La pièce aux cents florins – vers 1648-50 Rembrandt

Rembrandt (1606-1669)

 

La Pièce aux cent florins

Vers 1648-1650

Eau-forte, pointe sèche et burin sur papier japon

Dim 28 x 39,4 cm

La gravure est conservée au Rijksmuseum à Amsterdam

Le peintre

L’œuvre de Rembrandt fut longtemps définie par sa biographie : une naissance humble d’un père meunier, un premier mariage heureux suivi de tragédies personnelles, des dettes accumulées menant à la banqueroute, puis la mort dans le dénuement.
Rembrandt étudie brièvement à l’école latine et à l’université de Leyde, puis devient l’apprenti d’un peintre local.
Afin de parfaire sa maîtrise des tableaux d’histoire, il va à Amsterdam en 1624 pour poursuivre son apprentissage avec Pieter Lastman (1583-1633). Lastman a passé quatre ans en Italie et à son retour en 1607, il est devenu le principal peintre d’histoire d’Amsterdam. Il s’attache à rendre claire la narration et plausibles les décors et attributs historiques.
L’œuvre de Rembrandt montre qu’il apprend beaucoup de Lastman sur le plan de la narration et de la recréation d’évènements historiques. De retour à Leyde, Rembrandt s’établit à son compte. Rembrandt rencontre Constantin Huygens, secrétaire du stadhouder et homme cultivé. Admirateur des tableaux d’histoire de Rembrandt, Huygens l’aide à obtenir des commandes de la Cour pour des portraits et des toiles montrant le martyr et la crucifixion du Christ.
Vers 1631, Rembrandt s’installe à Amsterdam. Rembrandt réussit au début de sa carrière à accéder au marché des portraits et des peintures d’histoire par l’intermédiaire de Hendrik Uylenburgh, éminent marchand résident au cœur de la cité, qui obtenait des commandes pour de nombreux jeunes artistes.
Grâce à son aide Rembrandt remporte un succès considérable avec ses portraits, qui subjuguent ses contemporains par leur étonnante ressemblance.
Vers les années 1630, Rembrandt se met à peindre de vivants tableaux d’histoire de grandes dimensions.
Rembrandt attire de nombreux apprentis, qui le payent jusqu’à cent florins par an, et des collaborateurs, qui copient ses œuvres et le secondent dans l’exécution de ses tableaux.

 

La gravure

La Pièce aux cent florins doit son nom au fait que Rembrandt, collectionneur d’estampes, l’échangea contre plusieurs pièces du graveur Marcantonio Raimondi, pour une valeur totale de cent florins.

Rembrandt ne vendit jamais cette gravure, il l’offrit à ses amis.

Au XVIIIe, Baillie en fit un tirage sur papier ordinaire et un tirage sur papier de chine. Après en avoir tiré cent épreuves, il découpa le cuivre en quatre morceaux et en tira des épreuves séparées.
Les épreuves furent achetées par souscription en 1775.

L’achat, lors d’une vente à Londres au XIXe, par Eugène Dutuit de cette pièce rare du premier état, au prix exceptionnel de 27 500 francs, a été pour lui une source de satisfaction et de grande fierté.
À cette époque le salaire annuel d’un ménage d’ouvriers parisiens s’élevait à 1 964 francs.

La Pièce aux cent florins a défrayé la chronique et son prix l’a élevée au rang de mythe.

Rembrandt a représenté le Christ prêchant et guérissant les malades, selon les Évangiles de Matthieu et de Luc, dont plusieurs versets sont illustrés : « Et sa renommée se répandait de plus en plus, tellement que de grandes foules s’assemblaient pour l’entendre et pour être guéries par lui de leurs maladies ». (Luc, V,15.)

Ce thème est inhabituel à l’époque.

Composition

Rembrandt montre le Christ s’adressant à un groupe d’auditeurs.
Certains l’écoutent et le contemplent attentivement, d’autres réagissent de façon plus active.

Le Christ est dans l’axe de la composition, légèrement décentré.
Il se détache sans contour précis sur un fond de muraille traité avec un jeu subtil de valeurs d’ombre et de lumière.

