Piero Della Francesca (entre 1412 et 1416 – 1492)
Annonciation
Vers 1455
Fresque
Dim 329 x 193 cm
Conservée dans l’église Arezzo San Francesco
Le peintre
Piero est né et mort à San Sepolcro qui est une commune de la province d’Arezzo dans la région de Toscane, en Italie.
On ne connait pas la date exacte de sa naissance qui se situe entre 1412 et 1416.
Dans les années 1420, il est dans l’atelier d’Antonio di Anghiari.
En 1432, Piero a sa première commande, il n’achèvera pas l’œuvre.
En 1435, il exécute La Vierge à l’Enfant de la collection privée Alana
En 1438, il quitte l’atelier d’Antonio di Anghiari et s’installe à Arezzo.
En 1439, il est à Florence, il travaille avec Domenico Veneziano à la chapelle de Sant ’Egidio dans l’hôpital de Santa Maria Nuova.
En 1442, il est à Borgo, où il ouvre son atelier et exécute le Baptême du Christ conservé à la National Gallery de Londres.
En 1445, il reçoit la commande du Polyptyque de la Miséricorde qu’il achèvera en 1462.
Vers 1450, il rédige le Liber abaci, sa première œuvre de théoricien, il en écrira trois.
En 1452, meurt Bicci di Lorenzo qui avait été chargé de décorer le chœur de l’église de San Francesco. Piero lui succède et peint en sept ans l’un des plus grand chef d’œuvre de l’histoire de l’art, la Légende de la Vraie Croix.
Puis Piero se rend à Rome où il exécute des œuvres perdues pour le pape Pie II.
Sa mère meurt, Piero retourne à Borgo.
En 1464, il est de retour à Arezzo où il peint sa seule œuvre profane l’Hercule.
En 1469, il retourne à Urbino appelé par Federico di Montefeltro, qui lui commande certaines de ses œuvres les plus célèbres.
Son traité le plus célèbre, écrit en 1480 est De prospectiva pingendi, consacré à la perspective.
En 1485, il achève un traité de géométrie euclidienne.
Piero Della Francesca est à la fois peintre et mathématicien.
Humaniste et fin connaisseur de l’Antiquité classique, Piero est soucieux de représenter la nature en véritable anatomiste.
Sa palette est lumineuse, sa maîtrise de la technique de la fresque, son art savant de la composition, contribuent à faire de Piero Della Francesca l’un des artistes phares de la Renaissance Italienne.
La fresque
La commande provient de la famille Bacci, la plus riche d’Arezzo, qui avait dans un premier temps confié ce travail à Bicci di Lorenzo (1373-1452), peintre rattaché au gothique international.
La mort de ce peintre permettra à Piero Della Francesca de réaliser l’un des plus remarquables cycles de fresques de la Renaissance.
L’Annonciation fait partie du cycle consacré à la légende de la Vraie Croix. Il s’agit de scènes inspirées d’épisodes de la Bible (ancien et nouveau testament).
Ces fresques ont été restaurées pendant dix ans de 1990 à 2000.
Composition
Piero partage la surface en trois lieux où répartir les figures du récit et du même coup rend difficilement perceptible la profondeur fictive de l’espace représenté.
Le format de l’espace disponible a engagé Piero à adopter un schéma vertical.
Par son traitement perspectif, L’Annonciation d’Arezzo donne une version originale de ce schéma puisque la vision de l’architecture est construite en fonction d’un point de vue rabaissé et latéralisé.
La fresque comporte deux points de fuite, le premier correspond à la partie basse de la maison de Marie, le second, plus élevé, à sa parie haute.
Les deux points de fuite étant rigoureusement superposées verticalement l’un à l’autre, ce dédoublement est donc délibérément construit.
On pourrait penser que Piero prend ici relativement en compte la position du regardeur qui, du centre de la chapelle, voit les fresques d’en bas et depuis la droite. L’hypothèse est vraisemblable mais ne suffit pas car ce parti ne se retrouve ni pour Le Songe de Constantin, situé à la même hauteur de l’autre côté de la fenêtre, ni pour La Torture du juif, située au-dessus de L’Annonciation.
C’est donc pour des raisons internes à la fresque, à la mise en œuvre de son iconographie que Piero a choisi un tel point de vue.
