l’accordée du village -J.B. Greuze

Jean Baptiste Greuze (1725-1805)

 

 L’accordée du village

1761

 Huile sur toile

 Dim 92 x 117 cm

Conservé au Louvre

 

Greuze

Jean-Baptiste Greuze est né à Tournus en 1725. Son père l’envoya étudier chez le peintre lyonnais Charles Grandon (1691-1762) qui lui apprit à copier des tableaux anciens.

En 1750, Greuze part pour Paris où il suit les cours de Charles-Joseph Natoire (1700-1777) à l’Académie Royale de peinture et de sculpture. Un tableau qu’il avait commencé à Lyon, Le Père de famille expliquant la Bible à ses enfants, est acheté en 1755 par un amateur d’art, Ange-Laurent Lalive de Jully (1725-1779). Celui-ci l’expose dans son hôtel et Greuze acquiert une renommée.
Diderot le félicite pour la moralité de son sujet qui, tranche avec la dominante légère du rococo.

Fin 1755, l’abbé Gougenot, conseiller au Grand Conseil, chargé d’une mission diplomatique, l’emmène à Naples, puis à Rome, où Greuze passe environ un an. De ce séjour en Italie, il retient surtout des scènes populaires ou pittoresques qui lui inspireront des tableaux. Il ne s’intéresse pas à la vogue de l’antique.

Au Salon de 1757, il expose six tableaux réalisés en Italie. Deux ans plus tard, au Salon de 1759, ce sont des scènes de genre comme La Tricoteuse endormie ou l’expression des sentiments avec Jeune fille pleurant la mort de son oiseau

Au salon de 1761, la présentation de L’accordée du village fut très remarquée.
Les frères Goncourt, plus d’un siècle plus tard, écriront : « Le succès de L’Accordée de village affermissait Greuze dans sa voie, dans sa vocation, la représentation des mœurs bourgeoises et populaires à laquelle prenaient goût la curiosité et l’intérêt du grand monde, lassé de galanteries mythologiques, de nudités friponnes et de tableautins galants. Le peintre se mettait en quête de matériaux, d’idées, de modèles, d’inspirations dans le Paris où Mercier glanait ses observations, cherchant, comme ce peintre à la plume, ses notes et ses croquis dans la rue et dans les faubourgs, dans les marchés, sur les quais, en plein peuple, en pleine foule ».
Greuze reste hors des sentiers battus et l’Académie, ne parvient pas à obtenir de lui la présentation d’un tableau de réception comme académicien.
En 1767, elle décide de lui interdire l’accès au Salon.

En 1769, Greuze présente un tableau historique sur le thème L’empereur Septime Sévère reproche à Caracalla, son fils d’avoir voulu l’assassiner  Le tableau est jugé très sévèrement. Greuze ambitionnait le titre de peintre d’histoire, le plus haut dans la hiérarchie académique. Il fut reçu peintre de genre eu égard à ses « anciennes productions excellentes ». Greuze fut blessé par cette réception et il décida de ne plus exposer aux Salons de l’Académie.

Greuze a placé sa fortune en rentes sur l’Hôtel de ville, la Révolution le ruina
En 1805, il meurt à Paris.
Greuze est enterré au cimetière Montmartre.

 

 

Introduction

L’accordée du village est le premier grand succès de Greuze.
Le tableau est présenté la dernière semaine du Salon de 1761 ce qui attisa la curiosité du public et, fut acquis pour rejoindre la collection royale de Louis XVI.

Diderot écrit :
« Enfin je l’ai vu, ce tableau de notre ami Greuze ; … C’est « un père qui vient de payer la dot de sa fille ». Le sujet est pathétique, et l’on sent gagner une émotion douce en le regardant. La composition m’en a paru très belle : c’est la chose comme elle a dû se passer. Il y a douze figures : chacune est à sa place, et fait ce qu’elle doit. Comme elles s’enchaînent toutes ! Comme elles vont en ondoyant et en pyramidant ! …
Le père est un vieillard de soixante ans, en cheveux gris, un mouchoir tortillé autour de son cou ; il a un air de bonhomie qui plaît. Les bras étendus vers son gendre, il lui parle avec une effusion de cœur qui enchante : il semble lui dire : « Jeannette est douce et sage ; elle fera ton bonheur ; songe à faire le sien … »
« La fiancée est vêtue à merveille… il y a peu de luxe dans sa garniture… Il faut voir comme tous les plis de tous les vêtements de cette figure et des autres sont vrais. »

 

