Coucher de soleil sur la mer – 1896 – Henri-Edmond Cross

Henri-Edmond Cross (1856-1910)

 

Coucher de soleil sur la mer

 1896

Huile sur toile
Dim 52 x 59 cm

Conservé au Musée Wallraf-Richartz à Cologne

 

 

Le peintre

Henri-Edmond-Joseph Delacroix est né à Douai. Ses parents étaient l’aventurier Alcide Delacroix et la britannique Fanny Woollett. En 1865 sa famille s’installe près de Lille.
Le cousin d’Alcide, le Dr Auguste Soins, reconnut le talent artistique d’Henri, allant jusqu’à financer ses premiers cours de dessin. Cross commence à fréquenter l’École des beaux-arts de Lille. Avec Carolus Duran en 1874, ses études se poursuivirent à Paris en 1875 avec Bonvin, puis il retourne à Lille en 1878 et s’inscrit aux Écoles Académiques de Dessin et d’architecture. Son éducation artistique continua à Paris en 1881.
Les premières œuvres de Cross présentaient les couleurs sombres du réalisme, ce sont des natures mortes et des jardins de Paris.
Afin de se distinguer du célèbre peintre romantique Eugène Delacroix, il changea son nom en 1881. 1881 est l’année de sa première exposition au Salon des Artistes français.
En 1883, il voyage dans les Alpes-Maritimes, pendant ce voyage il rencontre Paul Signac qui devient un ami proche et une influence artistique importante.
En 1884, Cross co-fonda la Société des Artistes Indépendants qui consistait en un groupe d’artistes mécontents des pratiques du Salon officiel et présenta des expositions sans jury ni prix. C’est alors qu’il se lie d’amitié avec de nombreux artistes impliqués dans le mouvement néo-impressionniste dont Georges Seurat.
À la mort de Seurat en 1891, Cross encouragé par Signac, s’engage dans la technique appelée divisionnisme. Cette technique s’inspire des théories scientifiques sur la couleur et l’optique.
Cross peint de très petits points et des petites touches de peinture placés l’un à côté de l’autre sur la toile. Le regardeur, à distance, mélange les points et les touches et recompose le sujet.
H.E. Cross se rapproche petit à petit des néo-impressionnistes, séduit par les contrastes de couleur audacieux, l’expressivité et le côté décoratif des œuvres. Le changement de son style est graduel. Sa palette de couleurs devient plus légère et il travaille en plein air.
Ce style a influencé les artistes fauves tels Derain et Matisse.
Comme Signac, Pissarro et d’autres néo-impressionnistes, Cross croyait aux principes anarchistes, avec l’espoir d’une société utopique.
Le processus de création de tableaux divisionnistes, avec de nombreux petits points de couleur, était fastidieux. Lorsque Cross voulut peindre des impressions rapides, il créa des images à l’aquarelle ou au crayon de couleur, dans ses carnets.
En 1886, il voyage à l’automne en Hollande et en Belgique.
Cross commença à éprouver des problèmes de vision dans le début des années 1880 et ceux-ci devinrent plus sévères dans les années 1900.
Il fera deux voyages en Italie, à Venise en 1903 et en Toscane et Ombrie en 1908.
Chaque année, Cross se rend à Monaco où ses parents l’accueillent en janvier. Au printemps, il passe quelques semaines à Paris, à l’occasion du Salon des Indépendants où il expose régulièrement.
En partie à cause de ses problèmes de santé l’œuvre de Cross est relativement petite.
Toutefois, dans ses dernières années, il fut très productif et créatif.
Ses œuvres furent présentées dans des expositions particulières et il fut acclamé par la critique et eu un bon succès commercial. Sa première exposition monographique a lieu en 1905 à la galerie Druet à Paris.
À la fin de sa vie ses œuvres sont de plus en plus épurées. Ce sont des aquarelles où les paysages sont suggérés par des rubans de couleurs fluides, lavis de gris et de bleu qui évoquent la photographie.
En 1909, Cross fut traité dans un hôpital parisien pour un cancer.
Il meurt le 16 mai 1910.
Sa tombe située dans le cimetière du Lavandou, dispose d’un médaillon en bronze que son ami Théo van Rysselberghe a conçu.

 

 

Le tableau

Cross est réputé pour ses paysages lumineux et marins des bords de la méditerranée.

 Dans les années 1890, il s’installe dans le var. Et commence à intégrer des sujets provençaux à ses toiles.

