Conversation galante -1654-55 Gérard Ter Borch

 

Gérard Ter Borch (1617-1681)

 

 L’admonestation paternelle

Actuellement titrée : Conversation galante ou Remontrance

 1654-55

Huile sur toile

Dim 70 x 60 cm

Conservé au Rijksmuseum à Amsterdam, Pays-Bas.

 

 

Le peintre

Gérard Ter Borch, dit le Jeune, est un peintre de genre et de portraits.
Il commence à dessiner à l’âge de huit ans sous la direction de son père, Gérard Ter, dit le Vieux, qui est un peintre d’histoire.
De 1632 à 1635, il étudie à Haarlem chez Pieter de Molyn où il apprend la simplicité de composition. Il prend à Frans Hals ses fines harmonies grises.
C’est un peintre voyageur.
En 1635, il visite Londres, l’Allemagne, la France et l’Italie avant de s’établir à Amsterdam.
Après son retour d’Italie, il change de style, ses scènes deviennent plus intimes, ses personnages sont des bourgeois de son entourage.
Ses portraits sont d’une rare élégance.
En 1646, il part à Münster où se déroule le congrès diplomatique. Il est employé comme portraitiste et peint La ratification du traité de Münster, les Plénipotentiaires des Pays-Bas et de l’Espagne. Il suit l’un d’eux à Madrid où il étudie les tableaux de Vélasquez.
En 1654, il revient dans sa famille, se marie dans la ville de Deventer et mène une activité de portraitiste tout en prenant part à la vie politique de la ville dont il devient le bourgmestre.

 

Le tableau

C’est une scène d’intérieur, une scène pleine de retenue et tout en nuances psychologiques.

Deux interprétations sont possibles :
Au XVIIe
ce tableau représente une scène de famille où la jeune-fille vue de dos se fait admonester par son père.
Au milieu du XXe ce tableau est interprété comme une scène de maison close : un militaire séduit une jeune-fille.

Quelque soit l’interprétation, Borch rend le sujet avec une délicatesse inconnue jusqu’alors.

Le peintre se place dans la lignée des maîtres hollandais, en choisissant comme sujets les personnages les plus ordinaires en leur apportant une profondeur troublante.

 

Composition

L’espace est géométrisé.
Trois plans successifs découpés par des verticales.

Le lit, la jeune-fille debout et la porte rythment le tableau :

Un premier plan où se tiennent les personnages, deux assis sur des chaises, une debout de dos devant un tabouret et une table recouverte d’une nappe rouge sur laquelle sont disposés divers objets.
Le deuxième plan est barré par la haute boiserie d’un lit.
À l’arrière-plan, un mur gris où l’on devine une porte fermée sur la droite du tableau.

Les larges lattes de bois clair du plancher installent la profondeur, secondées par l’épée de l’homme et le corps du chien debout sur ses pattes.

Les personnages sont réservés.
Ter Borch présente son personnage féminin tournant le dos au regardant.

Le regardant a l’impression de surprendre la scène.

Ter Borch fait une brillante démonstration de sa technique dans ce tableau.
Il excelle à peindre les éclats (des étoffes, particulièrement le satin blanc) et les transparences des objets (le verre de vin porté aux lèvres de la femme assise et la coupelle sur la table).

Un chandelier, un miroir -dont le cadre évoque un livre, un ruban, une coupelle, un foulard et une brosse, deux étuis, tous ces objets disposés sur la table se fondent dans l’ensemble. Ce sont des objets familiers, des détails rassurants.

Borch joue sur le rendu du satin et sur le raffinement de ses couleurs.
La gamme chromatique déploie des nuances de rouge qui jouent avec des gris et des bruns. L’harmonie des gris et des bruns est discrète, relevée par le blanc du satin de la robe et le jeu subtil des rouges des rideaux, de la chaise et de la table.

La lumière entre par la gauche du tableau et enveloppe les personnages dans un velouté de clair-obscur dans lequel se profile un chien sur la droite du tableau.
La lumière fond les couleurs dans une douce harmonie.
Elle éclaire avec délicatesse les visages et le cou de la jeune-femme, se miroite sur le satin de la robe -chatoyant à souhait.

 

Analyse


I- L’ambiguïté de cette mise en scène est délibérée.

Ter Borch est le spécialiste des représentations de jeunes bourgeoises dans des intérieurs élégants.

C’est une scène familière qui séduit par son silence.

Une narration s’est construite autour des trois figures dont les visages et leurs expressions sont essentiels pour le sens du tableau.

La disposition des meubles, le lit au fond de l’image, la table à gauche, les personnages devant, théâtralise la scène.

Ter Borch évolue vers une mise en scène de genre moderne où la psychologie est prise en compte.

Il sait donner une individualité et une expression justes à ses personnages qu’il lie entre eux par les regards ici devinés parce que la jeune-fille est de dos.
Ce procédé renforce l’analyse psychologique.

Les gestes sont précis et parlent de la vie intérieure. Les personnages sont réservés. La femme assise, le visage de face a les yeux baissés et parait absente. La jeune femme debout, nous tourne le dos.

