Danse à la ville – Auguste Renoir 4

Auguste Renoir (1841-1919)

 

Danse à la ville

1883
Huile sur toile
Dim 180 x 90 cm

Conservé au musée d’Orsay

 

Entre 1882 et 1883 Renoir effectue une trilogie consacrée à la danse composée de Danse à BougivalDanse à la ville et Danse à la campagne.

Danse à la ville et Danse à la campagne ont été conçues pour être des pendants.

C’est le marchand P. Durand-Ruel qui a suggéré à Renoir d’effectuer ces deux toiles sur la danse, en opposant, à la sophistication de la ville, le plus grand naturel de la campagne.


Danse à la ville
 est une scène de genre.
Un couple de danseurs est représenté pratiquement grandeur nature.

Danse à la ville se passe dans un riche intérieur, une salle de bal, décorée d’une colonne de marbre et d’une composition de plantes vertes.

Le couple (La jeune-femme blonde est Suzanne Valadon, un modèle, le jeune-homme est Eugène-Pierre Lestringuez, un ami de la famille Renoir) danse enlacé.

La jeune-femme est dos au spectateur, son visage de profil est appuyé sur l’épaule de l’homme. Le danseur, face au spectateur, est pratiquement caché par sa partenaire. Nous voyons ses bras et ses mains, le droit enserre la taille de la jeune-femme, le gauche la guide dans la danse en lui tenant la main ; son pied droit, tout contre le pied gauche de la danseuse et sa jambe droite pressée contre le corps de la danseuse.  La chevelure de la jeune-femme nous cache les traits du danseur qui a le visage délicatement penché vers sa partenaire.

Le jeune-homme porte un habit noir et la jeune-femme est vêtue d’une longue robe blanche agrémentée de volants et d’une traîne. Tous les deux sont gantés de blanc et la jeune-femme a relevé ses cheveux en chignon retenu par des boutons de roses.

Ce couple de danseurs est très élégamment vêtu.

Les jeunes-gens dansent avec une grande ferveur amoureuse, pleine de retenue comme l’exige le protocole au XIXe.

Le visage de la jeune-femme nous montre son émotion, son regard est « intérieur » ses joues sont teintées de rose, son bras et sa main gauche délicatement mais fermement posés contre le bras et sur l’épaule de l’homme la font légèrement « dévisser » vers son partenaire pour être au plus près de son corps.

Le couple occupe le premier plan
L’arrière-plan : les plantes vertes et la colonne de marbre, a deux fonctions : situer la scène dans un intérieur bourgeois et mettre le couple en valeur.

Le couple est cadré-serré :
– La traîne de la robe que porte la jeune-femme n’apparaît pas entièrement dans le tableau par influence de la photographie
-la hauteur du tableau est sensiblement égale à la stature des personnages qui s’imposent avec force au spectateur.

C’est un tableau de verticales, elles sont le ressort de la composition Au second plan : la colonne de marbre de Carrare à droite, la superposition des plantes vertes à gauche, du tableau.
Au premier plan : les danseurs représentés en pied. La jeune-femme est l’élément central du tableau, l’attention du spectateur se porte sur elle.

J’ai lu : « le couple s’ennuie ».
Non ! soyons voyeur ! sentez l’énergie qui émane de ces corps étreints, l’un vers l’autre aspirés.

Renoir a stoppé le mouvement comme dans une photographie.
Le pan de la veste de l’homme qui se relève sur le côté en témoigne.

Les reflets métalliques des volants de la robe blanche nous renseignent sur la source de lumière : c’est une lumière artificielle. Il n’y a pas d’ombre au sol : la lumière vient d’un éclairage à gaz. Elle se diffuse sur les danseurs et fait briller les atours.

Renoir a utilisé une palette réduite. Il choisit des couleurs froides.
Le blanc et le noir des vêtements se mettent mutuellement en valeur.

Le peintre a porté un grand soin au dessin.
La représentation est précise. Les touches sont lissées.
Seules quelques fleurs sur le bas de la composition des plantes vertes, dérogent au parti-pris du peintre et, rappellent les petites touches employées par les impressionnistes.

 

Analyse

Ce tableau et son pendant, Danse à la campagne, marquent l’évolution du peintre.

Dans quelle période artistique de Renoir s’inscrit cette œuvre ?

En 1881 Renoir a quarante ans et voyage en Italie où il est conquis par la beauté des fresques de Raphael au Vatican et les tableaux d’Ingres.
Ces deux grands peintres influencent Renoir qui modifie sa manière de peindre et de dessiner. Il écrit à son marchand P. Durand-Ruel :
« je suis encore dans la maladie de la recherche. Je ne suis pas content et j’efface, j’efface encore… »

Entre 1883 et 1888, Renoir s’éloigne de l’Impressionnisme, son
« besoin de renouvellement » se traduit par une grande attention pour le dessin, avec un objectif, récupérer les formes qu’il a progressivement perdues durant les années précédentes.

1883, l’année de réalisation de Danse à la ville, marque  le début de la « période ingresque » de Renoir, où le dessin prend le pas sur la couleur.

Dans le bal du moulin de la Galette (1876) Renoir nous montre la joyeuse animation des danseurs, la foule qui se bouscule.

Avec Danse à la ville il attire notre regard sur un couple de danseurs qui semble avoir oublié tout ce qui les entoure.

Renoir joue sur le contraste cérémoniel du blanc et du noir. La blancheur évoque la sagesse et la pureté. La cohabitation du blanc et du noir évoque la retenue des danseurs et transmet l’émotion intense et palpable qui fuse du tableau.

Ces couleurs froides servent les formes d’un dessin rigoureux. Les plis de sa robe créent la sensation tactile du tissu.

Les contours des personnages sont précis. Le beau visage de la jeune-femme se découpe sur l’habit noir du danseur.

Les touches sont lissées. Le dessin de sa nuque souligne le port de tête élégant.

Son marchand P. Durand-Ruel n’aime pas ce nouveau style, ses amis peintres regrettent la fluidité et la souplesse de son trait impressionniste.

Renoir écrit à Ambroise Vollard :
« Vers 1883, il s’est fait comme une cassure dans mon œuvre. J’étais allé jusqu’au bout de l’impressionnisme et j’arrivais à la conclusion que je ne savais ni peindre ni dessiner. En un mot j’étais dans une impasse. »

 

Conclusion

Au cours d’une carrière d’un demi-siècle, le style de Renoir a fortement évolué.

Il débute en rompant avec les prescriptions académiques pour réaliser des scènes contemporaines et des portraits.

En 1869, Renoir glisse vers l’impressionnisme, travaille la lumière et la couleur.

À son retour d’Italie, Renoir se remet au dessin, à la recherche d’une pureté formelle, c’est sa période « ingresque » de 1880 à 1890.

À partir de 1890, Renoir évolue vers une synthèse artistique, c’est la volupté de sa période « nacrée » où il concilie le dessin et la couleur.

Au vu de l’importance de son œuvre la période dite « ingresque » est de très courte durée avec des « toiles plus rudes mais si belles ».

En 1889, Renoir refuse de participer à l’exposition universelle,
« Je trouve tout ce que je fais mauvais ».

Évoluer encore, telle est la raison de peindre de Renoir.

Renoir peindra jusqu’à sa mort en 1919.

Il aurait demandé sur son lit de mort, une toile et des pinceaux pour peindre le bouquet de fleurs qui se trouvait sur le rebord de la fenêtre.

En rendant pour la dernière fois ses pinceaux à l’infirmière il aurait déclaré :
« Je crois que je commence à y comprendre quelque chose »