C’est en 1891, que Cross passe au divisionnisme. Il s’inscrit dans le courant pointilliste qui se développe fortement dès la fin du XIXe.
Il rompt avec une esthétique qu’il pratiquait depuis dix ans pour adopter avec enthousiasme celle du groupe qui animait le Salon des Indépendants.
Avec Signac, Cross révèle de la Provence une beauté lumineuse naturelle inédite et incomparable : le fauvisme est là, annoncé, dont on sent poindre dans ses œuvres du début du XXe le germe d’une harmonie chromatique.

Cross s’installe dans le midi pour peindre la lumière, les couleurs éclatantes et la relation entre l’homme et la nature.
Ce « poète de la teinte » ne cesse d’être inspiré par les paysages méditerranéens.

Cette toile appartient à la série des marines néo-impressionnistes peintes sur le bord de la méditerranée dans les années 1890.

Cette série de paysages constitue le sommet de son œuvre.

 

  

Composition

Cross représente ce paysage de bord de mer en vue légèrement plongeante.
Notre œil surplombe les vagues.

La simplicité radicale de la composition souligne la beauté d’un paysage intact.
La pureté des lignes témoigne de la vision synthétique du peintre qui ignore délibérément les détails pour privilégier l’équilibre et l’ampleur du rythme décoratif.
Ce tableau représente un magnifique coucher de soleil sur la mer.
Alors que le soleil se reflète dans l’eau, les vagues jettent des ombres horizontales avec des tons violets.

Cette toile est typiquement pointilliste, avec de petits points de couleur positionnés à proximité et régulièrement.

À partir de 1895 Cross change progressivement sa technique.
Le peintre parvient à adapter le style rigide du pointillisme à sa propre technique en construisant des petites tâches, losanges, rondes ou rectangulaires, de dimensions à peu près égales et régulièrement espacées.
Cross élargit sa touche et juxtapose sur la toile des traits de couleur pure, posés en touches brèves dont la direction épouse la forme du motif représenté.
Les couleurs gagnent en intensité et la surface de la toile s’anime sous l’effet du traitement dynamique de la couleur. Les couleurs juxtaposées les unes à côté des autres sur la toile, donnent de près une impression de mosaïque.
Les couleurs pures, jaune vif, orange, rouge, vert, bleu, violet mélangées optiquement, explorent toute la gamme du spectre chromatique et traduisent à merveille le scintillement et l’éclat du paysage.

Cross capture les scintillements de la mer et la réverbération du soleil.
La palette est vive et la touche saturée.
Les couleurs mates, mêlées de blanc, disent l’éblouissante intensité de la lumière méditerranéenne et le soleil étincelle sur une mer dont la surface pâlit et s’efface.

La régularité de la touche exprime une sensation de sérénité.
Cross traduit la vibration de l’air et de la lumière sur les éléments.

La composition est construite sur une alternance de bandes parallèles et horizontales, claires et foncées, formées par les vagues, qui alternent les couleurs froides et les couleurs chaudes.
Les couleurs chaudes se répercutent dans le ciel tandis que les couleurs froides forment la côte de rochers.
Un bateau se distingue nettement avec son bleu froid et sa voile rouge sur l’eau violette.

Cette composition se déroule sur les contrastes qui se produisent dans toute la toile.
Les ors somptueux sont opposés aux mauves et au bleus plus (sur la côte) ou moins intenses (dans le ciel) avec des accents occasionnels de rouge et de vert.
La couleur circule librement entre les parties.

Cross tente de traduire l’intensité de la lumière en exaltant les teintes.
Il accuse les contrastes par l’opposition des teintes complémentaires. L’or jaune des vagues au soleil s’oppose à la fraîcheur de l’ombre travaillée en touches mauves.

Seule la couleur permet de déterminer les différents plans de cette composition.
La touche animée et dansante fait vibrer la toile.

Les vagues invitent notre regard à suivre leur mouvement.

Cross représente la nature sans jamais tomber dans la banalité.

Son tableau peut être considéré comme précurseur du fauvisme et du cubisme.

 

Analyse

I-   Le caractère scientifique et décoratif de la toile.

Le divisionnisme a fait entrer les lois de l’optique dans la peinture. C’est une démarche scientifique qui oblige les peintres à considérer en premier la technique plutôt que le sujet.

Cross raisonne en termes de contrastes simultanés, de complémentaires et de composition.
L’agencement de la composition joue un rôle important dans le processus créatif de cette toile.
Cross applique la technique divisionniste, en termes de couleurs et de contrastes chromatiques, il rend la transparence en ne mélangeant pas les couleurs sur la palette et en utilisant des couleurs pures ou des dégradés de blanc.
Cross a fait usage des théories sur les découvertes de l’optique et des lois du contraste simultané énoncées par les scientifiques, Eugène Chevreul, Ogden N. Rood et par Charles Blanc.