Ter Borch recherche le naturel.

La scène nous tient à distance de l’intérieur d’une maison néerlandaise du XVIIe.

Le regardant n’est pas invité à communiquer avec les personnages.
Il doit deviner ce qu’il ne voit pas.

Peu d’indices éclairent sur la nature des liens et des relations qui restent incertaines pour le regardant.

 

II- Les scènes de genre sont censées véhiculer un message moral

 Cependant dans ce tableau, Borch s’attache davantage à restituer les textures du satin et de la fourrure qu’à condamner un mode de vie dissolu.
Seul le chien qui se fond dans le décor à droite du tableau a un regard qui témoigne de ce message.

Dans la version du XXe, la femme assise plus âgée, les yeux baissés, buvant un verre de vin est une entremetteuse, le lit -dont on voit les pieds serait le symbole de la transaction en cours. L’homme est un client militaire. L’officier assis, parle en appuyant ses propos avec un geste de ses mains.

Cette version a ma préférence sur la Remontrance paternelle.

Ter Borch aurait peint une scène galante.
Le galant militaire est un personnage récurent des scènes galantes.
Ce qui est censé nous mettre sur la voie, sans équivoque …
Si amour il y a, il est tarifié.

Serait-ce une scène d’amour vénal ?
Les historiens suggèrent qu’il y avait une pièce d’or dans la main du militaire, qui a été effacée.

Le tableau illustre l’ambiguïté qui caractérise l’œuvre du peintre.

Ter Borch résout dans ce tableau le dilemme moral en nous représentant la jeune-fille de dos. Nous ne sommes pas certains de sa vertu. Son cou est incliné, en signe de soumission aux désirs des personnages assis.

Ter Borch place le regardant dans une situation de voyeur.
En étant revêtue d’une belle robe aux manches bouffantes de satin blanc la jeune-fille prend une dimension suggestive.
Elle appelle à la séduction.

C’est le piquant de la transgression qui est le ressort de la mise en scène de ce tableau.

Le tableau met en scène un espace clos et protégé du regard d’autrui.
Dans le même temps le tableau s’expose à la vue du regardant indiscret.

Les personnages n’invitent pas le regardant à participer à la scène, ils l’autorisent à regarder de loin.

Le contenu moralisateur de cette scène est discutable et Ter Borch s’autorise un ton léger pour pointer les désordres de la vie domestiques de son époque.

Les personnages appartiennent à une classe privilégiée. On peut en déduire que Ter Borch lui-même se figure dans les traits du regardant indiscret afin de mieux se jouer des mœurs et de certains comportements de l’aristocratie.

Le regardant peut l’interpréter comme une proposition de mariage mais la signification ultime reste voilée.

La dissimulation attise la curiosité, cette scène titille le regardant.

 Et c’est tout l’attrait de ce tableau.

 

Conclusion

Les scènes de la vie domestique produites entre 1650 et 1670 par les peintres du nord tiennent une place exceptionnelle dans l’art européen du fait de leur qualité technique et de leur poésie.

Aucune nation contemporaine d’Europe ne s’est préoccupée de représenter l’univers domestique dans lequel vivaient ses habitants, comme l’ont fait les peintres du Nord. De plus,  en y ajoutant une dimension sociale symbolique, leurs tableaux dépassent le simple projet d’une représentation matérialiste.

Ter Borch en représentant une société élégante tresse une couronne à la peinture de genre.

Dans ce milieu de jeunes artistes travaillant sur les mêmes sujets, les croisements sont nombreux. Les peintures circulent. L’exécution des répliques par le peintre ou son atelier et la multiplication des copies augmente leur rayonnement.

Gérard Ter Borch appartient à cette pléiade d’artistes avec Gérard Dou, Pieter de Hooch, Vermeer, Gabriel Metsu, Frans van Mieris, Nicolas Maes, Caspar Netscher (son élève), Jan Steen, Jacob Ochtervelt et Eglon van der Neer. Ils sont nés autour de 1630, à l’exception de Dou et Ter Borch, plus âgés, qui ont fourni des suggestions décisives aux plus jeunes. Si la thématique est réduite, les solutions formelles et narratives fourmillent.

Ces peintres adoptent les principes de Ter Borch, chacun suivant ses propres directions en de subtiles variations.
Le motif de Ter Borch de la jeun-femme vue de dos est repris par Vermeer.
Les thèmes épistoliers initiés par Ter Borch sont repris avec inventivité par Metsu et Vermeer.

Tous ces tableaux sont très harmonieux, enveloppés dans leur clair-obscur.

Beaucoup de ces artistes appartiennent à la guide de saint Luc de leur ville et de fait, sont intégrés dans des réseaux professionnels actifs.

Les liens d’amitié ont leur importance.
Ter Borch et Vermeer ont probablement étaient amis, ils signent un acte notarié ensemble en 1653.

Les deux peintres partagent l’art de saisir et de rendre mieux que leurs confères la psychologie et l’humanité de leurs personnages.

Ter Borch et Vermeer sont deux peintres très modernes.