Christ dans la maison de ses parents – 1849-50 John Everett Millais

 

John Everett Millais (1829-1896)

 

Christ dans la maison de ses parents

1849-50

Huile sur toile
Dim 86 x 140 cm
Conservé à Londres à la Tate Gallery
L’association préraphaélite fut formée en 1848 par un groupe de jeunes artistes dont Dante Gabriel Rossetti, William Holman Hunt et John Everett Millais.
Ils firent leurs débuts en 1849 aux expositions de l’Académie royale et de la Société libre.
Malgré leur attachement au réalisme ils n’évitèrent pas les sujets littéraires ou historiques comme le firent les réalistes français.
Les préraphaélites sont le mouvement artistique le plus caractéristique de l’époque victorienne. Ils ont pour référence l’art médiéval.

D.G. Rossetti : dans L’Annonciation –1849-50 le peintre aborde un sujet traité couramment dans l’art primitif italien, on pense à Fra Angelico.

W.H. Hunt : son Réveil de la conscience- 1853-54 est devenu le symbole du moralisme littéraire de la société victorienne.

J.E. Millais : il s’inspire de L’Ophélie de Shakespeare –1852 et des thèmes bibliques comme des réalités sociales de l’époque.

Les membres du groupe trouvèrent un allié en la personne de John Ruskin. Dans son livre Modern Painters -1843, il prit la défense des préraphaélites qu’il considérait justement pour leur souci de vérité.

L’association tourna court, ses membres originels poursuivant chacun leur voie à partir du début des années 1850.

 

Le peintre

Millais est un peintre précoce.
Il entre à l’âge de onze ans à l’école d’art de la Royal Academy.
Il participe activement à la création du groupe des préraphaélites.
Au milieu de sa carrière, il prend ses distances avec le groupe et opte pour un style pictural plus réaliste.

 

Le tableau

En 1850, à vingt et un ans, Millais expose ce tableau à l’Académie royale.

Il ne lui donne pas de titre et l’accompagne de la citation tirée de l’Ancien Testament : Zacharie 13.6 : « Et si on lui demande : D’où viennent ces blessures que tu as aux mains ? Il répondra : C’est dans la maison de ceux qui m’aimaient que je les aie reçues. »

Les réactions furent blessantes tant il était inconcevable que ce tableau représente la Sainte Famille.
Charles Dickens se déchaîna sur ce tableau. Choqué par le grand réalisme de cette scène où le Christ se blesse avec un clou, Dickens le décrivit comme « un hideux garçonnet rouquin et pleurnichard au cou tordu » qui vient manifestement de se blesser en jouant.
La férocité de sa critique répercute justement la sensibilité du sujet.

Peindre les petites gens était accepté par les écoles espagnoles et hollandaises du XVIIe.

Quant à l’Angleterre conservatrice du XIXe, elle avait une vision beaucoup trop classique de la beauté pour apprécier le réalisme des préraphaélites.

 

Composition

C’est un tableau de grandes dimensions.

La composition est traversée par deux horizontales, l’établi et la ligne d’horizon. Entre ces deux lignes, se déroule un serpent de verticales :
Les planches, l’osier, les personnages, l’échelle, et les boisseaux imposent un rythme rigoureux et dynamique.

Au premier plan
L’intérieur d’un atelier de charpentier est représenté dans les moindres détails. Dans cet atelier six personnages sont réunis autour d’un établi.
Au second plan
Un grand pré où des animaux sont en pâture. Un troupeau de moutons se presse devant la porte de l’atelier. Un peu plus loin dans le pré un troupeau de vaches, certaines sont couchées.
Dans le fond du tableau
Une barre de nuages délimite la ligne d’horizon.
On aperçoit un coin de ciel bleu.

Le spectateur a une vue en légère plongée. La ligne d’horizon très rehaussée par rapport à l’axe de la composition -environ au 7/8 de la hauteur du tableau renforce cette impression. Cela a pour effet de mettre notre regard à la hauteur de la main blessée du Christ et des bras fuselés du charpentier.

Tous les éléments, même les plus prosaïques sont reproduits méticuleusement :
La saleté du lieu, la pauvreté des vêtements, l’exiguïté de l’atelier, l’humilité du mobilier. Les copeaux jonchent le sol et traduisent l’ardeur au travail des charpentiers.

Devant l’établi, le jeune Christ occupe le milieu de la composition. Il s’est blessé à la main et son sang goutte sur son pied, tel un mauvais augure.
Sa Mère le console, agenouillée à ses côtés.

Dans l’axe du tableau, derrière l’établi, l’atelier est fermé par un mur de bois. Des outils sont accrochés sur ce mur et une échelle y est appuyée.
Une colombe est perchée sur l’échelle.

À droite du tableau, au premier plan, un petit garçon s’avance en portant une écuelle à deux mains. Derrière lui, des boisseaux appuyés contre le mur, repoussent le fond du tableau jusqu’à un petit mur percé d’une fenêtre en arc de cintre. Une bougie allumée est posée sur la margelle. L’éclairage sur les bois laisse supposer qu’il s’agit d’un auvent et que cette partie de l’atelier est ouverte.

Dans l’angle inférieur gauche du tableau, on observe un pot dans lequel se dressent les hautes tiges d’une plante verte, c’est assurément de l’osier.

