Le pays de la soif – 1869 Eugène Fromentin

Eugène Fromentin (1820-1876)

 

Le pays de la soif

Vers 1869

Huile sur toile
Dim 103 x143 cm

Conservé au musée d’Orsay à Paris

 

Le peintre

Eugène Fromentin est un peintre orientaliste français, né en 1820 et mort en 1876.
Il s’adonne au dessin après des études universitaires de droit.
En 1843 il suit des cours de peinture dans l’atelier de Charles-joseph Rémond. Rémond était trop rigoureux et trop rigide pour Fromentin.
En 1844, Fromentin apprend dans l’atelier du paysagiste romantique jean-Nicolas Cabat, qu’il admire.
Cabat : « l’art n’est pas une étude de la réalité positive, c’est la recherche de la vérité idéale. »
En 1846 il visite l’Afrique du nord et rapporte de nombreux croquis représentant l’Orient. Il est fasciné par l’Algérie. L’homme de plume devient l’homme du pinceau. Il fera deux autres voyages en 1848 et 1853.
Il présente ses tableaux au Salon. Ils sont bien accueillis par les critiques.
En 1849, il reçoit une médaille de deuxième classe pour cinq toiles d’inspiration algérienne.
Eugène Fromentin peint et écrit.
En 1854 Il devient académicien des belles lettres de la Rochelle.
Il publie, en 1857 : un été dans le Sahara.
Ce texte où il raconte des fragments de son voyage en Orient remporte un grand succès.
En 1858, il publie Une année dans le Sahel.
En 1859, au Salon, Fromentin reçoit une médaille de première classe et est décoré de la croix de la légion d’honneur.
En 1862, il publie Dominique, ce n’est pas un récit de voyage. Autobiographique, c’est un roman du souvenir, de la mémoire.
Fromentin  multiplie les activités : voyageur, écrivain et peintre.
Fromentin est un écrivain talentueux et un peintre à part entière.
Alors que dans ses écrits Fromentin livre l’émotion première ressentie durant ses voyages, dans ses tableaux, il ennoblit et embellit la réalité.
Un réel désir d’élever l’Orient à l’Antique le rapproche de Delacroix. Delacroix est un exceptionnel coloriste pour qui la lumière et le contraste des couleurs construisent un tableau. Delacroix qui est l’un des pères de la peinture romantique et de l’orientalisme force l’admiration de Fromentin.
Fromentin est de la génération de Courbet, son rêve issu de la grande période romantique, il le transforme en « ailleurs » comme plus tard Gauguin à Tahiti. Le désert est pour lui une découverte extraordinaire.
Fromentin écrit :
« En passant par le souvenir, la vérité devient un poème, le paysage un tableau ».

À la Rochelle où est né Fromentin, se dresse une statue à sa mémoire représentant un spahi de bronze sur un cheval cabré accompagné de livres et d’une palette, illustrant la double vocation de l’artiste à la fois peintre et écrivain.

 

Le tableau

Il existe deux versions de ce tableau, l’une est conservée au musée d’Orsay, l’autre datée de 1869 dans les collections des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.

Ces deux toiles ont été peintes 15 ans après son départ d’Algérie.
La mémoire et le souvenir sont des moteurs de création artistique chez Fromentin.

Ces deux tableaux sont très évocateurs de la souffrance et de la brutalité que le désert peut imposer à l’homme.

Dans la version de Bruxelles, la référence au marin de Géricault agitant son haillon disparaît et la mise en place du paysage est clarifiée. Les rochers tourmentés comme des vagues de la première toile sont arasés. Le ciel, qui a perdu ses délicats tons violets, pèse désormais brutalement sur les tons terreux du sol.

Dans son premier livre, intitulé Un été dans le Sahara et publié en 1857, Fromentin exprime ses constats :  « Au Sahel, verdoyant et nuageux, comme au Sahara, calciné et austère, la lumière intense voilait tout de gris. Quant à l’ombre, elle était transparente, limpide et colorée et non pas sombre ou noire, comme on la représentait généralement ».

Ce tableau ne quitta jamais l’atelier de Fromentin

 

Composition

La composition représente la scène à la manière d’un documentaire.