Cette Annonciation obéit à une disposition quadripartite rigoureuse. Soulignée par la frise de marbre noir, la colonne et l’angle du bâtiment, cette disposition distribue à travers la surface quatre « lieux » occupés par autant de « figures » : Dieu, l’Ange, la Vierge et cette fenêtre, partiellement ouverte, barrée et obscure, qui stimule l’imagination des exégètes.
Vue en position frontale rigoureuse, cette construction manifeste sans ambiguïté le schéma cruciforme qui sous-tend la conception : la colonne et l’angle du mur constituent le montant vertical de la croix tandis que la frise de marbre noir en forme les bras.
C’est la mise en place perspective qui, en décalant les deux frises de marbre noir et en rompant leur continuité, brouille cette vision de la croix, présente dans l’Annonciation.
En optant pour un point de vue rabaissé, l’artiste dissimule la croix dans la scène de l’Annonciation.
Grâce au point de vue adopté par Piero, le regardeur perçoit le volume de l’architecture qui domine la Vierge.
Piero indique la présence de Dieu par des couleurs vives.
L’irréel s’offre à la vue du regardeur par des surfaces chatoyantes.
La maison de Marie est symboliquement surdéterminée, elle est composée d’une chambre et d’une loggia. La loggia est transfigurée par l’irruption de l’ange et se manifeste par des surfaces minérales polychromes.
La maison de Marie est un paradis terrestre qui préfigure le paradis céleste.
La polychromie contribue à la cohérence des liens établis entre le corps de Marie, sa maison, le lieu ecclésial et le paradis.
Le sol aux riches tonalités orangées fait de l’architecture un écrin précieux pour la Vierge.
La beauté proportionnée de la perspective, qui revêt une signification religieuse et paradisiaque, s’ajoute à l‘effet de l’ornementalité minérale.
Le décor est luxueux, les plafonds à caissons, les entablements et les pilastres qui les soutiennent sont richement sculptés.
Analyse
Comment Piero se sert de la perspective pour faire entrer le divin dans l’humain :
Piero opère un jeu mathématique entre profondeur et surface.
En construisant ses espaces de façon à faire revenir la planéité de la surface au sein de la profondeur. Piero enveloppe la profondeur dans le plan et le plan dans la profondeur, ainsi la géométrie rend intellectuellement incompréhensible la représentation du visible. Cet état de fait est indissociable de la nature religieuse des images peintes par Piero.
Les œuvres de Piero où interviennent une construction perspective paradoxale, traitent, en général, d’une intervention divine dans l’histoire humaine.
L’emploi paradoxal de la perspective pourrait avoir pour fonction de visualiser la présence dans le visible de ce qui est incommensurable à tout visible.
Les images de Piero devaient, quand elles représentaient l’intervention du divin dans l’histoire humaine, visualiser l’incommensurable.
Cette interprétation de la pratique perspective de Piero Della Francesca est confirmée dans cette grande Annonciation qui apparaît dans le cycle représentant l’histoire de la croix dans l’église San Francesco d’Arezzo.
Cette innovation n’est vraisemblablement pas due à une initiative du peintre et revient plutôt à son commanditaire ou aux Franciscains d’Arezzo qui avaient d’excellentes raisons liturgiques pour imaginer une telle nouveauté.
Ces raisons liturgiques ne sauraient expliquer la façon dont Piero traite ici l’Annonciation.
Le point de vue qu’a choisi Piero, lui permet, alors qu’il substitue la scène de l’Annonciation à celle de la fabrication de la Croix, de substituer à la représentation seulement narrative de cette fabrication une allusion à sa « planification » divine-puisque du point de vue de Dieu et de sa providence, l’Annonciation n’a lieu que pour la crucifixion.
C’est la mis en place perspective et le point de vue rabaissé qui, en décalant les deux frises de marbre noir, cachent la croix, présente dans l’Annonciation.
Ainsi, envisagée dans le contexte du cycle où elle est peinte, l’Annonciation d’Arezzo confirme ce qu’annonçait l’analyse de l’Annonciation du Polyptyque de Sant’Antonio : Piero utilise dans les deux cas la « science perspective » pour visualiser, de deux façons différentes, la présence de l’invisible agissant dans le visible, de l’incommensurable entrant dans la mesure.
En faisant ce choix, Piero manifeste l’aveuglement des hommes dans l’histoire.
Dès ses premières fresques, la construction de la perspective régulière constitue un instrument figuratif permettant à Piero de donner figure à la venue de la Divinité dans le monde humain.
