Guess Art
Le regard sur la trace de la lumière suit le désir du peintre, jusqu’à l’âme du tableau
Chaque semaine je propose un tableau :
Les quatre premiers jours de la semaine je poste des détails du tableau, le vendredi le tableau et le samedi un commentaire sur le tableau.
Le dimanche je poste un ou plusieurs tableaux en rapport avec le tableau de la semaine.
Le concept : trouver le tableau le plus tôt possible dans la semaine.
Si vous trouvez le tableau dès le lundi, vous êtes très fort.
Bravo !
Pour ceux qui cherchent, je donne un indice, en milieu de semaine, sur mes comptes Instagram et Facebook qui portent le même nom que le blog : lumieresdesetoiles
Attention : au pluriel et sans accent...
Bon voyage dans les lumières des étoiles !
Each week there will be a painting that is revealed detail-by-detail :
The first four days of the week, I'll be posting fine details of the painting which will ultimately be revealed on Friday;
On Saturday, I'll be posting a commentary on the work of the week.
Finally, on Sunday, I'll be posting a couple of related works to frame the context, history, or style of the painting of the week.
The challenge: to identify the painting in the shortest time possible.
If you've met the challenge by Monday, you are indeed quite the connoisseur!
Bravo !
For those interested in the challenge, I give an additional hit in the middle of the week on my Facebook and Instagram accounts, which go by the same name as the blog: lumieresdesetoiles.
slogans – Cildo Meireles
Classico 5 – 1963 – Robert Ryman
Conservé au MoMA à New-York
Untitled – 1963 – Robert Ryman
Conservé dans une collection particulière
Untitled – 1959 – Robert Ryman
Conservé au Palais de Beaux-Arts de Bruxelles
Untitled – 1962 – Robert Ryman
Robert Ryman (1930 -2019 )
Untitled
1962
Huile sur toile de lin
Dim 176 x 176 cm
Conservé à New-York dans la Greenwich Collection
Le peintre
Quand Robert Ryman quitte le Tennessee pour New-York, en 1953, il se destinait à une carrière de saxophoniste. Il occupe un poste de gardien de salle au MoMA et à force de voir des œuvres, il commence à s’interroger sur elles, savoir comment la peinture se faisait concrètement.
Robert Ryman est autodidacte. Il n’a pas fait d’école d’art. Sa rencontre avec les expressionnistes abstraits le conduisit à s’essayer à la peinture.
De cette approche prosaïque est née l’une des aventures artistiques les plus radicales de la modernité. C’est Rothko qui lui a appris que les peintures doivent être traitées comme des entités physiques intégrales. C’est Rothko qui lui
« montre » que l’on peut ne pas finir un tableau, qu’il est possible de produire une intensité chromatique unifiée même si on ne rejoint pas les sacro-saintes limites topographiques du tableau.
Il s’orienta dès 1955 vers la monochromie, et fera du blanc sa couleur unique au milieu des années 1960.
Robert Ryman expose pour la première fois ses Standard Séries (des touches de peinture monochrome blanches sur des feuilles métalliques) à la Bianchini Gallery de New-York, en avril-mai 1967 : ce travail est le résultat d’une recherche antérieure de deux ans.
Le tableau
« La question n’est pas quoi peindre mais comment le peindre. »
Le format carré et la couleur blanche auxquels se restreint Robert Ryman dirigent l’attention sur les nuances infinies des éléments constitutifs du processus pictural et de la perception de l’œuvre – texture, touche, surface, support, espace.
En 1962, Robert Ryman crée quatre tableaux où d’épais tortillons de peinture blanche, appliqués en gestes vifs, viennent recouvrir une sous-couche de couleur, ici le bleu et rouille, posés sur un support de lin.
Les coups de pinceau dynamiques créent des mouvements torsadés que l’artiste arrête près des bordures de la toile, laissant la teinte ocre du lin nu encadrer la composition, mais aussi y ajouter une quatrième couleur.
Cette composition picturale offre d’infinies possibilités, le travail de la touche, l’épaisseur de la couleur, les variations de tonalités, le marquage du bord, la profusion de filaments blancs sous lesquels émergent des notes colorées.
