Dans ce diptyque, c’est l’enfant Jésus qui a reçu à la place de la Vierge, la bannière et le globe de l’Angleterre. C’est un ange à ses côtés qui porte les présents afin que Jésus puisse librement bénir le roi (ou la bannière…)
La bannière est à la fois symbole et étendard, elle fait référence à la Résurrection et représente le royaume d’Angleterre.
La Vierge ayant donné au roi Richard II les pouvoirs de régner.
La nef voguant sur l’île
Les travaux de restauration de 1992 ont mis à jour le contenu de l’orbe d’un centimètre de diamètre qui surmonte la hampe et se superpose à une croix : un château blanc sur une île verte, situé au milieu d’une mer argentée à la feuille, qui a noirci.
Est-ce une miniature géographique prenant pour objet la consolidation de son pouvoir contesté que Richard II placerait sous la protection de la Vierge et de l’enfant Jésus ou, est-ce une représentation symbolique du paradis céleste auquel aspire le roi agenouillé ?
Les textes sacrés apparentent la vie terrestre à une traversée, ayant pour finalité d’aborder l’autre rive, celle où on jouit de la paix pour l’éternité, le paradis…
Conclusion
Quel est les sens du diptyque de Wilton à la lumière du symbolisme chrétien dont il est une des dernières illustrations médiévales
Cette œuvre devait consoler le roi lorsqu’il priait loin des conspirations seigneuriales et du mécontentement de son peuple, qui mirent fin à son règne en 1399. Richard II meurt et rejoint la société éternelle de la vierge Marie, de Jésus et des anges, en 1400.
Les deux panneaux représentent une limite matérielle et symbolique entre la terre et le ciel. Quelle est la nature de l’interaction entre les personnages du panneau de droite et ceux du panneau de gauche ; l’enfant Jésus bénit-il le roi agenouillé devant lui, ou bien l’étendard que tient un ange à ses côtés ; que représente la minuscule scène peinte à l’intérieur de l’orbe…
La scène peinte sur le panneau intérieur gauche du diptyque,la béatitude de Richard II,représente la croyance de Richard II dans la promesse de vie éternelle pour l’au-delà.
Alors que le début des temps modernes va déplacer l’accent sur l’immortalité de l’âme, la théologie médiévale n’a cessé d’affirmer la dépendance de la résurrection du Christ symbolisée par l’étendard triomphal que tient l’un des anges.
Richard II aurait remis l’étendard de saint Georges avec une carte miniature de l’Angleterre à la Vierge pour qu’elle le bénisse confirmant son droit divin à régner. Le diptyque servirait autan à la dévotion qu’à la représentation de la royauté…
Le diptyque de Wilton est une rare œuvre de cette nature et de cette période qui nous soit parvenue pratiquement intacte et, sur un plan artistique, c’est sans contexte l’une des plus belles et des plus extraordinaires.
Elle demeurera un mystère, que des générations d’historiens ont tenté de percer en s’interrogeant sur ses auteurs, sa finalité et sa signification.