Au premier plan, Fromentin insuffle de la théâtralité en plaçant ses figures dans un triangle qui évoque la composition du Radeau de la Méduse- 1818-19 de Géricault ou La barque de Dante –1822 de Delacroix.
Fromentin peint une tombe pyramidale.
Le bras de l’homme sur le rocher rappelle le marin qui agite un haillon dans l’espoir d’être vu d’un bateau qu’on apercevait à l’horizon. Dans cette composition, l’homme semble implorer un improbable secours du ciel implacable.

Le tableau de Fromentin, comme ceux de Géricault et de Delacroix évoquent le combat et la lutte pour la survie face aux éléments, ici le soleil et le vent de sable.

Les personnages sont tombés, épuisés, engloutis dans un silence énorme.
Ce sont des naufragés des sables.
Le peintre a travaillé les attitudes des personnages, à qui il donne une allure de désespoir, des personnages terrassés par la fournaise et la soif. Les corps désertent, abandonnés.

Au second plan, se dressent les rochers escarpés et âpres comme des vagues, sur lesquels souffle un vent de sable.

À l’arrière-plan, Les massifs montagneux s’échelonnent jusqu’à se perdre dans le ciel.

Le cadrage qui étire le paysage depuis le rocher noir du second plan jusqu’à la ligne d’horizon, exprime avec force l’idée de ces étendues vides.

Fromentin utilise la technique de la perspective atmosphérique qui consiste à donner au tableau une profondeur de champ par plans successifs en les colorant graduellement jusqu’à les dissoudre dans la couleur du ciel.

Le ciel alourdit de chaleur fait peser sur les rideaux de sable ses tonalités sourdes.
Le plein soleil écrase le paysage désertique et intensifie la couleur des rochers.
L’absence de végétation intensifie la cruauté du désert.

Le travail sur le sable et les rochers donne au paysage sa mobilité et son instabilité.

Traduire la vérité de la couleur et de la lumière est une préoccupation du peintre.

Le traitement de la lumière est implacable. La lumière est d’une beauté fascinante.
La lumière embrase la toile, d’ocre, de bruns et de terre de sienne brûlée.

Le jeu de lumière et les différences de tons mettent en avant la force destructrice du soleil.

La couleur chaude de la peau des berbères s’accorde aux couleurs du désert, elle est la matière même du paysage.

Le choix de ses couleurs traduit l’atmosphère accablante de cet univers minéral et chaotique.

Le rendu du ciel plombé de chaleur et des lointains est d’une grande poésie.
Fromentin écrase la scène en dessinant au sol les ombres courtes des personnages.
Fromentin se sert de glacis transparents qui contrastent avec le fini soigné des carnations, des drapés blancs et du sable ocre.

Chateaubriand, un demi-siècle auparavant l’exprime dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem :
 « Le désert paraît encore muet de terreur… »

Fromentin s’inspire de deux peintres : Delacroix et Ingres
Delacroix pour le sujet et la lumière.
Ingres pour la précision du dessin.

Deux éléments caractéristiques du paysage désertique sont traités dans ce tableau :
La perspective panoramique et la lumière.

 

Analyse

Le contexte

La multiplication des voyages scientifiques, le développement intensif des voyages d’artistes donnent à l’Orientalisme une impulsion et un intérêt sans précédent.
Cet Orient devient la source d’inspiration des hommes de lettres et des peintres du XIXe.
Le désert s’est imposé comme l’un des lieux les plus emblématiques du paysage orientaliste.
Avec la progression de l’emprise occidentale en Orient, les étendues arides du Sahara algérien ont inspiré Fromentin, fasciné par cette forme de paysage hors norme.
L’envoûtement qu’exerce le désert tient aussi à ses dangers. Comme l’Orient, il est cruel. Il est le lieu de ce drame qu’on sent toujours possible, comme une menace, imminente ou passée.

C’est ce que nous montre ce tableau où le vent du désert est à l’origine de la tragédie.