Trois groupes convergent vers le Christ.
À gauche, les pharisiens contestent sa parole et tentent de le confondre et, près du Christ, saint Pierre l’interroge sur la récompense des disciples.
À droite, le cortège des affligés, paralytiques, malades, miséreux forment une longue procession.
Devant lui, les mères présentent leurs enfants pour une bénédiction et, alors que saint Pierre tente de les écarter, le Christ les invite à s’approcher. Rembrandt illustre le verset de Matthieu -XIX,14, « Laissez venir à moi les petits enfants car le royaume des cieux leur appartient ».

Le jeune-homme riche, la main devant sa bouche, pensif, s’interroge sur l’abandon de ses biens, et le notable de dos, contemple la scène.

Les plans d’ombre, de pénombre, de clarté, rythment l’espace abstrait.
La lumière entre par la gauche de la composition et traverse la scène, de plus en plus tamisée, projetant des éclats sur le Christ, l’aveugle, le paralytique, glissant sur les corps qu’elle modèle.

Rembrandt utilise toutes les possibilités de sa pointe.
Les traits incisifs, presque caricaturaux, sont pour les docteurs de la loi.

Les ombres transparentes et mouvantes animent de vibrations lumineuses la composition.
Le jeu des lumières et des ombres, du blanc et du noir guide le regardeur.

La variété des nuances est infinie.

 

Analyse

Rembrandt fut admiré de son vivant pour son traitement magistral de la lumière et de la pâte picturale.
S’il refusa de faire le voyage en Italie, il connaissait les clairs-obscurs dramatiques de Caravage par l’intermédiaire des disciples de ce dernier à Amsterdam.
Il utilise la technique du clair-obscur pour intensifier la profondeur du tableau et les finesses émotionnelles de la scène représentée, comme en témoigne cette gravure.

S’inspirant des tableaux historiques de son maître Lastman, Rembrandt prend le style caravagesque pour la narration des récits bibliques.
Rembrandt provoque chez le regardeur un état contemplatif.

Rembrandt se spécialise dans les scènes bibliques, en interprétant les évènements marquants avec un humanisme bouleversant.

La Pièce aux cent florins témoigne du talent de Rembrandt pour créer des thèmes originaux à partir de textes traditionnels, avec une technique de gravure très personnelle, allant de traits légers et sinueux à des ombres profondes et floues.
Il attire ainsi l’attention sur son exécution.
Rembrandt recherche la plus grande expressivité possible, le paroxysme de l’intensité.

Cette gravure, servie par le clair-obscur caravagesque, est intense sur le plan de l’émotion.


Rembrandt combine avec imagination différents motifs bibliques.

En réunissant des évènements bibliques distincts, Rembrandt démontre l’un des avantages de la peinture : pouvoir condenser, en une même scène, ce que les mots ne peuvent exprimer que successivement.
Cette juxtaposition de divers faits sur une même gravure rappelle une autre technique employée par la tragédie : le rappel par les protagonistes, d’évènements lors de dialogues dramatiques.

Les décors, les costumes aux broderies orientales, les turbans et la lumière, en évoquant des lieux et des époques vagues et lointaines, transposent une humanité universelle dans l’univers des temps bibliques.

Ce qui est vrai pour les scènes bibliques ne l’est pas pour les scènes de genre qui privilégient des situations générales plutôt que des instants spécifiques.

 L’historien d’art, Holfstede de Groot, remarque que saint Pierre a les traits de Socrate et le disciple derrière lui ceux d’Érasme. Rembrandt tente de concilier l’étude de l’Antiquité et des Évangiles.

Rembrandt a réuni devant le Christ la sagesse antique et celle de la Renaissance.

La parabole du chameau est évoquée par l’animal sous l’arche, insolite dans cette composition : « Oui je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ». (Matthieu, XIX,24).

Rembrandt évoque toutes les attitudes de l’humanité face au divin, dans une atmosphère surnaturelle, empreinte de sacré.

Attentif aux interrogations spirituelles qui agitent son époque, Rembrandt révèle dans cette gravure, une réalité émouvante, intemporelle. Il innove et renouvelle l’iconographie des Écritures.
S’il respecte fidèlement l’histoire, il la raconte à sa manière, en représentant des personnages aux visages, aux expressions, aux regards, aux attitudes et aux gestes très humains.
L’humain et le divin sont liés.
Le visage du Christ est le recueillement et l’intériorité. Rembrandt peint un Christ figure de l’humanité, dont celle souffrante, et celle de la divinité.