Le blanc est pour Robert Ryman la condition à partir de laquelle il est possible de voir les autres aspects constitutifs du tableau, de les révéler plutôt que d’en détourner l’attention par l’emploi d’autres couleurs.
Le peintre évacue les formats traditionnels en histoire de l’art.
Robert Ryman choisit un format carré et le privilégie pour sa neutralité.
Robert Ryman réfléchi à tout ce qui procède de la visibilité de son tableau.
Ne pas gommer les propriétés pratiques de la peinture devient une manière de la faire exister.
Robert Ryman a découpé un carré de lin sur lequel il a posé des touches de blanc qui semblent aller dans tous les sens, ce n’est pas un monochrome.
C’est audacieux. C’est la vie de la peinture.
Robert Ryman : « L’utilisation du blanc dans mes peintures est venue quand j’ai réalisé que cela n’interfère pas. c’est une couleur neutre qui permet une clarification des nuances dans la peinture. Cela rend d’autres aspects de la peinture visibles qui ne seraient pas si clairs en utilisant d’autres couleurs. »
L’art est vivant, parce que Ryman le fait vivre.
Robert Ryman joue avec le lin, il passe des touches de peinture blanche en laissant des espaces qui montrent la toile, il passe une, deux, ou trois touches de peinture, créant un rythme propre, et ces rythmes sont décalés comme des notes sur une partition.
Fait-on un tableau comme on joue un morceau de musique. Le tableau a-t-il une vibration analogue à celle du son propagé dans l’espace.
En laissant trainer son regard sur le tableau, le regardeur croit entendre le rythme de douces variations de jazz.
La lumière est indispensable pour activer la réalité du tableau et percevoir ses nuances, reliefs des touches, fourmillement, fond coloré, à l’intérieur de son apparente homogénéité. La lumière accroche la matière, révèle ses reliefs.
Cette lumière est à la fois celle du tableau lui-même que l’usage du blanc permet de réfléchir et celle de l’éclairage du tableau.
Léclairage achève le tableau et en révèle la présence.
Dans son atelier Robert Ryman travaillait avec un éclairage artificiel, il savait comment ses peintures réagiraient une fois exposées à la lumière naturelle. Il aimait la douceur de la lumière de février et aimait exposer à cette époque de l’année chaque fois que c’était possible.
Robert Ryman a crée une œuvre sans cadre.
« Il invite le regardeur à se questionner sur les limites : où finit le tableau et où commence le mur. »
L’absence de sujet offre ici une portée méditative à la matière.
Ce tableau est une expérience subjective, active et sensible ; regarder c’est ressentir, pas abstraire.
Comme chez Monet, Robert Ryman prouve qu’il peut peindre indéfiniment à partir des mêmes éléments sans jamais produire la même œuvre.
La forme carrée échappe à la classification de portrait ou de paysage, et la couleur blanche possède une expression neutre.
Une neutralité qu’il confirme en ne nommant pas ses œuvres.
Analyse
Robert Ryman a toujours été, non ignorant mais réfractaire à l’art de son temps.
Ses monochromes manifestent d’abord une rupture avec l’expressionnisme régnant, même si la peinture de Mark Rothko l’a beaucoup influencé.
Cette volonté d’émancipation animait d’autres artistes dans les années 1960, notamment les plasticiens du Pop Art et de l’art minimal.
Si Robert Ryman rejetait l’imagerie du consumérisme qu’investissait le Pop Art, son lien au minimalisme était en revanche plus complexe.
La plupart des minimalistes, à l’instar de Donald Judd, reniaient l’illusionnisme de la peinture figurative et abstraite pour une forme sculpturale inscrite dans l’espace réel.
Ceux qui continuaient de peindre, comme Frank Stella, rejetaient la facture expansive de l’expressionnisme abstrait et privilégiaient de strictes formes géométriques.
Robert Ryman fait le choix de la peinture, mais l’importance qu’il donnait au rapport du tableau à son propre support, et au support mural auquel il s’accroche (il jouera sur la distance ou sa proximité au mur, et finira par rendre volontairement apparentes les attaches qui l’y fixent) le rapprocha du souci minimaliste d’une œuvre connectée à l’espace environnant et affirmée comme objet littéral.