Fromentin a sillonné l’Algérie au cours de trois voyages avec le souhait de retracer la vie et les coutumes des nomades.
Fromentin cherche à comprendre ce qui l’entoure, sans l’exagérer ou le magnifier.

Dans un bref passage à la fin d’Un été au Sahara, Fromentin rapporte la catastrophe qui a frappé une caravane et dont il tirera le sujet de ce tableau : « Il y a trois ans, un convoi de vingt hommes avait été surpris par le vent du désert, à moitié chemin d’El Aghouat à Gardaïa. Les outres avaient éclaté par l’effet de l’évaporation ; huit voyageurs étaient morts, avec les trois-quarts des animaux ».
« J’ai soigneusement étudié la carte du Sud, depuis Medeah jusqu’à El Aghouat, non point en géographe mais en peintre. Tout à coup dans le Sud-Est une plaine indéfiniment plate, aussi loin que la vue peut s’étendre et sur ce grand espace laissé en blanc, ce nom bizarre et qui laisse à penser, Bled-el-Ateuch, avec sa traduction : Pays de la soif ».

 I-    Fromentin représente une scène de désert en reproduisant des détails ethnographiques.

Fromentin est un peintre idéaliste.

Ce n’est pas la quête de l’exotisme qui l’a amené en Algérie, c’est l’Algérie qui s’est imposée à lui.

Il est très sensible à la beauté exotique de l’Orient, il est fasciné par son étrangeté.
Il ne tente pas de montrer l’anecdote qui ferait « voyager » le regardeur en Orient.
Fromentin est un observateur hors pair, des couleurs, de l’homme, de ses mœurs.

Le désert devient un motif de contemplation.

Fromentin montre une vision parfaite d’un lieu mystique, le désert, le Sahara brûlé et austère.
La réalité physique oppose ses variétés de lignes, de reliefs, de lumières aux géographies fantastiques de l’imagination.
Le désert est sinistre, souverain dans sa brutalité et sa cruauté et fréquemment fatal, le « Pays de la soif ».
Le désert est la souffrance et la mort, l’élément contre lequel l’homme est impuissant.

La fascination de Fromentin pour le désert et le combat des hommes pour la survie est extraordinairement bien traduite dans ce tableau.

Ce désert on ne peut que le subir et s’en faire témoin par les voies de l’écriture et de la peinture.
Fromentin démontre la supériorité de la nature sur l’homme.
L’homme est soumis à une destinée fatale.

A/ Pour traduire, il faut inventer souligne Fromentin.

À l’instar de Fromentin, peintre-écrivain, qui cherche la formule du paysage algérien, le regardeur tente de construire des impressions d’ensemble : la « physionomie des hommes et des choses » selon Delacroix au Maroc.
Delacroix élabore des déductions esthétiques : « Ils sont plus près de la nature de mille manières,  leurs habits, la forme de leur souliers. Aussi la beauté s’unit à tout ce qu’ils font. Nous autres dans nos corsets, nos souliers étroits, nos gaines ridicules, nous faisons pitié. La grâce se venge de notre science. »

Léon Belly écrit dans une lettre à sa mère, en 1856 : « …Les moindres reliefs, balayés par les vents, laissent à nu une surface caillouteuse d’un brun mêlé de gris et de fauve, et, se détachant sur les veines dorées du fond, présentent ce bizarre aspect tigré. »

La toile de Fromentin est empreinte d’une part de poésie et d’une part d’imagination.

B/ Ce paysage désertique évocateur de la soif inscrit ses personnages dans un contexte dramatique.

Le paysage est fondé sur une étude réalisée sur place, les personnages portent des habits authentiques.

Fromentin aime « le ciel sans nuage au-dessus du désert sans ombre. ».
Fromentin aime « Le pays du perpétuel été ».
Fromentin sait apposer sur la toile les émotions qui l’envahissent.

Dans son tableau, la brutalité de la roche écrase les attitudes des personnages que Fromentin a voulu élégantes.

Fromentin admire et respecte le désert.
Il perçoit le soleil et le désert comme cruel et somptueux.