La Pièce aux cent florins est exécutée avec toute une gamme différente de traits légers et propres ou profondément ombrés.

Entre scepticisme et hésitation, Rembrandt décrit toutes les attitudes de l’humanité face au divin.

Avec le clair-obscur de Caravage, Rembrandt fait jaillir le mystère, le surnaturel, l’immatériel.

Il n’en alla pas de même avec Le nu assis -1631. Rembrandt montre, exagère, même, chaque ride et chaque pli de la chair vieillissante. Il choisit une femme déshabillée avec les marques visibles de la jarretière, probablement un modèle ou une femme au foyer, et non un nu idéalisé.

La gravure témoigne de la façon dont Rembrandt conçoit la représentation : c’est la nature qui se manifeste d’abord et non l’art.

Bien qu’au cours des siècles, les critiques aient reproché à Rembrandt son réalisme délibéré, d’autres amateurs, plus modernes, ont considéré celui-ci comme la preuve d’un extraordinaire tempérament.

En 1634, Rembrandt avait réalisé une esquisse à l’huile, La prédiction de saint Jean-Baptiste, dont la composition et le thème évoquent La Pièce aux cent florins. Il en est de même pour le tableau Le Christ et la femme adultère -1644.
Les ombres modelées par les tailles fines des personnages de droite sont caractéristiques des œuvres de la deuxième moitié des années 1640.


Rembrandt acquit de son vivant une réputation considérable à l’étranger surtout grâce à ses gravures.
Sa technique :

Il y parvint en abandonnant le tracé anonyme de la gravure pour des traits libres, élaborés au cours d’expériences avec l’eau-forte et la pointe sèche.

Ces deux techniques offraient des possibilités relativement différentes de la gravure sur métal et sur bois.

Pour réaliser une eau-forte, Rembrandt recouvre une plaque de cuivre d’une résine molle et exécute un dessin avec une aiguille, creusant dans la résine jusqu’au métal, mais sans entamer celui-ci. La plaque est ensuite trempée dans de l’acide, qui n’affecte pas la résine mais érode le cuivre restant sur les lignes exposées. Lorsque l’acide a imprimé le dessin sur la plaque, la résine qui reste est ôtée et on effectue le tirage en encrant la plaque et en la passant sous une presse.
La résine est beaucoup plus malléable que le métal. Les eaux-fortes permettent donc un tracé plus libre et sont donc plus personnelles. Cet effet est encore plus marqué avec la pointe sèche, où Rembrandt gratte directement la plaque avec une aiguille, laissant une petite quantité de résidus métalliques (barbes) le long de chaque trait. Ces barbes, une fois encrées, confèrent une douceur au dessin, mais comme elles disparaissent rapidement chaque fois qu’elles passent sous la presse, un tirage sur lequel elles sont visibles est particulièrement rare.
Rembrandt rendait ses tirages encore plus personnels en combinant plusieurs techniques ou en changeant de papier.
Il retravaillait ses plaques après en avoir pris une ou plusieurs impressions, créant ainsi plusieurs versions d’un même tirage.

Déjà au XVIIe mais surtout au XVIIIe, les collectionneurs s’efforçaient d’acquérir les différentes versions des plaques de Rembrandt.

Jugement de Jean Focillon dans ses Maîtres de l’estampe –1930 : « Le peintre admirable est encore plus grand comme aquafortiste. Il a créé une langue nouvelle, que nul n’avait parlé avant lui et dont le registre, étonnamment étendu, prête des inflexions ombreuses ou dorées à toutes les voix de la terre et du ciel ».

Conclusion

Ses expérimentations infatigables, à la fois en matière de technique et de représentation narrative, le distingue de ses contemporains.

Le désir d’expérimenter et la volonté de rester fidèle au monde qui l’entoure et à sa vision personnelle le poussèrent à repenser le sujet de chaque nouveau tableau, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités à la narration picturale.

Les œuvres de Rembrandt, ses gravures en particulier, suscitent des réflexions sur sa personnalité.

