Dans un café dit aussi L’absinthe -Edgar Degas

Edgar Degas (1834-1917)

 

Dans un café, dit aussi L’absinthe

1875-76

Huile sur toile

Dim. 92 x 68,5 cm

Conservé au musée d’Orsay

L’œuvre fut montrée lors de la deuxième exposition impressionniste sous le titre :
Dans un café
Ce tableau a une dimension réaliste, le café est
« La Nouvelle Athènes », place Pigalle où se réunissent les impressionnistes.
C’est dans ce cadre que Degas peint L’absinthe.
Degas fait poser, l’actrice Ellen Andrée et le graveur Marcelin Desboutin.

 

Description

La toile représente un homme et une femme assis sur la banquette d’un café, les vêtements défraichis, le regard triste pour l’un, l’air morne pour l’autre.
L’homme détourne son regard de la femme et a le visage marqué par l’alcool.
La femme a les épaules tombantes, le regard absent et le visage pâle dû à l’abus d’absinthe.

 

Composition

D’une part, la composition est influencée par le japonisme.
Degas s’inspire des estampes avec un cadrage décentré ménageant les vides qui influent de l’énergie à la scène en accentuant l’impression d’instantané.
D’autre part, la composition est audacieuse parce qu’elle place les personnages au second plan, sur une perspective montante et qu’elle contribue à leur isolement avec le dénuement et l’agencement des tables se coupant à angle droit au premier plan.
Dans le fond du tableau, une suite de quatre verticales marque l’espace et rythme la scène.

La palette choisie par Degas respire la morosité, du noir et du blanc teinté de jaune avec une touche de bordeaux pour la jupe de la femme.
Le vert-gris-jaune du verre d’absinthe tire sa lumière des couleurs mornes qui l’entourent et irradie les personnages.

Les tables en marbre et le miroir au-dessus de la banquette réfractent et diffusent la lumière  grisâtre du ciel de Paris.

 

Analyse

Cette peinture de mœurs peut être vue comme un témoignage sur un usage répandu de la consommation d’absinthe et sur ses effets.

L’absinthe est une plante neurotoxique. Transformée en liqueur à 72°, elle est aromatisée avec de la menthe et de l’anis. Cet alcool apparu au XVIIIe est consommé dans les milieux ouvriers avant de gagner l’ensemble de la population. L’absinthe sera interdite à la consommation en 1915.

Ce qui choque au XIXe c’est le traitement du sujet, son réalisme.

Degas peint une scène sans complaisance, avec un regard lucide sur les mœurs de son temps.

Ce qui rapproche L’absinthe du naturalisme de Zola et influence Manet et Toulouse-Lautrec.
Dans L’assommoir dont le sujet est la destruction d’un être humain par l’alcoolisme, Zola dit à Degas  « j’ai tout bonnement décrit, en plus d’un endroit dans mes pages, quelques-uns de vos tableaux ». Cette déclaration atteste que Degas traite d’un sujet contemporain.
Ainsi la peinture continue à instruire autant qu’à plaire chez les peintres les plus novateurs.
Le sujet sera repris par d’autres peintres dont Picasso (Buveuse d’absinthe-1901 New-York coll.pr.)

Degas  représente la misère morale.

La direction des regards des deux personnages traduit leur solitude. Deux êtres seuls, posés côte à côte et qui donnent le sentiment de n’avoir jamais été ensemble. Peut-être ce sont-ils aimés avant que les fausses consolations de l’alcool n’aient raison de leurs sentiments et de leurs espoirs.
À côté de la femme, l’homme s’approprie toute la place. Il s’étale sur son siège sans le moindre égard pour la femme qu’il méprise. Il tourne la tête et regarde de l’autre côté.
La femme est pitoyable. Tout dans l’accablement de sa mine et de sa pose trahit le drame de sa vie et la souffrance de son être. Elle a le dos vouté, les bras ballants, le visage absent. Elle a perdu tout éclat, sous son chapeau son regard se perd dans le vide. Il ne lui reste plus que ce verre d’absinthe dans lequel elle se noie.

Le café, lieux des plaisirs, de la vie sociale est subvertit à un lieu d’ennui.
Lieu clos : même le miroir qui souvent dans les tableaux ouvre un au-delà, ne fait que renvoyer le couple à son image floue. Les reflets son délibérément floutés, indistincts, sans détail.
Le miroir ferme l’espace derrière les personnages à la manière d’un paravent peint.

À travers l’expression de ses modèles Degas nous transmet sa propre émotion

 

Conclusion

Dans ce tableau, il n’y a pas de jugement moral contre les êtres qui sont représentés comme des victimes mais un réquisitoire contre un contexte de vie social qui dénature et broie les hommes.

Degas est un peintre urbain, il peint les lieux clos des spectacles, des loisirs et des plaisirs.
Pour ce tableau il a fait poser deux amis dans le café où il se rendait tous les jours.

Et c’est le modèle Ellen Andrée qui conclura avec un extrait de ses mémoires :
« Je suis devant un verre d’absinthe, Desboutin devant un breuvage innocent, le monde renversé quoi ! Et nous avons l’air de deux andouilles ».