Description

La scène se passe dans un intérieur familial de paysans aisés,comme nous l’indique la représentation de la pièce et des vêtements.
En présence d’un officier public,un père de famille ayant remis la dot à son gendre, tend les bras vers sa fille en blanc comme s’il tentait de lui inculquer ses futures obligations de femme mariée.
La mère réconforte sa fille en lui tenant la main et la sœur triste de son départ, pleure sur son épaule, l’autre sœur derrière le père, regarde le couple d’un air jaloux.
Les symboles jalonnent le tableau comme des éléments de décor de théâtre : L’armoire ouverte à droite symbolise la nouvelle vie qui attend la jeune fille.
Au premier plan la poule et ses poussins font référence à la fécondité.

 

Composition

C’est une composition en demi-cercle très claire.

Les figures « vont en ondoyant » dit Diderot.
Si on relie les visages des personnages les unes aux autres on obtient une ligne sinueuse, comme le dessin d’une vague.

Les figures« vont en pyramidant » dit Diderot.
Comme dans La vierge au rocher de L. de Vinci les personnages sont distribués sur la toile de façon à ce que leurs corps forment une pyramide avec la tête du fiancé se détachant du groupe et formant le sommet du triangle dont les côtés rejoignent les angles inférieurs du tableau.
Deux autres obliques passant par le sommet des têtes des personnages assis (quatre à gauche et deux à droite) se recoupent au niveau de l’étoffe retombant de l’étagère représentée dans l’angle supérieur à droite du tableau. Ces obliques ont également pour axe la médiane verticale du tableau et, forme une pyramide englobant la première.
Le tableau comporte deux autres pyramides, une constituée par les trois personnages de droite et la deuxième, à gauche, dont le sommet est la tête de la fiancée.

La structure pyramidale de la composition est appuyée par les regards dont les directions suivent des lignes obliques. La promise et sa sœur regardent le sol, les deux enfants regardent les poussins et tous les autres regardent le fiancé.

La lumière vient du haut du tableau à gauche. Elle éclaire le visage du père; par ricochet elle éclaire ses mains et la main gauche du fiancé tenant la bourse.
Le fiancé est aussi un personnage qui relie les deux groupes. Si sa tête se détache, isolée, son bras droit enlace celui de sa « promise ».

Les couleurs où dominent le vert de gris et l’ocre, sont rehaussées de rouge, de vert, de bleu et du blanc de la robe de la « promise ».

Greuze, comme Poussin et Le Brun recherche la frontalité.

 

Analyse

Toutes les figures des tableaux de Greuze sont les mêmes d’un tableau à l’autre. Le père de famille est reconnaissable dans L’accordé du village, dans La lecture de la Bible et dans Le paralytique. Greuze l’a voulu ainsi. Le peintre a suivi l’histoire de la même famille.
Cette parenté entre ses différentes œuvres était recherchée dans le but de représenter un idéal moral.

L’œuvre présentée est une scène de fiançailles : un père donne à son futur gendre la dot de sa fille sous l’œil d’un notaire et du reste de la famille. C’est une scène de genre qui met en scène des personnages de la petite bourgeoisie.
Le peintre accorde une importance toute particulière à l’étude des caractères : la jalousie de la sœur aînée, la fierté du père, la tristesse de la mère. Greuze a peint beaucoup d’œuvres moralisatrices comme Le Retour de l’ivrogne ou la Malédiction paternelle (Louvre). Ici le peintre exalte les valeurs familiales.

Dans cette œuvre c’est le réalisme de la représentation qui a touché Diderot.

Contrairement au tableau de Boucher où l’on rencontre des jeunes filles nues dans la forêt, celui de Greuze se situe dans un cadre vraisemblable, celui de la maison modeste mais confortable d’un « laboureur », les vêtements sont ceux des paysans de l’époque.

Pour Diderot ce réalisme aurait peu de valeur s’il ne servait à exprimer les sentiments.

C’est le « pathétique » qui est à ses yeux la vraie valeur de cette œuvre.

Mais c’est ce « pathétique » qui la rend moins réaliste, car l’artiste a rassemblé en un seul moment des expressions, des attitudes qui n’ont pu, que se succéder dans le temps. Malgré l’apparente autonomie des figures Diderot dit bien « chacune fait ce qu’elle doit ». C’est donc, sous les apparences du réalisme, une scène aux attitudes conventionnelles, qui n’est pas plus naturelle que celle de Boucher.

Chez Greuze le sujet a la gravité attendrie du peintre social, ami de la vertu et du devoir.

