La lapidation de saint Étienne – 1160 – Église de saint Jean du couvent bénédictin de Müstair 

Église de saint Jean du couvent bénédictin de Müstair 

 

La lapidation de saint Étienne 

Vers 1160

Fresque
Dim H: 130 cm

Conservé in situ dans l’église de saint Jean du couvent bénédictin de Müstair, dans la région des Grisons, en Suisse.

 

 

Le couvent 

Ce couvent bénédictin dédié à Saint Jean, situé à un kilomètre de la frontière tyrolienne, derrière le col du Fuorn, a été fondé vers 770-780 par Charlemagne, au temps des guerres contre Tassilo et les Lombards. Le col du Fuorn qui conduit d’Engadine au Tyrol était une route impériale et le monastère avait jadis une haute mission et une fonction politique. 

En 1894, Joseph Zemp et Robert Durrer démontrent que l’église transformée en église à trois nefs en 1492 n’était pas romane, mais carolingienne, ainsi qu’une partie de la clôture.
Dans la clôture, ils découvrirent une chapelle romane avec des stucs, des fresques de plusieurs époques, cachées sous des badigeons et de mauvaises peintures du XIXe.
Au-dessus des voûtes gothiques ils rencontrèrent de larges fragments de peintures carolingiennes.
Les peintures tout en haut de l’ancienne  nef n’étaient qu’en partie distinctes. L’histoire de David et d’Absalon s’y déroule dans un style narratif très vivant.
Dans les absides ils mirent au jour des peintures romanes.

À partir de 1944, l’architecte Sulser, de Coire et le peintre Sautter, de Rorschach, restaurent les fresques carolingiennes et détachent les fresques romanes qui couvrent certains secteurs.

L’église de Müstair n’avait pas de portail central à l’ouest. Dans l’église, le noyau de l’autel principal date du temp de la construction de l’église.
L’église avait jadis un dallage en marbre très clair provenant du Vintschgau.
Cette église est du premier art roman. Le transept ouvrant sur trois absides.
Ses absides aux toits plus bas que celui de la nef, ont un décor traditionnel.

Au-dessus des trois absides a été peint l’ascension du Christ.
Ces fragments carolingiens étaient encadrés par un grand motif décoratif de frises à bandeaux qui divisent les scènes en deux fois quarante rectangles égaux sur les murs latéraux.

Ces scènes nous font penser à Giotto, à la chapelle d’Arena. Comme dans ce joyau du Trecento, toutes les scènes ont les mêmes dimensions et sont séparées par un système décoratif très développé.
La décoration d’arcatures et de niches, réservées jusque là aux absides, apparait aux faces latérales : Quatre scènes de la vie de saint Étienne sont très bien conservées, elles sont de l’époque romane.

 

 

La fresque : La lapidation de saint Étienne

L’artiste dépeint le martyr de saint Étienne, jeune diacre de la communauté chrétienne de Jérusalem, qui fut condamné à mort par lapidation pour blasphème. L’artiste représente le moment précis où, poussé hors des murs de la ville par la foule hostile, Étienne est poursuivi par ses persécuteurs qui s’apprêtent à lui jeter des pierres. Tombé à genoux, Étienne semble invoqué le ciel, le rayon de lumière qui l’illumine provient de la main de Dieu, visible juste au-dessus de lui.
Les gestes suspendus des lapidateurs, la tension de leur corps, l’expression marquée de leur visage grimaçant et la calme béatitude du saint sont autant d’éléments qui dynamisent la fresque et théâtralisent l’instant.

Ce cycle narratif complexe témoigne de l’inventivité des formes et de la richesse des couleurs de l’art roman.
Le symbolisme des couleurs s’utilise pour différencier le bien du mal et faire ressortir les caractéristiques des personnages bibliques.

Ce mécanisme aidait la population à comprendre sous une forme visuelle, une réalité immatérielle et spirituelle.