PS pour ceux qui ont suivi ….
Degas a omis de représenter les pieds des tables 

Les raboteurs de parquets -Gustave Caillebotte

Gustave Caillebotte (1848-1894)

Les raboteurs de parquets

1875
Huile sur toile
Dim 102 x 146,5 cm

Conservé au musée d’Orsay

Gustave caillebotte est un peintre, collectionneur et mécène français. Né à Paris en 1848 et mort à Gennevilliers en 1894.
Issu d’une famille d’industriels, sa fortune lui permit de se consacrer à la peinture et d’aider ses amis peintres en achetant leurs tableaux

En 1875 les raboteurs de parquets est refusé au salon.
Montrer le monde ouvrier dans sa vérité nue ne va pas de soi.
Les années suivantes il exposera au cours de différentes expositions impressionnistes.

Description

La scène se passe dans un appartement de Paris. Trois artisans sont au travail. Ils sont vêtus de leurs seuls pantalons, ils sont à genoux, le buste penché sur l’ouvrage. Cette position fait ressortir leurs bras puissants, étirés par l’effort et la sueur sur leurs dos nus.
Nous voyons leurs nuques et partiellement leurs visages.
Deux sont face à nous, un troisième est isolé sur la gauche.
La lumière provenant de la porte-fenêtre du balcon glisse sur le parquet et illumine un petit tas de copeaux au milieu de la pièce et du tableau.
On voit sur le parquet les outils des raboteurs, un marteau, une lime, des rabots, des sacs à outils et aussi, sur le rebord d’une cheminée, une bouteille et un verre de vin.

Composition

C’est une composition rigoureuse avec un cadrage en contre-plongée.
La surface du parquet occupe les 2/3 de la toile.
Les raboteurs sont enfermés à l’intérieur de cette surface.

Les perspectives du tableau suivent les rainures du parquet et mettent en valeur les trois zones du parquet : raboté, en train d’être raboté et restant à raboter.

Les perspectives ont un double rôle :
-Elles enferment les artisans dans un univers rigide (Les deux hommes à droite du tableau, au premier plan, sont alignés par rapport aux perspectives) et,
-Elles buttent sur les gravures du mur de l’arrière- plan donnant un effet de profondeur.

Le troisième artisan sur la gauche du tableau, au second plan, est en retrait, solitaire.

Le fond de la toile ou troisième plan, est constitué par le mur à droite et à gauche une porte-fenêtre avec son balcon par lequel on entrevoit la façade d’un immeuble haussmannien.

Au centre du tableau, Caillebotte a laissé un espace vide mis en valeur par le jeu de lumière.

Le dessin est très réaliste. Il fait ressortir les détails du tableau, les ferronneries du balcon, la musculature des artisans.

Caillebotte utilise une palette froide aux tons neutres et sévères qui parlent des gestes qui s’accordent et des personnages réduits à leur fonction.
En parallèle, il pose des touches de couleurs chaudes comme l’ocre ou le marron qui expriment la noblesse du travail et du matériau, le bois.

Les raboteurs sont vus à contre-jour.

La peinture est appliquée par petites touches fines et continues qui servent le réalisme de la toile.

Analyse

Caillebotte a représenté un sujet réel mettant en avant la classe ouvrière plutôt que l’aristocratie. Le coté novateur de ce tableau lui a valu de vives critiques.
Caillebotte en magnifiant les raboteurs et le respect du travail bien fait, leur offre la possibilité d’une reconnaissance.
Cette toile dégage une grande beauté liée à la dignité des hommes au travail.

Par l’importance de la lumière, par son sujet et sa composition cette œuvre s’inscrit dans le courant impressionniste.

C’est une lumière impressionniste dans un espace réaliste.

Quand on regarde les raboteurs de parquets on a le sentiment d’être devant une photographie, cet hyper-réalisme dénonce une réalité dérangeante.
Le principe de la photographie a probablement influencé Caillebotte dans sa mise en scène en contre-plongée, avec la volonté de traiter d’un sujet d’actualité : l’urbanisation de Paris et l’édification des immeubles haussmanniens.

Conclusion

Bonnat maître de Caillebotte recommandait à ses élèves :
« Faite du vrai, plutôt que du beau »

Le ras du sol n’est pas en terre comme chez Millet, mais en bois.
Le sujet classe Caillebotte dans le courant réaliste, proche de Manet.
Cependant, la précision avec laquelle Caillebotte décrit les outils rappelle plutôt le regard aigu de Degas explorant le monde des blanchisseuses.

Longtemps davantage reconnu comme mécène que comme peintre d’importance, Gustave Caillebotte a été redécouvert dans les années 1970.

Certaines de ses œuvres se trouvent au musée d’Orsay :
La gare saint Lazare 1877, vue de toits (effet de neige)1878-79, Henri Cordier 1883…

Très connu aux États-Unis, Gustave Caillebotte a fait l’objet d’expositions montées à Houston et Brooklyn en 1976 et au Grand Palais en 1994.