Le triomphe de Flore – 1743 – Tiepolo

Giovanni Battista Tiepolo (1696-1770)

 

Le triomphe de Flore

1743

Huile sur toile
Dim 71,8 x 88,9 cm

Conservé au musée des Beaux-Arts de San Francisco

 

Le peintre

Très jeune Tiepolo fréquente l’atelier du peintre baroque vénitien Gregorio Lazzarini puis suit les leçons de Giambattista Piazzetta.
En 1717, il est admis à la guilde des peintres.
En 1719, Tiepolo se marie avec la sœur du peintre Francesco Guardi.
Dans les années 1720, Tiepolo aborde la technique de la fresque, dont il devient l’un des plus illustres représentant en Europe.
C’est Ricci et surtout Véronèse qui exerceront sur lui la plus grande influence.
Vers 1730,  son style et son originalité s’affirment.
Peu de temps après, il voyage à travers le nord de l’Italie, peignant des fresques pour des églises et de grandes résidences et, un certain nombre de retables.
En 1750, Tiepolo peint la série Antoine et Cléopâtre.
1750 est aussi l’année du début de son séjour en Bavière pour la réalisation du chantier de sa vie :  l’escalier d’honneur du Palais de Wurtzbourg – résidence des princes évêques de Franconie, à Vienne.
Le décor de la voûte doit représenter l’Olympe et les quatre parties du monde.
Son coup de maître est d’introduire différents points de vue dans le décor en fonction de l’avancée du regardeur dans l’escalier : cela permet à ce dernier de saisir, de manière intelligible et progressive, l’ensemble de la composition sans se contorsionner dans tous les sens.
Très fier et satisfait de sa fresque, Tiepolo se représente aux côtés de son fils dans un coin de la voûte de l’escalier d’honneur. Ce chantier le retient jusqu’en 1753.
Après son retour à Venise, la réputation de Tiepolo est telle qu’il est élu premier président de l’Académie vénitienne en 1755.
En 1761, Charles III d’Espagne l’invite à peindre le Palais Royal de Madrid.

 

Le tableau

Flore est une nymphe de la mythologie romaine, une divinité agraire de l’antiquité romaine, d’Italie et de Rome, qui favorisait les récoltes.

Par la suite, elle fut associée aux fleurs et à la floraison.

Dans ce tableau Flore est entourée de jeunes-gens dont la mort génère des fleurs. Les fleurs sont l’attribut de Flore.

Poussin a traité le même thème en 1631.

 

Composition

Tiepolo côtoie les hautes sphères divines en représentant une héroïne mythologique, Flore.

Sa composition se caractérise par, la force expressive, la modélisation réussie des corps féminins et la représentation dynamique.

C’est une composition sans retenue.
Les figures scintillent.

Tiepolo dispose les personnages comme s’ils étaient sur une scène et les divise en deux groupes.

Flore assise sur son trône-char est encadrée par une envolée d’étoffe dorée, ses musiciennes, une danseuse et une flopée de putti.

Dans son dos, un décor d’architecture, une fontaine, une rangée de sculptures antiques, un sphinx et un mur.

Le décor est complété par une haie d’arbres qui marque la profondeur du tableau et s’arrête au niveau d’une fontaine sculptée déversant à grande eau dans une vasque, au-delà,  les montagnes sont représentées en perspective atmosphérique.

Au premier plan, à gauche, deux soldats sont prosternés, dans les mains ils ont des guirlandes de fleurs -attribut de Flore, qu’ils lui tendent.

Au premier plan, à droite, un monticule de plantes auquel se mêle une étoffe bleue et une amphore.

La sensualité apparente de Flore contrebalance son exubérance émotionnelle.

Rien n’alourdit la composition, tous les détails participent au récit.

Les deux jeunes soldats agenouillés à gauche sont sans doute une allusion à la légende qui fait de Flore une courtisane bienfaitrice du peuple romain. Ils se présentent les bras chargés de fleurs.

Les verticalités des sculptures, du mur, des jets de la fontaine, des arbres, sont contrariées par l’oblique du char de Flore qui renforce le sens du moment représenté : l’arrêt abrupt du char dans sa course.

Le ciel, largement ouvert, plonge à l’horizon, sa luminosité est solaire.

La végétation devant les roues du char forme des vagues de verdure.

Pour son décor, Tiepolo dilue chaque teinte pour créer l’éclat d’une lumière diffuse et naturelle.

En contraste, les personnages arborent des couleurs franches et complémentaires, l’étoffe dorée qui enveloppe Flore, la jupe rouge de la danseuse, l’étoffe bleue foulée au premier plan, un nuage vert habille les musiciennes, quant aux jeunes soldats, leur habits et leur armure sont de l’époque.

Ce tableau est inondé de lumière.

On retrouve le style rococo dans le mouvement, la ligne serpentine, la profusion des éléments décoratifs, le graphisme du dessein.

Cette représentation dégage une formidable énergie.

 

Analyse

Tiepolo débute ses projets par de multiples dessins préparatoires.
L’importance accordée à la théâtralité plutôt qu’à la perfection des détails correspond au goût de ses contemporains vénitiens et assure sa popularité auprès des riches mécènes locaux.

L’arrivée de Flore prend l’aspect d’une fantaisie onirique.

Cette composition est régie par un langage symbolique complexe. Elle rassemble de jeunes soldats, une danseuse, des musiciennes, une multitude de putti et un décor de statues antiques.