Les traits de ses gravures, si remarquablement composées, rappellent les lignes spontanées du dessin et non les laborieux efforts déployés avec un burin. Les gravures de Rembrandt s’inspirent du dessin.

Rembrandt graveur hors pair, a gravé environ trois cents estampes entre 1628 et 1665, dont quatre-vingt environ traitent de sujets bibliques.

Il est considéré comme le grand maître de l’eau-forte du XVIIe.

À la Renaissance, les théoriciens et les collectionneurs avaient commencé à apprécier les dessins, qui permettaient, de façon spontanée, de transcrire les idées les plus personnelles d’un artiste.

La Pièce aux cent florins, dès le XVIIe, est considérée comme l’un des chefs d’œuvres de Rembrandt.

La femme à la balance – 1663-64 Johannes Vermeer

Johannes Vermeer (1632-1675)

 

La femme à la balance

1663-1664

Huile sur toile

Dim 40,3 x 35,6 cm

Conservé à la National Gallery of Art -Washington DC

 

Le peintre

Marchand d’Art comme son père, Vermeer se considère avant tout comme un peintre.

Vermeer épouse Catharina Bolnes en 1653, après s‘être converti pour cela au catholicisme.
La même année, il devient membre de la guilde de Saint Luc, position idéale pour participer aux innovations artistiques à Delft au cours de la décennie suivante.
Les caravagistes d’Utrecht ont exercé une grande influence sur son travail.
Vermeer peignait deux à trois tableaux par an, sa technique lui prenait beaucoup de temps, raison pour laquelle seulement 37 œuvres de sa main sont connues. La plupart de ses tableaux étaient des commandes.
Doyen de la guilde de Saint Luc dans les années 1660 et 1670, Vermeer était très apprécié à Delft.
Il a travaillé essentiellement pour un couple de riches collectionneurs delftois, Pieter Claesz Van Ruijven et Maria De Knuijt.
En 1672, il est convoqué à la Haye en tant qu’expert de la peinture italienne.
Dans les années 1670, la guerre entre la France et la Hollande met fin à l’âge d’or. Le marché de l’art s’effondre.
Peut-être que le climat d’inquiétude joue un rôle dans la maladie de Vermeer qui se déclare en 1675 et le mène à la mort la même année, à 43 ans.

 

Le tableau

Le premier propriétaire est Pieter Claesz Van Ruijven, avant 1674 ; le tableau reste dans la famille jusqu’à sa vente à Amsterdam en 1696. Il passe dans plusieurs mains à Amsterdam ; Le roi Maximilien-Joseph l’acquiert dans les années 1820 pour le revendre en 1826 au duc de Camaran. Vente à Pris en 1832. Le tableau change plusieurs fois de propriétaires à Paris. La dernière propriétaire est la comtesse de Ségur-Perier 1907-1911.

En 1911 le tableau part à Philadelphie chez Joseph E. Widener qui le lègue en 1942 à National Gallery of Art -Washington DC.

 

 

Composition

La composition est d’une clarté remarquable, empreinte d’intimité et délicatesse.
Vermeer porte une grande attention aux effets de lumière et aux matières.
Il peint dans un environnement fermé.

Dans une pièce assombrie, une jeune femme vêtue d’un luxueux manteau d’intérieur orné de fourrure blanche tient délicatement une balance entre ses doigts en prenant appui à la table de l’autre main.
On note la délicatesse gestuelle de la jeune-femme.
Au mur est accroché une peinture du Jugement dernier.
Sur la table une chaîne en or et des rangs de perles sont éparpillés sur une boîte à bijoux.

Le point de fuite de la composition se situe à gauche de la main soutenant la balance.
La balance a été agrandie.
Le jeu des verticales, des horizontales, des volumes et des vides, de la lumière et de l’ombre, crée une composition rythmée, à l’équilibre subtil.

La lumière est diffusée avec douceur sur le visage de la jeune femme.

Le réalisme des tissus et la maîtrise de la profondeur de champ avec l’étoffe bleue dans le coin gauche de la composition et le sol en damier, donnent de la profondeur à la scène.

Le tissu bleu suggère un sentiment de profondeur et renforce l’impression d’intimité qui imprègne toute la scène.