Si les personnages se caractérisent par des drapés précis et des plis typiquement romans, le peintre fait preuve d’un esprit artistique indépendant dans le traitement des épisodes.
Les plis de la tunique d’un bourreau suggèrent que le peintre a réinventé les conventions poitevines. Et montrent les influences extérieures utilisées par l’artiste.
L’artiste roman nourri de l’héritage antique, passé au filtre des productions carolingiennes et ottoniennes mais aussi d’influences byzantines, a combiné ces différentes traditions avec sa propre culture locale, auquel s’ajoute  les effets de stylisation et son inventivité .

Il donne à sa fresque  une grande énergie.

Les personnages sont devant un fond de couleurs horizontales qui figurent le sol, le paysage et le ciel. C’est une peinture abstraite.
Le sol est ocre et vert, le paysage est dans deux teintes de bruns, le ciel est bleu couronné par un bande verte.

Ici, Étienne, premier martyr chrétien, est lapidé par la foule en rage.
Les visages des bourreaux sont très expressifs. Leurs mentons sont étroits, les mèches de cheveux parallèles retombent sur le front, deux d’entre eux portent des barbes, les yeux sont grands, leurs regards sont exorbités.
Ses bourreaux sont présentés sur des bases de couleurs pures, la tête de profil, le visage figé dans une expression de rage.

À droite; l’arbre de la connaissance du bien et du mal fait allusion au salut de l’humanité.
Au-dessus du saint, la main de Dieu illumine la fresque.

Ces fresques romanes, par leur expressivité, leur qualité picturale et leur bonne conservation méritent le respect du regardeur.

Richesse matérielle et richesse spirituelle ne sont pas contradictoires au Moyen-Âge.
La magnificence des fresques rend grâce à Dieu, car elle permet d’atteindre par le visible, ce qui reste insaisissable.

 

 

La peinture Romane 

L’interaction entre latins, grecs et chrétiens d’Orient continua à créer un art appelé art des Croisés  lequel eut un impact important en Occident. C’est donc à partir de ce phénomène particulier d’acculturation mené à bien à Jérusalem, à Bethléem, à Acre, au Mont Sinaï, à Chypre ou même dans certains endroits de l’Empire Byzantin sous la dynastie des Comnène et des Anges, que se forgea  un art hybride, facilement assimilable par l’Occident.

Après la chute de Jérusalem en 1187, ces échanges se virent accélérés en Occident, dont la peinture expérimenta les frais de cette hybridation.

Les fresques physiquement liées à l’architecture ont contribué à façonner l’espace liturgique, à orienter la dévotion des fidèles pour la sacralisé de la messe.
Il s’agit pour la plupart d’une forme de décoration visant à enrichir l’impact visuel d’une église, à orienter la perception, à communiquer des messages religieux.

L’origine d’un type de stylisation qui affecta profondément l’esthétique romane est à chercher dans deux directions :
-d’une part l’art carolingien antérieur
-d’autre part l’art byzantin et l’influence de cette civilisation prestigieuse s’est manifestée dès le Xe, rares ont dû être les ateliers de peinture, mais aussi de sculptures qui ne doivent rien à Constantinople.

Du milieu du XIe au début du XIIIe, les compositions monumentales et bidimensionnelles de la peinture romane étaient peu réalistes.
L’art roman se caractérise par une stylisation qui cherche davantage à évoquer qu’à représenter le réel.

Les commanditaires sont majoritairement les souverains, les évêques et les abbayes.

Les contours épais, les formes linéaires et géométriques ressortaient particulièrement dans le traitement décoratif des plis des vêtements, tandis que les schémas artistiques repris avec des variations subtiles soulignaient la symétrie et la frontalité de l’ensemble.