La lumière marque le peintre, Fromentin, Été 239 : « Cette ombre des pays de lumière, tu la connais. Elle est inexprimable…on dirait une eau profonde…les figures y flottent dans je ne sais quelle blonde atmosphère qui fait évanouir les contours… »

Fromentin a fait un choix : « Il faut regarder ce peuple à la distance où il lui convient de se montrer : les hommes de près, les femmes de loin… »

Fromentin insuffle à ses personnages, des qualités où l’on reconnait son sens de l’esthétique.
Ses personnages sont en train de mourir de soif dans des postures dignes.

C/ Comme beaucoup de toiles orientalistes de Fromentin, Au pays de la soif est une œuvre paradoxale.

Peinte quinze ans après son départ d’Algérie, très travaillée comme tous ses tableaux, elle revendique ouvertement tous les attributs de la peinture d’histoire.
La composition soignée comme les parfaites académies des personnages nous le rappellent.

S’il n’y avait le profond sentiment de vérité qui se dégage du paysage de la version de Bruxelles, on oublierait que le peintre a lui-même éprouvé les dangers du désert.

Contemporain de Courbet, Fromentin peint un tableau réaliste, avec une minutie dans l’observation des détails, ses visages sont des portraits, les drapés sont évocateurs, les rochers et le sable vibrent de vérité.

Fromentin peint ce qu’il voit réellement et confirme ainsi que sa peinture se nourrit du tangible et non du chimérique.

Ce tableau représente une scène précise et montre ce qui a été vu, vécu et ressenti.

La perfection de la facture et essentielle pour Fromentin, il veut sa toile hors du temps.

Fromentin donne à ses contemporains, à travers le regard d’un peintre, le sentiment de la découverte privilégiée de ce désert mystérieux, ce Sahara encore inaccessible, aux portes duquel il a séjourné de mai à août 1853.
Il donne pour le meilleur et pour le pire une image de l’Orient.

Fromentin n’est pas un voyageur qui peint, c’est un peintre qui voyage.

Fromentin s’émancipe du voyage pittoresque comme le montre clairement ce tableau.
Ses trois voyages algériens apparaissent comme la substance conceptuelle de sa créativité orientaliste.
Pour Fromentin : « l’art de peindre n’est que l’art d’exprimer l’invisible par le visible. »

Le but artistique de Fromentin a été clairement énoncé dans sa correspondance :
« 
je voudrais rendre les choses que je vois et, pour ainsi dire, les faire revivre à l’esprit comme aux yeux de ceux qui les ignorent. »

Le regard est l’attribut du peintre, et tout l’art de Fromentin consiste à laisser des traces, déclencher des émotions et toucher le regardeur.

Peinture et littérature ont joué de concert chez Fromentin pour offrir au lecteur-regardeur une vision tangible des émotions et des évènements vécus par l’artiste.
Peinture et littérature participent en commun à la transmission du savoir et des connaissances acquises et vécues par Fromentin. L’écriture est le prolongement de sa peinture.

 

Conclusion

Fromentin : « N’importe, il y a dans ce pays je ne sais quoi d’incomparable qui me le fait chérir. Je pense avec effroi qu’il faudra bientôt regagner le Nord ; et le jour où je sortirai de la porte de l’Est pour n’y plus rentrer jamais, je me retournerai amèrement du côté de cette étrange ville, et je saluerai d’un regret profond cet horizon menaçant, si désolé et qu’on a si justement nommé Pays de la soif. »

Alors qu’il était par tempérament, peu satisfait de son œuvre. Fromentin le peintre semble donner la main à Fromentin l’écrivain pour raconter avec sa plume les émotions qu’il ne parvient à exprimer sur la toile.

Fromentin eu un grand succès chez les collectionneurs tant français qu’américains.

En 1859, Théophile Gautier, après le Salon de Paris, constate : « …Le Sahara voit maintenant se déployer autant de parasols paysagistes qu’autrefois la forêt de Fontainebleau ».

Deux autres grands peintres, après Fromentin, ont marqué la riche production picturale consacrée aux paysages et aux habitants du Sud algérien pendant les dernières années du XIXe, Gustave Guillaumet et Étienne Dinet. L’un et l’autre peignent et écrivent. Guillaumet écrit : Tableaux algériens ; Dinet écrit : Le Printemps des cœurs et Mirages.