À gauche du tableau, un homme est penché sur l’établi. Il est torse nu, c’est un ouvrier. Il tient un marteau et des clous dans ses mains tout en maintenant la porte posée sur l’établi et sur laquelle est penché le charpentier lui faisant face de l’autre côté. Derrière lui, se dressent des planchent calées contre le mur en bois, à gauche de la porte grande ouverte.

Une lumière douce et chaude baigne le tableau.
Elle entre par le haut gauche de la composition et les ombres sur les peaux et les vêtements indiquent une fenêtre en toiture. La lumière glisse sur la porte posée sur l’établi, sculpte les peaux nues faisant ressortir les corps fins et musclés, s’attarde sur chaque copeau, chaque planche, chaque boisseau, déclinant des nuances de beiges.

La gamme chromatique est dominée par un beige pâle, piqué de couleurs vives, le rouge flamboyant pour la petite fleur qui pousse devant la porte et pour la blouse aux manches retroussées du charpentier, le bleu de Prusse pour la robe de la mère, une écharpe orangée lumineuse couvre la robe d’un vert très foncé de la femme qui se tient debout penchée vers l’enfant de l’autre côté de l’établi.

Millais applique de fines couches de peinture sur un fond blanc mouillé.
Avec cette technique Millais obtient une grande intensité et une belle clarté des couleurs.

 

Analyse

Pour John Everett Millais la fidélité au mouvement préraphaélite consistait à livrer une version de la réalité qui ne fut ni idéalisée ni retravaillée, bien que cette approche lui value l’antipathie des critiques.

Pour les préraphaélites l’omission des détails relevait autant de la trahison des idées du groupe que de la négligence.

Chez Millais, ce tour de force de réalisme est mêlé de symbolisme typologique.

Le réalisme se loge dans les rides de Marie, dans la calvitie de Joseph et les veines protubérantes de ses bras. Les torses nus dévoilent la maigreur des personnages, et donc leur pauvreté, ce sont des gens du peuple. Marie et Joseph sont chez eux, dans leur atelier. Le tableau est dénué de toute sublimation.

Le lieu représenté est un véritable atelier de charpentier et les bras de Joseph, à droite du tableau, sont peints d’après les bras d’un véritable charpentier. En revanche la tête du personnage est le portrait du père de l’artiste.

Millais représente une scène de la vie quotidienne en choisissant des membres de sa famille ou de son entourage comme modèle.

Le peintre construit sa scène avec un leitmotiv, la vraisemblance.

Tous les emblèmes de la foi chrétienne sont présents dans cette composition et renvoient à son destin le Christ enfant qui mourra crucifié.
Les moutons groupés près de la fenêtre représentent le symbole chrétien de l’agnus dei. La colombe perchée sur l’échelle représente le saint esprit. Le triangle accroché au mur est le signe de la Trinité. La bougie allumée indique la présence du Christ. L’enfant blessé lève la paume de sa main, le clou dépasse de l’établi, le peintre préfigure la passion du Christ. Marie est vêtue d’une robe bleue conformément à la tradition iconographique. Le jeune garçon sanglé d’une peau de bête qui s’avance avec une cuvette d’eau fait référence à saint Jean-Baptiste. Nous sommes en présence de la Sainte Famille.

La scène fait l’éloge de l’amour parental et de la transmission du savoir.
En peignant la scène légèrement en plongée, Millais nous montre du doigt les trois détails qui illustrent ces éloges : Marie est à genoux pour consoler son enfant, les bras de Joseph sont les bras du labeur et la blessure est celle d’un enfant qui apprend à planter un clou.

Avec chacun de ses personnages, Millais instille du sentiment et une connotation moralisante.

Comme dans la peinture flamande du début du XVe, les détails réalistes sont empreints de gravité et de symbolisme religieux.

En peignant une représentation de personnages bibliques, ancrée dans la réalité crue de son époque. En rabaissant la Sainte Famille au rang de gens du peuple, en osant une chevelure rousse pour le Christ -si cette couleur est très appréciée des préraphaélites- elle n’en demeure pas moins à cette époque la couleur du vice et de la luxure, Millais se place en opposition totale avec les normes artistiques de son temps.

Le peintre assume ses choix esthétiques.
Son tableau fait référence au message origine du Christ qui prêche l’humilité et le rejet des vanités terrestres.


Conclusion

Les préraphaélites exercèrent une influence déterminante sur l’évolution de l’Art nouveau et du symbolisme.

En France et en Europe les préraphaélites exercèrent une influence certaine.
En 1855, les œuvres de Hunt et de Millais sont exposées à l’Exposition universelle de Paris où Delacroix et Théophile Gautier les admirent.

Burne-Jones et Rossetti ont eu une forte influence sur le symbolisme européen de la fin du XIXe.

On retrouve chez Fernand Khnopff l’influence de Rossetti dans son tableau de 1891, Je ferme la porte sur moi.

Durant la décennie suivante une nouvelle génération d’artistes rejoignit le cercle des préraphaélites et les mit en contact avec le mouvement esthétique des « Arts and Crafts ». Seasons c. -1895 papier peint de William Morris.

L’accent fut mis sur la beauté pour elle-même, souvent à travers la représentation d’un personnage féminin sensuel.

Les idées de l’association -notamment son intérêt pour la littérature et les thèmes médiévaux, la beauté et la femme fatale -et certaines de ses qualités formelles survécurent parmi les générations d’artistes suivantes.

On retrouvera ses idées Chez John William Waterhouse né l’année de la formation du groupe.