Presque toutes les église romanes d’Occident étaient ornées de fresques et il en subsiste même dans les plus humbles édifices.
Au contraire des enlumineurs de manuscrits, les peintres étaient rarement des moines, mais plutôt des artistes itinérants.
L’abbé Suger (1081-1151) a noté qu’il a « fait appel aux meilleurs peintres qu’il a pu trouver dans différentes régions » pour réaliser les fresques de Saint-Denis.

L’esquisse était réalisée sur du plâtre humide avec des pigments simples mélangés à de l’eau et de la chaux. 

Une palette limitée -blanc, rouge, jaune, ocres et azur- créait un effet optimal, avec des couleurs denses et un cadre décoratif peu réaliste constitué de bandes, procédé utilisé dans l’art de l’Antiquité tardive pour distinguer le ciel de la terre.
L’art roman distribue les couleurs primaires (bleu, vert, rouge et jaune) selon une tonalité qui se rapproche plus ou moins du blanc ou du noir, en fonction du symbolisme souhaité à la couleur. Chaque couleur a une double face, une positive quand la tonalité se rapproche du blanc et une négative quand elle va vers le noir.
Les pigments sont d’origine naturelle, le plus souvent minérales.
Les ocres rouges et jaunes sont extraites d’argiles contenant de l’oxyde de fer. Le cinabre, rose éclatant, est un sulfure de mercure. Le vert provient de la terre mais également du cuivre plongé dans du vinaigre. Le noir est obtenu à partir du charbon végétal. Le bleu, couteux est issu principalement du lapis-lazuli ou du cobalt. Le blanc est souvent du lait de chaux, il existe un autre blanc fabriqué à partir de carbonate de plomb.

La fresque est la technique la plus résistante, le peintre doit être habile et sûr de ses gestes.

L’esthétique médiévale de la lumière et de la couleur joua un rôle fondamental pour la compréhension du message dogmatique.
Une œuvre ne pouvait être complète ni comprise sans l’application de sa polychromie.
La capacité d’exprimer au travers de la couleur et de la lumière le pouvoir divin, l’illusionnisme de la vie et de la réalité est le grand pouvoir de l’image peinte.
Dans la pensée chrétienne la lumière est l’élément essentiel et indispensable du beau, étant par elle-même, le beau absolu. Elle est la manifestation la plus évidente de Dieu dans le monde matériel où nous sommes.
Symboliquement, la lumière est Dieu.

L’artiste veut crée un dialogue  avec le regardeur.
La distribution iconographique des personnages et aussi le jeu de symétrie des couleurs participent à l’atteinte de cet objectif.

Le peintre roman garde un attachement indéfectible pour les formes puissamment écrites et la ligne expressive des œuvres locales antérieures : naturalisme et prédilection pour les compositions ornementales.
L’artiste a tendance à styliser la nature et à la soumettre à la ligne pure.
Les champs nus des murs des bas côtés, les longues voûtes en berceau,  constituent des surfaces idéales pour raconter des histoires aux nombreux épisodes.
Les absidioles des chapelles reçurent souvent un décor figuratif.

Au lieu d’imiter l’apparence des êtres et des objets, le peintre roman se sert des images pour « représenter » l’essence invisible des choses de ce monde et pour en offrir une version poétique subjective.
Tout ce que le regardeur voit est le fruit de spéculations intellectuelles et de l’imagination, une interprétation de la réalité  : comme l’art moderne, l’art roman n’est pas un art d’imitation.

Les fresques visaient à enseigner les mystères de la religion, à mener les fidèles vers Dieu en énonçant les bienfaits du christianisme et en leur offrant des exemples de moralité dans la représentation des saints.
Au-delà de son aspect décoratif, la fresque joue avant tout un rôle pédagogique, répondant à la mission pastorale des clercs chargés d’enseigner les Écritures et les principaux dogmes de la religion.
Ici c’est la vie exemplaire de saint Étienne qui est proposée comme modèle au chrétien.

Les fresques exprimaient également un point de vue partial sur l’autorité des papes et des empereurs et les questions politiques et religieuses de l’époque.