Les orientalistes, comme tous les artistes qui vivent de leur art, sont touchés par l’effondrement du marché de l’art dans les années 1880 et 1890.

Avec la baisse de la demande en France, en Grande-Bretagne et en Amérique, les scènes glorifiant la splendeur légendaire des Andalous musulmans deviennent pratiquement l’apanage de peintres espagnols comme Joaquin Sorolla.

La finition léchée et le réalisme quasi photographique de la majorité des peintres orientalistes sont passées de mode.

Instruction coranique – 1890 – Osman Hamdi Bey

Osman Hamdi Bey (1842-1910)

 

Instruction coranique

1890

Huile sur toile
Dim 80 x 60 cm

Conservé dans une collection particulière

 

Le peintre

Né à Constantinople, fils d’un haut fonctionnaire de la classe dirigeante de l’ancien Empire Ottoman, Osman s’installe à Paris en 1860 pour poursuivre des études de droit. Ses penchants artistiques le mènent à étudier la peinture auprès de Gustave Boulanger et de Jean-Léon Gérôme.
Il expose ses premiers tableaux dans le cadre d’une présentation de l’Empire Ottoman au palais du Champ-de-Mars, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1867.
Tout au long de sa carrière de haut fonctionnaire il ne cesse de peindre et de participer à des expositions internationales.
Le critique Victor Marie de Launay note dans Installation du Palais-Empire Ottoman-dans l’Exposition universelle de 1867 : « dans la galerie de peinture et de sculpture, la Turquie n’a que peu de chose ; ce n’est pas par là qu’elle brille, on le sait. Toutefois, on a le droit d’émettre des réserves pour un prochain avenir, car trois tableaux sont traités par Hamdi Bey avec une indépendance et une sincérité rares. »
De retour à Constantinople en 1869, Hamdi Bey part pour une mission diplomatique de deux ans en Iraq ; par la suite il assumera de nombreuses autres fonctions officielles.
Il publie un ouvrage sur les costumes populaires de Turquie ( préparé à l’occasion de l’exposition universelle de Vienne de 1873) et, en tant qu’archéologue, devient directeur du musée national des Antiquités en 1881, avant de fonder l’Académie des beaux-arts de Constantinople.

Osman Hamdi Bey fut un peintre reconnu de son vivant et considéré comme un peintre orientaliste en Orient.
Pour comprendre son point de vue il faut tenir compte du contexte historique dans lequel il a vécu.
L’Empire ottoman était aux prises avec la tension entres les influences orientales et occidentales, avec une société en mutation.

 

Le tableau

Les expositions universelles contribuent beaucoup à façonner l’image que l’Occident se fait de l’Orient.

La grande connaissance d’Osman Hamdi Bey et son respect de la culture islamique transparaît dans ce tableau riche en détails.

Le cadre en mosaïque est un coin de la mosquée verte Yesil Cami à Bursa, dans l’ouest de l’Anatolie.

À cette époque les artistes musulmans ne pratiquaient pas la peinture figurative.

Ce tableau a été vendu par Sotheby’s pour 5,92 millions de dollars en 2019.

 

Composition

Osman Hamdi compose une image frappante.

Sur cette toile il  fusionne les techniques occidentales avec  une représentation enchanteresse de la vie ottomane.

Encadrés par une lanterne mamelouk et un grand chandelier et son cierge monumental, les personnages au premier plan, se font face.
L’homme assis reçoit un enseignement coranique de la part du hoja ou de l’enseignant.
L’attitude des personnages, leurs costumes peuvent paraître théâtraux mais, leur expression de piété et de recueillement s’accorde avec le lieu représenté.

Osman Hamdi situe sa leçon en lui donnant pour cadre des décors intérieurs qui n’appartiennent qu’à la Turquie.

Il illustre la beauté et la majesté de la mosquée.

Osman Hamdi reproduit scrupuleusement les costumes et la décoration qui sont  musulmans et turcs.
Il est attentif aux détails de décoration, le monumental bougeoir, les murs recouverts de céramique bleue, la lanterne mamelouk, le pavement du sol, la fenêtre.

