Deux enfants menacés par un rossignol – 1924 – Max Ernst

Max Ernst (1891-1976)

  

Deux enfants menacés par un rossignol

1924

Huile avec élément en bois peint et découpé, papier imprimé et collé sur bois avec cadre en bois
Dim 69,9 x 57,2 cm

Conservé au MET, Metropolitan Museum of Art, à New-York

 

 

Le peintre

En 1909, Max s’inscrit à l’université de Bonn pour y étudier la philosophie et l’histoire de l’art.
En 1911, il rencontre les membres du groupe Blaue Reiter avec lesquels il exposera en 1913, à Berlin. Les premières toiles qu’il présente révèlent les influences cubistes, futuristes et expressionnistes.
Max Ernst est un peintre et sculpteur germano-américano-français dont l’œuvre se rattache aux mouvements dadaïste et surréaliste.
Les toiles de De Chirico lui ont donné un fort intérêt pour l’imagerie de rêve et de fantastique.
Après la guerre, Max retourne en Allemagne, en parallèle il entretient des liens étroits avec des groupes d’avant-garde parisiens.
En 1919, il crée se premiers collages en utilisant des matériaux banals. Max s’en servira pour réaliser de nouvelles images fantastiques issues du monde des rêves et du subconscient.
En 1922, Max s’installe à Paris et y vivra jusqu’en 1941. Il rejoint la communauté artistique de Montparnasse et le groupe surréaliste.
Parfois il réalise ses recherches artistiques en ayant recours à l’hypnose ou à des substances hallucinogènes.
Il fuit la guerre et arrive à New-York en 1941. Il côtoie les peintres d’avant-garde tels que Marcel Duchamp et Marc Chagall.
En 1953, il est de retour à Paris et gagne l’année suivante les Biennales de Venise.
Max a beaucoup exploité les expériences de son enfance et de la guerre pour peindre des scènes souvent absurdes et apocalyptiques.
Avec le succès, il déménage dans la maison « Le pin perdu », en Touraine
Max Ernst est un artiste révolutionnaire qui a repoussé les limites de l’expression artistique tout au long de sa carrière.
Ernst a d’abord embrassé le dadaïsme, un mouvement artistique radical qui rejetait les conventions artistiques traditionnelles en faveur du chaos et de l’absurde. Cependant, c’est son exploration ultérieure du surréalisme qui a véritablement consolidé sa place dans les annales de l’histoire de l’art.

 

Le tableau

Ce tableau se distingue comme un témoignage de l’imagination et de la vision artistique inégalées de Max Ernst.

Ce tableau est un exemple emblématique de l’exploration surréaliste de Max Ernst.

La scène est empreinte de présage, comme si les enfants étaient sur le point de vivre une rencontre décisive avec le monde naturel.

Ce tableau est une représentation marquant la conclusion d’une époque historique et aussi un portrait qui explore les complexités du comportement humain à travers le prisme de l’interprétation artistique surréaliste.

  

Composition

Des objets sont collés sur la toile ; notamment le portail qui s’ouvre sur le cadre.

Vers le bas du tableau, au coin gauche, un petit portail rouge a ses gonds cloués pour qu’il reste ouvert en permanence.
Cette barrière ouverte invite le regardeur à entrer dans le tableau.

L’herbe verte est très texturée, très empâtée, c’est un tapis pour deux personnages dont l’un est étendu sur le sol, inanimé, évanoui ou mort.
Plus loin à gauche, une femme court brandissant un très grand couteau à la main vers un inoffensif petit oiseau, un rossignol.

Sur une structure évoquant une maison de poupée, un homme marche sur la pointe des pieds. Il porte une jeune-fille sous son bras droit, de l’autre bras il tend la main vers une poignée de porte démesurée.

Ce récit irrationnel relève du cauchemar, où le familier devient terrifiant et où les images s’avèrent trompeuses.

L’utilisation innovante du grattage et du frottage, ajoute de la profondeur et de la texture au tableau, créant une atmosphère onirique qui estompe les frontières entre réalité et fantaisie.

Le titre du tableau est inscrit en bas, à la manière d’un enfant qui aurait accompagné son dessin d’une inscription.
Cette phrase participe à l’énigme.

L’onirisme du tableau contraste avec les éléments collés dessus, qui forment un pont entre rêve et réalité.

 Ce tableau transcende les catégories artistiques et s’offre comme une chimère.