Cette scène intime traitant d’un dénouement matrimonial où les sensibilités des personnages sont mises en avant, peut être placée en parallèle à l’essence du drame bourgeois.
D’ailleurs dans les descriptions des Salons, Diderot est souvent en connivence avec la manière d’aborder ces scènes de genre concentrées sur les bonnes mœurs. Diderot insiste sur le côté pathétique manifeste chez les œuvres de Greuze.

L’attention portée aux détails montre combien la peinture des Écoles du Nord est appréciée à cette époque.

Le tableau s’organise sur l’opposition des mondes masculin et féminin.
Dans ses tableaux David procède ainsi : le Serment des Horaces ou Les Licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils, tous deux conservés au Louvre, en sont un exemple.

L’Accordée du village montre le changement de goût qui s’opère durant la décennie 1760 et, le tableau marque la préférence pour les sujets moraux

Greuze illustre un monde nouveau et hisse la peinture de genre au niveau de la peinture d’histoire.

 

 

Intérieur d’une cuisine -Martin Drolling

Martin Drolling (1752-1817)

  

L’Intérieur d’une cuisine

1815 exposé en 1817

Huile sur toile

Dim. 0,65 x 0,80 cm

Conservé au Louvre

 

 Le peintre

Martin Drolling, né le 19 septembre 1752, est alsacien. Issu d’une famille modeste.
Après avoir suivi les cours d’un peintre vitrier local, il poursuit son enseignement à Strasbourg, puis s’installe à Paris pour entrer aux Beaux-Arts le 4 juin 1779. Il y achève sa formation vers 1780. Employé comme assistant pour la peinture d’objets par la portraitiste Élisabeth Vigée le Brun, il fait la connaissance de Jean-Baptiste Greuze, peintre néoclassique. Peintre français de portraits et de scènes de genre, il travailla de 1802 à 1813 en qualité de peintre-décorateur pour la Manufacture nationale de Sèvres alors dirigée par Alexandre Brongniart. C’est durant cette période, qu’il réalisa des peintures sur porcelaine. Luttant toute sa vie contre la pauvreté, il meurt le 16 avril 1817 à Paris, quelques jours avant l’ouverture du Salon au cours duquel furent présentés ses tableaux : L’intérieur d’une cuisine, Intérieur d’une salle à manger et Maitresse d’école. Ces œuvres remportèrent un vif succès.

Martin Drolling est associé à une légende selon laquelle le peintre aurait acheté des cœurs de la famille royale (récupérés dans le cadre de la révolution française). Le pigment brun-rouge obtenu à partir des cœurs momifiés -que l’on appelle le « brun de momie », aurait été utilisé pour Intérieur d’une cuisine. Cette légende est née de la plume de Lenôtre (historien de la Révolution Française) en 1905. Selon Corneille (auteur dramatique) le « brun de momie » n’est qu’une composition faîte de poix et d’asphalte.

Intérieur de cuisine a un pendant : Intérieur d’une salle à manger.
Ces deux tableaux furent exposés ensemble puis séparés aussitôt.
Intérieur d’une salle à manger est aujourd’hui dans une collection particulière.

 

Description

La scène se déroule dans une vaste cuisine relativement sombre éclairée par une grande fenêtre ouverte laissant apparaître des arbres et un ciel bleu légèrement nuageux.

Deux femmes sont représentées. L’une, de dos, à droite du tableau tourne la tête vers le spectateur. Elle est assise sur une chaise et fait un travail de couture sur une pièce d’étoffe de couleur rouge. L’autre, plus jeune, face à nous, est assise devant la fenêtre, à l’arrière-plan. Ses pieds sont posés sur une petite chaise. Tout en brodant, elle relève la tête vers nous. Entre ces deux femmes, au centre de la pièce, sur le dallage, une fillette joue avec un chat. À ses pieds sont posés un panier et, au premier plan une poupée.

Ces trois figures féminines sont représentées au milieu d’ustensiles et de meubles emplissant l’espace, au sol, aux murs et sur les étagères.

 

Composition

Au centre et à l’arrière-plan du tableau, une haute fenêtre ouverte donne la profondeur sur les frondaisons et le ciel clair. Cette lumière naturelle éclaire la cuisine en contre-plongée. Elle modèle les ombres des personnages et le contour des objets.Drolling joue sur l’effet de clair-obscur avec le reste de l’espace. Il porte une attention minutieuse aux textures, comme le bois des manches à balai et des meubles, l’osier (vannerie) des paniers, le tissu des torchons en lin épais, les reflets du métal de la dinanderie comme le cuivre des casseroles et de la marmite ou le laiton du bougeoir.