Malgré des disparités régionales, le style et l’iconographie de la peinture romane frappent par leur uniformité.
Les décors qui encadrent les scènes figuratives sont hérités des arts carolingien et byzantin.
De plus, les peintres employaient  souvent des matières plus couteuses, comme le marbre ou la tapisserie, avec une iconographie puisée dans les arts ottonien et byzantin.

Les mosaïstes byzantins travaillant en Italie, par exemple, soulignaient la ligne de contour, avec des expressions faciales assez rigides et neutres.
Ce style archaïsant considéré comme un retour aux sources artistiques du christianisme devait peut-être évoquer l’autorité des débuts de l’Église.

Quoi qu’il en soit la diffusion de ces caractéristiques en Europe et leur intégration dans d’autres techniques artistiques ont contribué à unifier l’art roman.

 

La représentation de  La lapidation de saint Étienne par les peintres du XVIIe

Rembrandt a peint un tableau représentant la La lapidation de saint Étienne.
C’est une œuvre de jeunesse peinte en 1625.
On retrouve l’expressivité et la tension dramatique qui caractérise ses tableaux.

Charles Le Brun a peint un May en 1651 pour la Cathédrale de Paris.
C’est une commande qui représente la lapidation de saint Étienne.
Le tableau représente le moment où Étienne est trainé hors de la ville de Jérusalem . Le regardeur le voit étendu sur le sol, les bras écartés , lapidé par les bourreaux.
Le tableau se trouve dans la chapelle de saint Éloi, patron des orfèvres, dont la corporation finance les Mays de Notre Dame. De cette manière ils rendent hommage autant au premier martyr chrétien qu’à l’illustre artiste du roi.

Annibale Carracci entre 1603 et 1604 peint La lapidation de saint Étienne.
Le tableau est conservé au Louvre. C’est une huile sur cuivre. À genoux au pied d’un rempart de Jérusalem, saint Étienne y figure à l’instant où il est lapidé par un groupe. Un ange vole dans sa direction en portant une couronne et la palme des martyrs sous le regard de Jésus et de Dieu depuis le ciel qui sont dans un nuage et dans l’angle supérieur droit de la composition.
Carracci a peint sur le même sujet un deuxième tableau qui porte le même titre. Il est conservé au Musée du Louvre.

Cornelis van Poelenburgh, représente  La lapidation de saint Étienne.
Le tableau, également conservé au Louvre, a été  peint en 1622-1624
L’artiste situe arbitrairement la scène du martyr qui a eu lieu à Jérusalem, à Rome, sur fond de célèbres monuments romains.
Le regardeur remarquera l’influence de Carrache dans les figures.

 

 

Conclusion

L’architecture romane se développa progressivement dans certaines parties de l’Europe médiévale entre la fin du Xe et les deux premières décennies du XIe.

En histoire de l’art, l’art roman est la période qui s’étend du début du Xe à la seconde moitié du XIIe, entre l’art préroman et l’art gothique, en Europe.
L’expression « art roman » est forgée en 1818 par l’archéologue français Charles de Gerville et passe dans l’usage courant à partir de 1835.
L’art roman regroupe l’architecture romane, la sculpture, la peinture ou la statuaire romane de la même époque.
L’expression recouvre une diversité d’écoles régionales aux caractéristiques stylistiques différenciées, mais qui allient maîtrise technique et audace.

L’art roman a été considéré comme le premier style européen.
L’une des principales caractéristiques de ce style est sa diversité régionale.
L’art du XIe et XIIe créé dans toute l’Europe occidentale et s’étendant au-delà de ces siècles, ne s’est pas toujours exprimé avec les mêmes caractéristiques dans les différentes régions et pays. 