Le pavement donne un semblant de profondeur. Les personnages paraissent plats.
Ce sont des hommes de la foi, à la forte présence, sûrs d’eux et discutant des livres à la main.

Le regardeur qui est presque sur les personnages, voit l’écoute de la réflexion et le prêche de la discussion.

C’est une peinture académique, un œuvre radicale pour son époque.
La touche léchée d’Osman Hamdi rend la douceur de l’atmosphère.

L’orientalisme calme et minutieux font l’attrait et le charme de cette toile.

Le tableau est empreint d’un sentiment d’empathie.

 

Analyse

Le XIXe est fasciné par le passé.
Les européens partent à la recherche des sources de leur civilisation et cette quête les mène en Orient.

L’Orient attire de longue date les voyageurs occidentaux et, avec la campagne d’Égypte de Napoléon en 1798, il s’ouvre pour la première fois à un public qui ne se réduit plus aux seuls intrépides. Pour les artistes, l’Orient est un territoire mystérieux et impénétrable, d’une beauté exotique et d’un érotisme intense, fascinant dans son étrangeté.

Il existait deux routes principales, l’une traversant l’Espagne et le Maroc, qu’empruntaient surtout les français, l’autre par la Grèce et l’Asie-Mineure, préférée des anglais. Les deux itinéraires conduisaient au Caire, à Jérusalem et Constantinople (Istanbul), ultimes destinations.

En 1899, la Compagnie internationale des Wagons-Lits complète sa ligne entre Paris et Istanbul. Le trajet peut désormais être accompli d’un bout à l’autre avec L’Orient Express.

Chateaubriand voyage à travers la Palestine en 1806, il écrit « cet Orient, d’où sont sortis tous les arts, toutes les sciences, toutes les religions ».

Au XIXe le statut de la bible est remis en question. Elle n’est plus la parole de Dieu, mais un texte écrit par des orientaux pour des orientaux et la connaissance de ce contexte oriental est donc essentielle.
Pour les occidentaux la Bible est un point de référence important en Orient, même s’ils sont confrontés à cette autre grande religion qu’est l’islam.

Alors que la peinture orientaliste montre généralement le point de vue occidental sur l’Orient, dans ce tableau il s’agit d’un peintre turc formé en France qui représente une instruction coranique.

En ce sens, le tableau est symptomatique des multiples échanges culturels qui sont au cœur de l’at orientaliste.
Aujourd’hui encore, une telle scène se reproduit des millions de fois depuis le Maroc jusqu’à la Turquie.

En optant pour une scène située dans l’Orient contemporain, Osman Hamdi trouve dans ce nouvel environnement une matière suffisamment riche et exotique pour satisfaire à la fois son ambition artistique et la demande insatiable du public pour les tableaux orientalistes. Le monde oriental est attendu comme un ailleurs, une rupture.

L’orientalisme est essentiellement un regard occidental sur l’Orient.
Osman Hamdi est dans une position unique, celle d’un initié explorant les thèmes qui captivent les artistes occidentaux.

L’aspect purement construit de ce tableau, reposant sur le photoréalisme des éléments, l’intemporalité frappante de sa composition, figée dans un passé indéfini sont autant de rappels sans équivoque d’une prise de position et d’un point de vue orientalistes.

Osman Hamdi Bey peint des tableaux orientalistes avec un regard oriental.

Contrairement à de nombreux orientalistes occidentaux qui représentent des scènes rêvées, Osman Hamdi s’attache à peindre l’Orient de manière digne, respectueuse et authentique.
Il montre le respect pour la pratique religieuse des musulmans et fait l’éloge de leur dévotion et de leur sens du devoir religieux.
Son art est imprégné d’une imagerie brute qui le captive, au regardeur de l’interpréter.

Osman Hamdi ne recherche pas l’authenticité, ce tableau est son expression personnelle d’une leçon coranique.
Il montre le respect pour la pratique religieuse des musulmans et fait l’éloge de leur dévotion et de leur sens du devoir religieux.