Vermeer capture la lumière filtrée, le faisceau lumineux entre à gauche par la fenêtre et dispense ses délicats jeux de reflets sur les perles, sur la fourrure de la jeune-femme, sur son visage et sur le tableau au mur. Il en résulte une ambiance délicate.

Vermeer maîtrise les jeux de la lumière et des textures.

La composition est riche en tons jaune et bleu. Vermeer est conscient de l’impact psychologique des couleurs.

Les textures sont rendues avec beaucoup de finesse.
Vermeer passe des empâtements épais au glacis et estompages légers.

Vermeer applique une fine couche de bleu sur une couche de brun-rouge, donnant ainsi à la froideur des tons bleus une chaleur intérieure.

Vermeer utilise les meilleurs pigments, en particulier l’outremer naturel et le jaune de plomb et d’étain qui assurent la luminosité.

 

Analyse

Ses préoccupations sont étroitement liées à celles des peintres de genre contemporains, comme Ter Borch et en particulier Pieter de Hooch, lui aussi spécialisé dans les scènes d’intimité domestique.
Ces deux artistes se sont influencés mutuellement, mais ce sont leurs différences qui rendent Vermeer passionnant.
Comme de Hooch, Vermeer peint surtout des personnages féminins, mais il ne les accompagne jamais d’enfants.

Au lieu d’évoquer la vie quotidienne de la maison, ses figures solitaires ont un caractère méditatif et intériorisé.

L’extraordinaire rendu des détails, l’intensité des rapports colorés et la tactilité des matières scrupuleusement observées ont porté à croire que le peintre employait une chambre noire, hypothèse d’autant plus vraisemblable que les artistes delftois de l’époque se passionnaient pour l’optique et la perspective.
Vermeer connaissait les effets de ces instruments, en particulier les taches lumineuses sur les objets réfléchissants, qu’il reproduisit fidèlement dans ses tableaux.

 I-   Vermeer a beaucoup emprunté à ses contemporains mais, son style et son utilisation de la lumière sont uniques.

Son intérêt pour la lumière reflétée et son sens de la composition s’affirment dans ce tableau.
Vermeer peint un moment tranquille qui souligne le côté méditatif de la vie.
Le jeune-femme est droite dans la lumière.
La lumière crée un ambiance. Elle instaure une atmosphère.

L’étoffe bleue au premier plan sert à tenir le personnage à distance, tandis que les lignes du tableau, de la table et du miroir quadrillent la composition avec une précision mathématique.

Vermeer crée un équilibre chromatique et utilise la technique de la couleur pointillée qui donne de l’importance aux personnage et objets.

Vermeer n’est pas un peintre réaliste.

Dans cette scène il modifie les dimensions du tableau pour des raisons de composition. Le bord inférieur du cadre du Jugement dernier est plus haut devant la femme que derrière elle.

Vermeer pratique souvent de telles adaptations pour renforcer les motifs ou les formes accompagnant ses personnages.
Par exemple, il modifie les dimensions des cartes murales dans La femme en bleu lisant une lettre et La jeune-femme à l’aiguière ; et manipule la lumière en minimisant l’éphémère des ombres dans la leçon de musique et La femme en bleu lisant une lettre, il baigne dans la lumière des murs qui auraient dû se retrouver dans l’ombre.


II-   Cette peinture, parmi les plus séduisantes et les plus sophistiquées de Vermeer, a suscité de multiples lectures, dont la plupart tournent autour de la balance.

Cette scène a été interprétée en tant qu’allégorie.
Vermeer va au-delà du sujet.

Vermeer traite par le biais de sa peinture les vérités morales et spirituelles fondamentales de l’expérience humaine.

D’abord le tableau reflète la prospérité qui prévalait au Pays-Bas.
Vermeer peint le tissu de soie, la fourrure et les perles.

Vermeer cultive l’ambiguïté.

Il insuffle de la psychologie, psychologie du silence.
Il colore moralement son tableau.
Le regardeur est happé vers la balance tenue en équilibre entre le pouce, l’index et le majeur.

La concentration, la position et l’expression de la jeune femme nous invitent à rapprocher les richesse étalées sur la table de l’image pieuse du mur.
Les plateaux de la balance sont vides, les coffrets à bijoux, les rangs de perles et la chaîne en or sur la table appartiennent au monde temporel. Ils représentent la tentation des splendeurs matérielles.