 

Sources :
Article du professeur Linus Birchler -1950 Le cycle des fresques carolingiennes au monastère Saint Jean de Müstair
Article de Laïa Cutrina Gallart -2022 : Le pouvoir de l’image peinte
Article d’Alain Tourreau – 2019   : L’époque romane 

Bible de Vivien – 845 -846

Présentation du livre à l’Empereur Saint Martin de Tours -845

Tétramorph with Maiestas Domini – 840

Épitre aux romains – Conversion de saint Paul 

La bible de Vivien est dite première bible de Charles le Chauve

Ce manuscrit du IXe est conservé à la bibliothèque nationale de France à Paris 

Bible de Moutier de Grandval – 834-843

Miniature de la Génése (f 5v.)

Miniature de l »Exode (f 5v.)

Miniature après l’Apocalypse (f 449v.)

La Bible de Moutier-Grandval est un manuscrit enluminé de la Bible, réalisé vers 835 à l’abbaye saint Martin de Tours en France. Jusqu’au début du XIXe l’ouvrage appartient à l’ancienne abbaye Moutier de Grandval  située dans l’actuel canton de Berne , en Suisse.

Il est aujourd’hui conservé à la British Library  sous la cote Add 10546.

Il s’agit de l’une des plus anciennes Bibles illustrées conservées intégralement dans le monde

La fontaine de vie – début du IXe – Évangéliaire de Saint-Médard -de -Soissons

Évangéliaire de Saint-Médard -de -Soissons

 

La fontaine de vie (fol.6v)

Début du IXe

Pigments sur vélin
Dim 36,2 x 26 cm

L’ Évangéliaire de Saint-Médard -de -Soissons est un manuscrit enluminé contenant les évangiles offert en 827 par Louis le Pieux et sa seconde épouse Judith, à l’abbaye Saint-Médard -de -Soissons. Il est rédigé en latin sur deux colonnes.
Cette donation a eu lieu à Pâques de l’année 827, lors de la translation des reliques de saint Sébastien dans cette abbaye avec d’autres biens ayant appartenu à l’empereur.

II est actuellement conservé à la bibliothèque nationale de France à Paris.

 

 

Histoire du manuscrit 

La reliure précieuse originelle est décrite dans le récit de cette translation rédigée par Odilon en 930 mais, probablement suite à un vol, elle a été remplacée en 1169 par l’abbé Enguerrand. Cette seconde reliure, en argent doré et filigrané, qui protégeait encore le manuscrit en 1663, fut à son tour remplacée au XVIIIe par la reliure aux armes de l’abbaye qu’il porte encore aujourd’hui .

Du fait de leur présence dans le trésor de cette institution, ces évangiles ne figurèrent pas dans le catalogue de la bibliothèque de Saint-Médard édité par Montfaucon.
Suite aux confiscations révolutionnaires, ces évangiles  ont été apportés de Soissons à la bibliothèque nationale en août 1790 avec d’autres manuscrits de même origine.
Ils ont fait partie des manuscrits exposés à la fin du XIXe.

 

L’illustration : La fontaine de vie 

Réalisée par l’école de Charlemagne, cette illustration de la Fontaine de vie comprend un cadre architectural qui s’inspire de modèles romains présents dans les fresques de Pompéi.

Elle fut exécutée à la fin du règne de Charlemagne, alors que les influences antiques étaient totalement assimilées.

Les animaux sont particulièrement réalistes.

L’emploi du fronton triangulaire de la fontaine, renvoie aux frontons des temples romains.
Il signifie le caractère sacré de la fontaine.

Ce manuscrit témoigne de la richesse d’inspiration de leurs auteurs, comme du souci de perpétuer des conceptions  artistiques de la culture grecque et romaine.

La hiérarchie savante dans l’utilisation de la pourpre et des écritures d’or et d’argent, le luxe des peintures à pleine page et des lettres ornées, la variété infinie des encadrements, témoignent du niveau des moyens qui sont dédiés à ces évangiles.
Tout cela éclate d’une splendeur farouche, d’une magnificence de tons qui rappelle les émaux et les orfèvreries, la féerie des Mille et une Nuits.