Aux spectacles grandioses peints par la majorité des peintres orientalistes, Osman Hamdi choisit de représenter ici une scène intimiste. Un maître et son élève attentif.

Pendant des siècles, l’islam a été décrié en Occident comme une religion dépravée et charnelle.
Aux yeux de nombreux occidentaux, la simplicité et la piété médiévales tant admirées au XIXe subsiste en Orient.

Osman Hamdi nous montre que le musulman est encore sensible au mystère religieux, contrairement à l’Européen rationnel qui ne s’intéresse qu’aux choses matérielles.

Son tableau représente une scène de la vie quotidienne turque.

Il peint un aperçu authentique de culture ottomane de son époque.

Les peintres orientalistes occidentaux peignent des orientaux paresseux et lascifs ; Osman Hamdi représente des scènes d’intellectuels ottomans lisant ou discutant.
Il peint tout naturellement des scènes de la vie domestique.
Par exemple, dans un tableau antérieur -1888, il représente une scène de rue avec trois clients, le marchand et les tapis : Marchand de tapis dans la rue.

Pour répondre aux goût du public, les orientalistes occidentaux représentent des femmes se divertissant, s’habillant ou vivant dans leur harem. Quant aux hommes, ils les représentent regroupés dans des cafés.
Le regardeur rêve des bains turcs, de la sensualité des femmes du harem et aussi de la lumière unique de la Méditerranée et des couleurs du couchant.
Les orientalistes occidentaux transposent le regardeur dans un monde exotique.

À propos d’Osman Hamdi, Bektasoglu écrit : « Conscient de la mode de l’époque, il s’est efforcé de représenter de manière authentique la culture ottomane à travers son art pour ceux qui ne connaissaient pas les subtilités de son pays d’origine. »

Si Osman Hamdi est orientaliste dans son style, ses intentions sont différentes de celles des peintres occidentaux.

Qu’on le considère comme une peintre de l’école française représentant des sujets orientaux ou comme un peintre ottoman conscient de son héritage turc, la valeur du peintre réside dans sa capacité à rendre avec exactitude le détail et les couleurs des scènes qu’il représente.

En tant qu’ottoman, Osman Hamdi parvenait à capturer l’essence de cet Orient en lui attribuant une âme et une identité qui ne pouvaient qu’échapper au pinceau des artistes occidentaux.
Osman Hamdi est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’orientalisme.

Osman Hamdi a redéfini l’imagerie orientale.

Osman Hamdi évite la nudité dans ses tableaux et n’a aucun goût pour les scènes violentes, c’est ce qui le différencie de la tradition orientaliste occidentale.
Son but est de situer dans l’histoire les origines d’une identité ottomane idéale et vertueuse.

En adoptant des techniques occidentales tout en ancrant ses sujets dans les traditions ottomanes, Osman Hamdi a contribué à un dialogue culturel qui transcende l’objectif orientaliste.

Osman Hamdi Bey a démystifié la mentalité orientaliste.

Osman Hamdi savait pertinemment que l’adoption d’un style orientaliste tout en jouant la carte du peintre indigène était la seule véritable chance qu’il avait de voir ses œuvres acceptées dans diverses expositions.

Sa condition d’oriental lui permettait de pratiquer un orientalisme sans pour autant en avoir l’air. 

Conclusion

L’orientalisme ne s’attacha pas à une école ou à un style, même si nombre de ses représentants étaient des peintres académiques. À la fin du XIXe dessins et motifs orientaux influencèrent de nombreux tableaux et intérieurs architecturaux du Mouvement esthétique.

Osman Hamdi Bey a travaillé dur pour préserver le patrimoine culturel de la Turquie et a été impliqué dans de nombreuses fouilles archéologiques. Il laisse un héritage important en Turquie.

L’œuvre de Osman Hamdi Bey a exercé une grande influence sur le développement de l’art moderne en Turquie.

De nombreux musées et galeries en Turquie exposent des œuvres d’Osman Hamdi Bey.
Il est célébré comme l’un des plus grands artistes du pays.

Sa contribution à l’art et à l’éducation en Turquie continue d’être reconnue aujourd’hui.