Vermeer fait passer un message religieux.

Le Jugement dernier accroché au mur constitue le contexte théologique de la balance que tient la femme : juger c’est peser.

Le regardeur voit une démonstration d’équilibre entre les vies matérielle et spirituelle, une injonction à rechercher l’équilibre et la modération, ou encore une métaphore du salut.

Vermeer peint une allégorie sur le caractère mortel de l’homme et la vanité des biens matériels, eux aussi éphémères.
Vermeer montre ce que c’est, d’être une femme.

Vermeer appelle à la vigilance face aux diverses sollicitations des sens.

La femme qui se concentre sur la balance qu’elle tient à la main exhale la paix intérieure et la sérénité.

Dans ce tableau Vermeer insiste sur les valeurs et les émotions qui métamorphosent la réalité.
Il  exprime les aspects intemporels de la condition humaine.

La balance est un symbole, riche de connotations allégoriques

Vermeer suggère le besoin de modération et de retenue et la vanité des possessions temporelles.

La tempérance et un jugement équilibré doivent guider la vie.

La balance, emblème de la Justice et, finalement, du jugement dernier, indique que la femme est responsable de ses propres actes et qu’il lui incombe de les peser et de les mettre en équilibre.

Le miroir accroché au mur en face de la femme représente la connaissance de soi.
Dans sa recherche de la connaissance de soi et de l’équilibre de sa vie, la femme semble consciente, mais sans crainte, du Jugement denier qui l’attend.

Ce tableau exprime le calme profond d’un personnage qui comprend les implications du Jugement dernier et qui cherche à vivre dans la modération pour s’assurer du salut.

Vermeer illustre sa scène en ménageant au regardeur une marge d’interprétation personnelle.

Vermeer ne nous indique pas si l’occupation de la femme est utile ou frivole.
La peseuse de Vermeer semble indifférente à ses trésors.
Le peintre l’a saisie à un instant d’intense concentration, au moment où les plateaux s’équilibrent. Ce qui retient l’attention du regardeur.

Tout comme la balance forme le point de départ thématique d’une réflexion philosophique plus vaste, ainsi la lettre de La jeune femme en bleu lisant une lettre, l’aiguière de La jeune femme à l’aiguièreet le collier de perles de La femme au collier de perles ont des fonctions analogues.

Dans chaque œuvre Vermeer introduit une image spécifique de la vie domestique, ayant de vastes implications d’émotions et d’idéaux qui se trouvent au centre des préoccupations existentielles de l’être humain, l’attente de l’amour, l’éclat de la pureté spirituelle et l’importance de la modération.

 

Conclusion

Les tableaux de Vermeer nous permettent de déduire qu’il s’intéressait à la cartographie, à la musique, à la géographie, à l’astronomie et à l’optique, dont l’étude l’a familiarisé avec les concepts néo-platoniciens de mesure et d’harmonie présents dans la pensée philosophique de son époque.

Il débute comme peintre de fresques historiques, puis adapte son changement de genre à un changement de style.
Vermeer est le seul peintre néerlandais capable d’intégrer la gravité morale de la peinture d’histoire dans ses représentations de la vie familiale.

Après sa mort, Johannes Vermeer tombe dans l’oubli.
Ce n’est qu’à la fin du XIXe, après que les impressionnistes ont redécouvert la lumière  que Vermeer est à nouveau sous le feu des projecteurs.

Les œuvres de Vermeer sont toutes des icônes, elles sont conservées au Mauritshuis, au Rijksmuseum, au MET, à la National Gallery et au Louvre.

Innovateur pour son époque, particulièrement attentif et scrupuleux lors de la représentation de ses œuvres. Ses compositions élaborées et d’une grande richesse thématique, expliquent la fascination qu’exerce cette œuvre singulière.

Son tableau le plus célèbre La jeune-fille à la perle est aussi appelé la « Joconde du Nord ».
Renoir se pâme devant la Dentellière, Van Gogh loue « la palette de cet étrange peintre », Proust décrit la Vue de Delft comme « le plus tableau du monde ».

Les tableaux de Vermeer ont une valeur inestimable.

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