L’exécution de cet évangéliaire est de très haute qualité, enluminé dans un style où domine les influences de l’Antiquité tardive.

Jamais le luxe de la calligraphie, l’élégance du décor, l’architecture de la page ne furent portés au degré où on les voit dans cet évangéliaire.
Il y a dans ce livre quelque chose d’impérial.
Il se dégage une étrange saveur antique.

 

L’Empire carolingien s’inscrit dans la continuité de l’Empire romain en passant par le royaume franc des Mérovingiens.

L’Empire romain a survécu dans sa partie orientale, dans ce qu’on appelle l’Empire byzantin, ensuite il a été recréé en 800 au profit de Charlemagne et a survécu en Occident jusqu’en 1806, tandis qu’il disparaissait en Orient en 1453.
Le pouvoir de Charlemagne, roi des Francs s’étendait sur une grande partie de l’Europe : depuis la Frise jusqu’au Nord de l’Espagne, de l’Atlantique à la Thuringe.
C’est le pape qui a couronné Charlemagne Empereur en 800.
Le trait essentiel de la personnalité de Charlemagne est son profond attachement à la religion chrétienne.
Charlemagne n’est pas un penseur ni un écrivain, c’est un homme d’action.
Charlemagne s’efforce de préserver cet empire d’abord en organisant sa succession en 806, puis en couronnant lui-même empereur son seul fils survivant, Louis le Pieux, en 813, sans l’intervention du pape.

L’empire carolingien n’ignore pas Rome, mais il n’est pas considéré comme  romain  du seul fait qu’il se désigne comme empire.

Dans son principe même, la Renaissance carolingienne fut une réforme d’Église, elle fut assumée par l’institution ecclésiastique, aucun enseignement n’était prévu hors de l’Église, pastorale et évangélisation paraissent impossibles en l’absence d’un clergé correctement instruit.

Sur l’ensemble du territoire de l’Empire et dans les zones limitrophes, la totalité des centres épiscopaux et monastiques ont disposé d’une école à partir du IXe.

Au IXe, la culture carolingienne se plie à l‘évolution de l’Église qui élabore un modèle culturel en réduisant le domaine de l’ascétisme sans le condamner, et reconnait une légitimité fondamentale à des pratiques intellectuelles fondées sur le « remploi » de disciplines profanes héritées de l’Antiquité et rejetées avec une plus ou moins grande vigueur durant les siècles précédents.
Disposer de l’écriture et d’une langue riche, c’était également posséder un instrument susceptible d’assurer l’accumulation, la reproduction et l’extension d’un savoir fondé lui-même sur la transmission, par l’écrit, d’une tradition ancienne. Des centaines de manuscrits encore conservés sont là pour attester ce phénomène caractéristique du développement intellectuel à l’époque carolingienne.

Que cet instrument ait reposé entre les mains des clercs a permis d’assurer à l’Église une position dominante dans la société carolingienne.
Profitant du dynamisme remarquable de la monarchie carolingienne, l’Église reprend à son compte la réforme qui en fait la seule détentrice de l’écriture et seule dépositaire de l’héritage du  savoir antique tant chrétien que païen.

Seule, la transformation importante de l’organisation de cette société, marquée par une évolution des structures du pouvoir (XIIe et surtout XIIIe) mit fin à ce monopole, phénomène perceptible à la fois dans l’essor de l’écriture des langues vulgaires, d’un usage tant littéraire qu’administratif, et dans l’accroissement du nombre de ceux qui avaient accès à la culture latine.

Entre la seconde moitié du VIIIe et le premier quart du IXe, la liturgie telle qu’elle se déroule dans l’Église d’Occident depuis plus d’un millénaire n’est pas dans ses parties constitutives, de caractère purement romain, mais de facture hybride romano-franque et romano-germanique.