Dans ce tableau, il n’y a pas de place pour le hasard et la spontanéité.
Les couleurs et les lumières sont réglées en fonction d’une construction spatiale très ordonnée.
Cross s’attache à répartir les couleurs du prisme dans sa composition.

Cross libère le divisionnisme pour en faire un style de la couleur pure, orienté vers la création d’une harmonie colorée lumineuse.

Cross emprunte aux estampes japonaises dans ce paysage. Les vagues au premier plan introduisent notre regard dans la scène et créent un effet de perspective.
Cross a une admiration particulière pour Claude Monet. « J’ai été emballé par ce peintre pour la première fois en 84 ». Ce paysage renvoie aux couchers de soleil de Monet.
En 1886, Cross voyage aux Pays-Bas, il est sensible à l’art flamand, à Rubens et Rembrandt.
Son iconographie néo-impressionniste se nourrit de culture classique, voire académique, apprise avec ses professeurs.


II-   Ce paysage divisionniste ne vise-t-il qu’à l’objectivité rétinienne ou est-il une porte ouverte sur un monde symbolique et sur la poétique du réel 

Ce paysage s’ouvre sur le monde de l’intériorité, en créant une mise en relation du réel et de la réalité.

Le choix du bateau peut être interprété comme une illustration symbolique du cycle de la vie.

Cross en appelle à une réflexion sur le jeu des apparences du monde sensible, au travers des ombres, reflet par défaut d’une réalité invisible qui occupe dans ce paysage une place aussi importante que les objets visibles.

Cross, grand amateur de lectures philosophiques, était un admirateur de Nietzsche et de Schopenhauer. La pensée de ce dernier s’articule autour de l’idée que le monde est représentation et qu’il existe donc une distinction fondamentale entre le sujet et l’objet, de même que le temps et l’espace sont intimement liés.
Cette considération fondamentale permet d’éclairer d’une manière nouvelle, autre que rétinienne, l’atmosphère volontairement irréelle, comme sortie d’un rêve, qui habite ce paysage.

Cross recherche l’harmonie universelle de la nature.

La nature contemplative et la profondeur métaphysique de l’esprit du divisionnisme dans les années 1890, se coulent parfaitement dans ce paysage.

Cross donne avec ce paysage fondu en touches fines une toile qui traduit un sentiment d’harmonie entre le peintre et la nature.

 

 III-   Cross a un vrai passion pour la couleur.

Pour ce peintre du Nord, la lumière du Sud est une véritable révélation.

Cross  passe des couleurs douces et pastels des impressionnistes aux couleurs franches et assumées du début du siècle.
Il est le premier à utiliser des couleurs pures. Il exalte et libère la couleur.

Il est libre comme les impressionnistes, il peint ce qu’il voit, par petites touches en pratiquant la division des couleurs.

Cross parle de nature et d’harmonie et des plaisirs simples de la vie.

Au fil du temps Cross s’affranchit du réel.
Il imagine des paysages mythiques, des ondulations de lumières, des flots purs écrasés de soleil, une sorte de paradis panthéiste, suggérant la recherche du bonheur éternel.

Coloriste audacieux, Cross n’hésite pas à modifier radicalement les couleurs au gré de son imagination.

Partager entre un besoin d’imiter la nature et une volonté de la dépasser, il pousse la richesse chromatique à son paroxysme.

Cross a la volonté de dépasser « la glorification de la nature » pour parvenir à « la glorification d’une vision intérieure ».

 

Conclusion

L’œuvre de Cross néo-impressionniste, peu connu de son vivant par le public, avait la reconnaissance de ses pairs. Il était apprécié par un cercle artistique et a influencé André Derain, Robert Delaunay, Vassily Kandinsky et Henri Matisse.

Très présent sur la scène artistique européenne, Cross joue un rôle de premier plan dans le mouvement de libération de la couleur qui marque les premières années du XXe.

Son travail exerça une influence instrumentale dans le développement du fauvisme.
Ses toiles ont laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de la peinture.

Cross a participé au renouveau de la peinture du XXe. C’est un des pères de la modernité.

Après sa mort en 1910, les hommages posthumes se multiplient en France et en Europe.

 

Sources :

Maignon Claire : article : Le portrait divisionniste, un exercice de style –2007 dans la revue Persée
Catalogue d’exposition : Henri-Edmond Cross dans la lumière du Var -2023