 

 Analyse

La préparation et les techniques nécessaires à la peinture sur toile constituaient une menace à l’immédiateté, à la fluidité et au caractère surprenant du résultat et des juxtapositions des œuvres expérimentales. Néanmoins c’est par ses tableaux à l’huile que le surréalisme demeure le plus célèbre.

L’effet généré par ce tableau surréaliste peut être comparé à celui d’un rêve, où l’étrange et l’impossible deviennent tout à fait crédibles.

Ce tableau peut être lu comme une représentation naturaliste de rêves, dont les associations singulières semblent pourtant parfaitement réalistes en termes de perspective et de forme, tout en comportant des références politiques et philosophiques significatives.

Ce récit irrationnel relève du cauchemar, où le familier devient terrifiant et où les images s’avèrent trompeuses.
Le titre de la toile est inscrit dans le bas du tableau.
Une fille court brandissant un couteau, non vers un terrifiant monstre mais vers un inoffensif rossignol.
Un second enfant s’est évanoui dans l’herbe, tandis qu’un personnage sur le toit s’enfuit, une jeune fille sous le bras. Il semble sur le point d’atteindre la poignée d’une porte démesurée pour se mettre en sécurité, mais la poignée est hors de portée, renforçant l’idée de panique.

Max Ernst cherche à déverrouiller les mystères de l’esprit inconscient à travers son art.
Il s’inspire des théories de Sigmund Freud et des écrits des surréalistes comme André Breton.

L’imagerie symbolique dans Deux enfants menacés par un rossignol peut être interprétée à travers une lentille freudienne, comme une manifestation de désirs et de peurs refoulés.

Le regardeur est invité à s’engager dans un processus d’interprétation et d’introspection.
La juxtaposition de l’innocence et de la menace, incarnée par les enfants et le rossignol respectivement, sert de métaphore à la dualité inhérente de l’existence humaine.
Le paysage désolé évoque un sentiment d’isolement et d’angoisse existentielle, tandis que la présence du rossignol suggère la possibilité de transcendance et de renouveau.
Deux enfants menacés par un rossignol nous invite à explorer les recoins cachés de la psyché humaine, où les rêves et les réalités s’entrelacent dans une danse envoûtante de symbolisme et d’imagination.

Le regardeur retrouve dans cette toile les thèmes qui façonnent le monde énigmatique et onirique de Max Ernst :
La nature, le jeu, la magie et la liberté.
Subversif et fascinant, Max Ernst déploie dans cette toile, son imagination débridée.
Par l’imaginaire, le jeu et le détournement, Max Ernst s’échappe.
Max Ernst est réfractaire à toute interprétation linéaire.
Il brouille la frontière entre la réalité et le rêve.

Ce tableau transcende les frontières du temps et de l’espace.
Ce tableau est comme un espace entre deux mondes.
Un portail ouvert sur un monde différent.
Le portail est une invitation à regarder au-delà pour voir la scène qui se déroule derrière, des choses très mystérieuses, des bâtiments et des personnages sans lien logique entre eux.
L’imaginaire de Max Ernst n’est pas de tout repos.
Le peintre nous parle de la fascination et de l’angoisse, des oiseaux et de l’enfermement.

André Breton dans une lettre à Derain, en 1921 écrit à propos du collage de Max Ernst, c’est
« une figure plastique conforme aux modes de représentations mises en vigueur par Einstein ».

Cette attention à la géométrie et aux mathématiques, partagée par les artistes et les poètes surréalistes, répond à une même volonté de rechercher systématiquement des écrits et des images en dehors des champs traditionnels.

Max Ernst évoque pour expliquer le processus créatif qui a donné naissance à ses collages, le modèle constitué par Lautréamont. Il exploite l’idée corrosive du poète. Il cherche à construire de nouvelles surprises et joies visuelles.
En transposant en peinture le principe du collage, Ernst crée une nouvelle étape, aux curieuses résonances. L’artiste a employé la technique du collage pour explorer l’irrationnel.
Max Ernst : « Si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la colle qui fait le collage ».

Isabelle Fortuné : « Si le vocabulaire scientifique se développe ainsi très tôt, dans les écrits et les œuvres surréalistes, ce n’est que vers le milieu des années trente que l’intérêt se déplace vers des réflexions plus théoriques, marquées par une volonté d’établir des concordances plus profondes entre la vision surréaliste du monde et la pensée scientifique ».