Au milieu des balais, des paniers en osier, des torchons, des cruches, des casseroles et des marmites en cuivre, notre regard est guidé jusqu’à la fenêtre par les perspectives que créent le dallage de petits carreaux hexagonaux en brique rouge au sol, relayé aux murs par les étagères placées à la même hauteur et de part et d’autre, sur les murs qui bornent le tableau à gauche et à droite.

La lumière limpide joue un rôle important dans la composition, puisqu’en enveloppant la cuisine de sa douceur, elle semble unifier et harmoniser le désordre de la pièce, ce qui crée une atmosphère particulièrement paisible et intimiste qui fait référence à l’atmosphère des peintures du nord, à la simplicité silencieuse des intérieurs de Pieter de Hooch.

 

Analyse

Du fait de son caractère intimiste, la cuisine est un thème qui se prête particulièrement aux scènes de genre. Cette pièce demeure le centre du foyer.
Il s’agit d’une pièce à part entière et non d’un coin, d’une unique pièce à vivre, typique des habitations villageoises.
C’est la cuisine d’une maison bourgeoise qui est représentée.

Les femmes travaillent une grande partie de la journée dans la cuisine, entourées d’enfants faisant du sol leur terrain de jeu.
Ce côté intimiste est renforcé par la connivence qui s’installe entre le spectateur et les jeunes femmes qui le regardent.

La peinture murale écaillée qui donne un aspect vétuste aux murs, l’ameublement campagnard et le dallage de briques rouges concourent à donner une ambiance rustique.
Le souci du détail de cette cuisine du début du XIXe siècle en France, donne une dimension historique et sociologique au tableau.

Cette représentation minutieuse fait référence aux tableaux hollandais et à leur goût pour les scènes de genre à l’atmosphère simple, calme et silencieuse. Cette représentation fait également référence aux natures mortes tels les bouquets fleuris comme l’évoque la cruche posée sur le meuble dans la partie gauche du tableau, qui sert de vase.

Ce souci du détail appartient également à la littérature du XIXe siècle.

On pense aux œuvres d’Honoré de Balzac, d’Émile Zola, de Gustave Flaubert, de Guy de Maupassant pour qui priment l’exactitude et la retranscription d’environnements sociaux. La Comédie humaine(1829-1850) de Balzac, Les Rougon-Macquart (1871-1893) de Zola témoignent de cette tendance réaliste et naturaliste.
Honoré de Balzac cite Martin Drolling à deux reprises dans des romans composant son œuvre La Comédie humaine (1829-1850), dans Pierre Grassou (1839) et dans La Femme de trente ans (1842).

Ce tableau a une particularité non négligeable ! Une légende l’entoure.
Martin Drolling devrait sa notoriété à l’utilisation d’un matériau bien particulier pour réaliser ses peintures…

Le commerce de ce pigment est alimenté par un véritable trafic de momies égyptiennes attesté dès le XVIe siècle, les européens croyant alors aux vertus médicinales de cette poudre dite « de momie ».
Le naturaliste français Pierre Belon (1517-1564) qui parcourut l’Orient et l’Égypte, rapporte que François Ier en portait quotidiennement autour de son cou,mélangée à de la rhubarbe !

Au XIVe siècle déjà, le roi Charles V ne se séparait jamais d’un sachet de momie qu’il portait autour du cou pour se protéger.

Par la suite, devant la pénurie de momie, le brun de momie se trouve remplacé par le bitume.

Voici un extrait du Roman de la Momie (1858) de Théophile Gautier : « Ma franchise m’empêche de contredire Votre Seigneurie : j’espère retirer un bon prix de ma découverte : chacun vit, en ce monde, de sa petite industrie : je déterre des Pharaons, et je les vends aux étrangers. Le Pharaon se fait rare, au train dont on y va : il n’y en a pas pour tout le monde. L’article est demandé et l’on n’en fabrique plus depuis longtemps« .

Les « bruns de momie » ne désignent aujourd’hui que le nom d’une couleur de fantaisie.

Il existe par ailleurs une autre œuvre, également conservée au musée du Louvre à Paris et intitulée Portrait de Monsieur Louis-Charles Maigret, 1793 -dont il a longtemps été dit que le glacis aurait été réalisé à partir de « mummia« , substances à base de cœurs momifiés acquis par Louis-François Petit-Radel (évoqué précédemment). Cette légende est enracinée.