 

L’art de la Renaissance carolingienne

L’art carolingien est tributaire de trois techniques qui ont imposé à tous les autres arts leurs procédés de composition et leur style ornemental.
Ce sont l’orfèvrerie cloisonnée, les étoffes historiées, la calligraphie ou l’enluminure des manuscrits.

Sur le plan artistique la peinture byzantine a tenu pendant de longs siècles une place d’art-pilote dans la peinture du monde chrétien.
Les mosaïques, les portes de bronze, les techniques de la fresque sont de provenance byzantine. Les icônes, apportées de Grèce puis imitées à Venise et ailleurs, ont servi de modèles. L’influence byzantine se fait sentir à la cour des carolingiens. L’influence déterminante des byzantins vint se fondre très heureusement avec la vigoureuse école irlando-anglo-saxonne.

Quand Charlemagne succède à son père (768) l’élan est donc déjà donné.
Les principales sources du savoir sont connues ; Byzance, Italie, Irlande et Angleterre. Les grands monastères sont déjà très actifs, les contemporains de Charlemagne ont bénéficié des multiples expériences des époques précédentes.

La période carolingienne marque une étape majeure dans l’histoire des idées et de leur diffusion. Grâce au rôle joué par la cour et par les écoles, une grande partie des lettrés partage une culture commune, qui réussit à fusionner des influences très hétéroclites. Les apports orientaux, anglo-saxons, ibériques et italiens se greffent sur un socle franc et germanique.
C’est le premier grand épanouissement de la culture européenne.

Les prémices de la Renaissance carolingienne sont anciens, et sur les ruines de la culture romaine s’était déjà édifiée depuis longtemps une nouvelle culture d’inspiration chrétienne.
De Charlemagne à Charles-le Chauve, les empereurs carolingiens ont su donner une impulsion décisive et une véritable cohérence, à ces premières manifestations d’une culture nouvelle, en soutenant avec efficacité et enthousiasme les entreprises intellectuelles et artistiques de leur temps.
L’art carolingien découle de la Renaissance carolingienne, de 780 à 900, une période de renouveau culturel inspiré par Charlemagne, roi des Francs (768 à 814, empereur d’Occident de 800 à 814).

L’empire romain lui servait de modèle.
Dans son Palais d’Aix-la -Chapelle, savants et artistes insufflaient des idées nouvelles en puisant dans l’art chrétien et dans la littérature de la fin de l’Antiquité.

L’action personnelle de Charlemagne eut plus d’effet sur le retour à la culture des belles lettres et par là on apprécia davantage l’art classique. Il fit copier un grand nombre d’ouvrages aussi bien littéraires que liturgiques.
Un certain nombre d’œuvres d’auteurs latins ne nous sont connues que par les copies du temps de Charlemagne. 

Les miniaturises travaillent, ils recherchent plus de mesure et d’harmonie, la figure humaine est plus fréquemment reproduite et ramenée à des attitudes normales. Ils cherchent à exprimer la vie. La faune elle-même se transforme et à côté des animaux hiératiques empruntés aux vieux thèmes persans, apparaissent des animaux aux formes plus réelles. Les sources auxquelles puisent les miniaturistes sont l’art byzantin, solennel et majestueux, mais aussi l’art des monastères de Syrie, de Mésopotamie, de Cappadoce et d’Égypte, art plus libre, plus naturel, plus humain où des scènes évangéliques et les vies des saints sont racontées de façon anecdotique.

Ainsi l’art devient réaliste et historique.
Les artistes carolingiens entretiennent et restaurent d’autres arts obtenus en travaillant le bronze, l’ivoire, les métaux précieux et le stuc. Dans ces matières ils réussissent à réaliser des figures en relief.
Les artistes carolingiens s’exprimaient à travers une gamme d’œuvres de plus en plus large : manuscrits, ivoires, fresques, travail du métal, sans oublier l’architecture. Seule la sculpture sur pierre n’était guère développée.