Il y a dans cette toile une part de provocation.
Max Ernst nie la distinction des apparences, pour lui la femme est oiseau et réciproquement.
Dans cette diversité de manières, règne le regard de l’artiste qui saisit et ordonne, qui recueille et invente et interprète selon son rêve.
René Crevel – dans le catalogue de l’exposition au Grand Palais -1975, le qualifie : « Le magicien des palpitations subtiles ».

Le rossignol est un motif récurrent dans le travail de Max Ernst.
Le rossignol a une signification personnelle pour Max Ernst.
Il symbolise la fascination de l’artiste pour la nature et son rôle dans la psyché humaine, servant de métaphore à l’impulsion créatrice qui guide ses efforts artistiques.
Un souvenir d’adolescent pour Max Ernst dont l’oiseau de compagnie, un cacatoès meurt en 1906, la nuit même où sa petite sœur naît. Le jeune garçon voit dans cette coïncidence un transfert d’énergie vitale, sans jamais se remettre totalement de sa perte. Ce choc émotif est en soi un sujet d’attention et de réflexion. Max Ernst – extrait d’Écritures : « Mes yeux étaient avides non seulement du monde étonnant qui, les assaillait du dehors, mais aussi de cet autre monde mystérieux et inquiétant qui jaillissait et s’évanouissait dans mes rêves d’adolescent avec instance et régularité…pour y « voir clair », un seul moyen s’offrait à moi : fixer sur papier tout ce qui s’offrait à ma vue, dessiner »

La scène fantastique du tableau, est apparue dans un rêve de Max Ernst.

La figure de l’oiseau traduit un affranchissement des normes picturales propre au travail de l’artiste qui ne s’enfermera jamais dans un style unique.
Max Ernst est par excellence le peintre surréaliste des oiseaux.

Face à une société bouleversée par une première guerre mondiale Max Ernst propose une ouverture sur un imaginaire fantastique.

Max Ernst est un iconoclaste : il tord l’espace euclidien, il brise la flèche du temps, il découpe et détourne les images.

 

Conclusion

La carrière artistique de Max Ernst a été marquée par une quête incessante d’innovation et d’expérimentation.
Lors de son séjour aux États-Unis, il multiplia ses recherches, ses matières, ses techniques et ne cessa de rester aux aguets de lui-même qu’au terme de sa vie en France le 1er avril 1976.

L’habileté de Max Ernst à puiser dans les profondeurs de l’esprit inconscient continue d’inspirer artistes et amateurs d’art, réaffirmant son statut comme l’une des figures les plus éminentes de l’art du XXe.

On se souvient de l’artiste pour son originalité, sa grande imagination, son coté provocateur et son conventionnalisme. Les efforts qu’il a déployé tout au long de sa vie pour transcrire en deux ou trois dimensions le monde du rêve et de l’inconscient lui ont valu la reconnaissance de ses pairs.
André Breton disait de lui : « l’homme des possibilités infinies »

Grand pionnier des mouvements dadaïste et surréalistes, les œuvres de Max Ernst transcrivent la vision de l’artiste du monde, irréaliste et fantaisiste.
Bien qu’il ait été l’un des pionniers du mouvement surréaliste, il est moins populaire que Magritte ou Dali.
Électron libre du mouvement surréaliste, Ernst n’a jamais arrêté de changer de style, comme Picasso et Klee.
« Un peintre est perdu quand il se trouve » explique cet expérimentateur qui cherchait constamment à se réinventer.

Max Ernst connu des débuts difficiles, aimé de ses amis, admiré par quelques-uns, inconnu du public, il connaîtra la notoriété qu’à partir de 1954, lorsqu’il obtient le Grand Prix de Peinture à la biennale de Venise et, ironie, se voit du fait même exclu du groupe surréaliste « pour compromission avec les puissances de l’argent ».

Il est l’un des rares artistes à avoir établie un réputation rayonnante dans trois pays différents : Allemagne, France et États -Unis, de son vivant.

Il est aujourd’hui une figure fondamentale pour les artistes qui s’intéressent à la technique, à la psychologie et qui recherche l’émancipation de la pensée.

 

Sources :
Singulart Magazine -article 2024 : À la découverte de deux enfants menacés par un rossignol
Chez Persée, Philippe Roberts-Jones : Éloge de Max Ernst –1978