Pour saisir le travail de Robert Ryman, il est essentiel de l’envisager dans sa continuité des enjeux picturaux du début du XXe, plutôt que dans son contexte contemporain.
L’abstraction moderne avait montré que la peinture pouvait avoir pour seul objet l’exploration formelle -couleur, geste, forme et composition- sans visée narrative ou représentative.
Délesté de tout contenu qui lui soit extérieur, le travail de Robert Ryman réduit à l’extrême les questions de couleur et de composition au profit du processus et de la construction.
Paul Cezanne et Henri Matisse ont beaucoup impressionné et influencé Robert Ryman : Cezanne par l’architecture de l’espace pictural, Matisse par la facture, l’assurance du geste et le sens de l’immédiateté.
Robert Ryman s’intéresse à la peinture et à ce qu’elle est, à ce qui la compose et à ce qui se produit quand on modifie ses variables : le pinceau, le support, la taille, la matière, la couleur, il rend visible la matérialité de la peinture et la manière dont elle influe sur la présence du tableau.
Par ses coups de pinceaux sur le lin, son sens de la juxtaposition, de la composition du mixage des teintes Robert Ryman réalise un tableau stimulant pour le cerveau du regardeur. C’est la revanche de l’esprit sur la forme.
Ryman : « Le blanc a tendance à rendre les choses visibles. Avec le blanc, on ne voit pas seulement des nuances ; on voit plus que cela ».
Dans ce tableau le blanc est employé comme révélateur des différentes nuances au sein du tableau, des traits de pinceaux, de sa luminosité, et des différents éléments qui viennent structurer la composition.
Robert Ryman centre sa peinture sur l’objet et son rapport à l’espace.
Ryman : « Je m’intéresse à l’espace réel, à la pièce elle-même, à la lumière réelle et à la surface réelle ».
L’artiste n’a jamais voulu être considéré comme un peintre abstrait, car il n’y avait aucun processus d’abstraction dans la réalisation de ses tableaux, aucune purification progressive de la représentation ou de la figuration.
Robert Ryman tente d’établir un nouveau rapport entre le tableau et le regardeur.
Tous les filaments blancs de ce tableau sont conducteurs d’expressivité.
Conclusion
Robert Ryman s’est affirmé comme l’un des peintres américains les plus importants de sa génération.
Il explore inlassablement le blanc dans ses tableaux, cette recherche, il la développe à travers une multitude de médias, de supports, d’outils, de factures, de mode de représentation de ses travaux d’où l’extrême diversité de son œuvre. Il se concentre sur les spécificités propres de son médium, interrogeant la surface de l’œuvre, ses limites, l’espace dans lequel elle s’intègre, la lumière avec laquelle elle joue.
L’œuvre de Robert Ryman est riche d’inventivité en interrogeant le rapport à la matière, à l’espace comme à la musicalité.
Robert Ryman a consacré l’essentiel de son travail artistique à analyser les fondements de la peinture.
Comprendre comment fonctionne la peinture et ce qui s’opère quand on en modifie les paramètres matériels.
Chaque œuvre est différente et requiert de la part du regardeur un oeil actif.
L’œuvre de Ryman est un gisement de recherches, de nuances et d’inventivité.
Ses supports aussi variés que le Plexiglas, l’aluminium, le lin et le papier, résument la plasticité de sa démarche.
Robert Ryman récuse, pour ce qui le concerne, la notion de monochromie.
Robert Ryman en 1971 :
« Je ne me considère pas comme quelqu’un qui fait des tableaux blancs. Je fais des tableau : je suis un peintre.
La peinture blanche est mon moyen d’expression »
Sources :
Revue BeauxArts, article de Stéphane Lambert -2024
Article de Claire Bernardi, directrice du musée de l’Orangerie à propos de l’exposition du 6 mars au 1er juillet 2024 : Robert Ryman- Le regard en acte.
Article d’André Lambotte : De la contrainte librement consentie dans la peinture contemporaine –2004
Article de Léon Mychkine -2019 : Tentative de Ryman et sémantique de l’art contemporain