En 814 à la mort de Charlemagne, l’Empire carolingien couvrait la majeure partie de l’Europe occidentale jusqu’à l’Elbe, offrant ainsi des ressources matérielles et culturelles sans précédent depuis la période romaine. 

Les lettrés étant rares, les monastères assurèrent la sauvegarde et la transcription des textes anciens. Le  décor des manuscrits de la fin de l’Antiquité était reproduit grâce à des enluminures aux couleurs vives.
L’objectif n’était pas uniquement la copie des textes sacrés. Certains modèles iconographiques furent assez innovants.
Le monastère de Marmoutier, à Tours, joua un rôle clé dans la Renaissance carolingienne.
Alcuin de York, qui y fut abbé, fut l’un des plus grands savants de l’époque.

Les enlumineurs de Tours étaient des spécialistes de la bible.
Le monastère bénédictin de Reims produisait des psautiers et l’école palatine d’Aix-la-Chapelle des œuvres variées, dont les évangéliaires, comme celui de Saint-Médard de Soissons.

Des ivoires d’une qualité exceptionnelle ornaient certains diptyques consulaires (peintures jumelées à caractère religieux distribuées par les consuls romains à leurs partisans) ou d’autres modèles de la fin de l’Antiquité.
L’empire carolingien avait le monopole de l’ivoire d’éléphant , et les royaumes voisins devaient se contenter d’ivoire provenant de cétacés (en général du morse).

La tradition carolingienne fut perpétuée dans l’empire sous les règnes de Louis le Pieux (814-840), fils de Charlemagne, puis Charles- le Chauve (875-877), son petit fils.
En tant qu’Empereur d’Occident, Charles favorisa, dans son école palatine dont l’emplacement exact fait débat, un style plus dur, plus spectaculaire.

Après sa mort, la production de manuscrits connu un fort déclin, car elle était tributaire du mécénat du roi.
Néanmoins la cour carolingienne s’ouvrait aux arts avec des commandes accrues de mécènes laïques et non plus exclusivement du clergé.

Pendant la deuxième moitié du Xe les architectes s’efforcent de réaliser le problème du voûtement des églises et de remplacer les plafonds de charpente par des voûtes de pierre, ainsi insensiblement s’élabore, dès la fin de l’époque carolingienne, le programme de l’architecture romane.

 

 

Conclusion 

Cette brillante Renaissance artistique commence à donner des signes de déclin dès la fin du IXe, minée par les dissensions internes de l’Empire puis par les invasions normandes qui font brutalement disparaître de nombreux foyers de création.
Au siècle suivant, privée du soutien royal, l’activité artistique connaît un net ralentissement, se poursuivant de manière sporadique dans quelques foyers situés aux lisières de l’Empire, ainsi qu’au sein de quelques monastères.

En mourant, Charlemagne laissa à son successeur Louis le Pieux, un empire troublé, d’où  l’on ne parvenait pas à éliminer le désordre et les abus.
L’empire était devenu une sorte de machinerie trop vaste, trop compliquée, qui avait épuisé  ses forces dans une extension démesurée.
À la fin du IXe, l’empire de Charlemagne n’était plus qu’une écorce vide. Il était incapable de résister à une grande secousse.

Charlemagne avait une très haute idée du pouvoir royal, mais c’est toujours la religion chrétienne qui donna à son pouvoir impérial sa consistance essentielle.

La théocratie pontificale du Moyen-Âge en germe dans les décombres de la Rome antique , prit son essor décisif sous Charlemagne.

 

 

 

Sources :
La « Renaissance carolingienne » BnF
Article de Paul Deschamps -1930 : L’art mérovingien et carolingien -chez Persée
Article de Michel Sot -2007 : Références et modèles romains dans l’Europe carolingienne
Article d’Anita Guerreau-Jalabert-1981 : La Renaissance carolingienne: modèles culturels, usages linguistiques et structures sociales- chez Persée
Article D’Erna Patzelt -1967 : L’essor carolingien – chez Persée