Les Capricci vont fortement marquer les artistes de la fin du XIXe et ouvrir la voie à la fantaisie, à la violence et à la passion romantique.
Tiepolo est un des chefs de file du genre.


Ce tableau est une invitation à la contemplation de l’art pour rêver et un bel exemple de la fusion du baroque et du rococo.

Le but du tableau est de ravir le regardeur par l’expressivité de l’art et de privilégier l’instantanéité et le piquant du sujet.

Tiepolo élabore la structure de sa toile telle une partition de musique :
Le groupe au premier plan à gauche s’apparente à un « adagio », celui de droite est corrélé à un « andante vivace ». Tout culmine au centre de la toile par le tempo plus rapide de « l’Allegretto con brio » du char de Flore.

Tiepolo attire notre regard et notre ouïe au centre de la toile.
Le tableau se regarde, se sent et s’entend.

Tiepolo représente ses figures en mouvement.
Lorsque nous regardons le tableau, tout semble s’animer, parce que notre cerveau perçoit le mouvement engendré par la danse.
Flore arrive dans une mise en scène endiablée.
Alors que notre œil voit les instruments, notre cerveau imagine la musique rythmée.
Les soldats sont prosternés devant cette envolée de figures féminines.
Bien qu’il capture un moment particulier d’une journée, Tiepolo réussit avec brio à donner vie à son tableau.

Cette représentation onirique favorise la liberté créatrice de Tiepolo.

Ce tableau est un voyage qui offre au regardeur la possibilité d’une évasion dans son imaginaire. Tiepolo laisse le regardeur compléter  l’image.
Un érotisme diffus se dégage de cette composition.

L’ imaginaire  de Tiepolo est fantasque.
Il  brouille la frontière entre le réel et l’imaginaire.

Le spectacle muet gagne en ampleur et en profondeur.
Tiepolo traite le décor pour créer un  feu d’artifice visuel à Flore et ses suivantes.
La lumière éclabousse Flore.
Les personnages sont beaux,  le triomphe de Flore est une apothéose.

Le tableau a quelque chose de magique qui ravit l’esprit et les sens.

Le décor devient l’écrin d’une subjectivité où les personnages prennent vie.

La beauté que confère au paysage la lumière se jouant dans les sculptures et les branches, le léger vertige que suscite une étendue infinie, font de ce décor un joyau.
Le décor est disposé harmonieusement, jusque dans l’étagement des plans.
Tiepolo  a capté l’arrangement idéal des plans qui favorise l’intrusion de notre regard dans la perspective.
Dans ce décor le monde de Tiepolo s’offre au regardeur dans toute sa diversité et sa force d’incarnation.

Tiepolo trouve dans les années 1737 à 1750, une véritable liberté d’expression, incontestable maître de la couleur, il joue avec toutes les nuances, comme un musicien avec les chromatismes de la gamme.
Le vocabulaire de Tiepolo se déploie en couleurs claires.
Il peint une foule bigarrée avec des putti aux visages angéliques.

Pour étayer ses créations,  Tiepolo jugule son imagination avec de nombreux dessins préparatoires.
Les nombreux album de dessins qui ont pu parvenir jusqu’à nous, permettent de comprendre son processus créatif. Ils révèlent, au-delà de la facilité apparente de l’invention, la liberté de Tiepolo qui s’exprime dans la sensualité avec laquelle il évoque les figures féminines.

Tout participe au récit, déploiement de couleurs chaudes, contrastées par quelques touches plus froides et sombres, chatoiement de lumière dans les plis des vêtements, douceur apportée par les nuances de blanc, rayonnement du coloris doré.

Comme Véronèse, il place ses personnages sur un fond de scène architecturale.

Une pointe de rococo qui s’exprime par une rapidité et une virtuosité d’exécution, une volupté et une luminosité de l’espace, un coloris omniprésent et une lumière diffuse.

Par sa propension à inventer, la vivacité de son esprit et sa spontanéité, Tiepolo se rattache au style baroque.

 

Conclusion

Tiepolo est un artiste polyvalent ayant réalisé de multiples peintures, dessins, fresques, caricatures et gravures. Il laisse derrière lui un héritage et une renommée immenses.
Son art est associé au plaisir de regarder.

En adaptant son vocabulaire personnel aux attentes de ses mécènes – de puissants aristocrates toujours désireux de magnifier par des allégories complexes leur gloire personnelle ou familiale- l’artiste a manifesté un don remarquable pour la sociabilité.

Après avoir fait revivre l’esprit de Véronèse, Tiepolo meurt en Espagne.
Si à son époque, la noblesse et le clergé le saluaient comme « le plus célèbre des virtuoses », la reconnaissance de Tiepolo ne se fait pas immédiatement après sa mort, et son art est partiellement oublié pendant plus d’un siècle.

Tiepolo n’est pas un moderne avant les modernes, il n’est pas archaïque non plus.

Tiepolo laisse suffisamment de place dans sa peinture pour laisser le regardeur combler les vides ; lui permettant d’apporter sa propre interprétation à la scène. C’est cet aspect de sa méthode qui exerça une influence sur les artistes comme Fragonard, Delacroix et Goya qui cherchaient tous à utiliser l’art pour invoquer l’imagination du regardeur à travers l’espace ouvert -l’éclairage des parties précises du tableau par des couleurs claires permettant de faire ressortir des impressions, comme la pureté ou le divin.

Tiepolo est le représentant suprême du style rococo italien ornemental et asymétrique.

Tiepolo est un maître incontournable du panthéon de l’art occidental.