« Par le jeu de son dispositif, la perspective permet de mettre en scène ce qui, dans l’Annonciation est par essence irreprésentable, l’Incarnation. »
« La perspective régulière suscite un type nouveau de représentation spatiale susceptible d’être simultanément porteur des « quatre sens » (littéral, tropologique, anagogique et allégorique) que par tradition on attribue à l’Annonciation. «
On retrouve dans ce tableau la volumétrie de Masaccio, la rigueur de Paolo Uccello et la couleur lumineuse de Domenico Veneziano.
Le lieu de l’Annonciation devient la demeure de Dieu.
La colonne est traditionnellement une figure du Christ dans les Annonciations et le rouge est la couleur de l’ange qui annonce la venue du Christ.
De même que la Vierge contient le corps du Christ, la demeure de la Vierge contient la colonne qui est une figure du Christ.
L’incarnation ne peut se dérouler que sur terre mais, le lieu qui l’accueille, transfiguré par la présence divine est un reflet de la beauté supraterrestre.
La beauté surnaturelle du lieu de vie de Marie est révélée par le caractère grandiose et solennel de l’architecture qui joue une rôle de plus en plus important et connaîtra son apogée autour de 1500.
La géométrie offre la note la plus sûre vers une appréhension de l’infini.
La porte légèrement décalée vers la gauche par rapport au centre de l’image, est enchâssée dans le mur du fond de l’édifice figuré, sa forme est entièrement déterminée par la galerie qui constitue pour elle comme un cadre. La perception de la perspective qui est accentuée et travaillée est contredite.
Cet effet est confirmé par les analyses de Daniel Arasse concernant le point de vue adopté par Piero.
Piero della Francesca a mis en place un paradoxe visuel. La porte se situe dans « l’entre-deux » des figures, là où l’invisible de l’Annonciation est souvent évoqué par les peintres.
L’image de Gabriel devient véritablement une réalité scintillante, comme une apparition lumineuse dans l’univers terrestre.
Gabriel porte une aube blanche et une étole rouge peinte avec les mêmes pigments que les marbres du décor. Le blanc du vêtement de l’ange est mélangé à une couleur claire. Le blanc dans la civilisation médiévale est la couleur de la lumière, attribuée à ce qui est pur ou sans matière.
Les ailes sont recouvertes de desssins qui évoquent des plumes. Plusieurs valeurs et nuances de bruns et de blancs se fondent les unes dans les autres pour constituer une surface diaprée. Les ailes sont de couleur jaune scintillant, on retrouve cette teinte dans l’encadrement de la porte.
L’association des anges à la couleur blanche et à la lumière est courante dans la Bible.
Piero rappelle que le corps de l’ange n’est pas un corps véritable (il ne projette pas d’ombre au sol).
L’ange vient d’accomplir un mouvement vers la droite, il dérange Marie qui était en train de lire, elle a gardé son livre dans la main gauche et marque sa page en insérant son doigt. Elle est debout et écoute ce que l’intrus lui annonce.
Les réalités de l’au-delà sont colorées et le bleu est une couleur appropriée pour rendre visible l’origine céleste de Dieu sur son nuage.
Dieu vient de lâcher la colombe et regarde la scène, ses deux mains qui tenait l’oiseau sont tendues devant lui.
Le lien entre architecture et perspective est historiquement établi par le fait que Brunelleschi, l’inventeur de la perspective, n’a jamais était peintre mais architecte.
C’est par l’architecture peinte que la perspective géométrique s’introduit dans la peinture florentine.
Pour Ghiberti, l’architecture correctement « mesurée » et « proportionnée » grâce à la perspective est un élément fondamental de la beauté de l’œuvre peinte.
De fait, le concept de proportionnalité est au cœur de la théorie perspective de la Renaissance.
En cela, la perspective des peintres ou « perspective artificielle », manifeste qu’elle trouve son origine dans l’optique médiévale. Son fondement géométrique a pour conséquence que l’optique reflète la vision de Dieu et donc la sagesse et la grâce divines.
La création divine s’est fondée sur la perfection des rapports géométriques et des proportions et la science optique est à l’image de cette perfection.
Longtemps négligée par les historiens de l’art, cette approche religieuse de la perspective jette en peinture, une lumière neuve sur le fait, que les premières œuvres peintes en perspective régulière, dont en particulier La Trinité de Masaccio sont des œuvres religieuses.
Daniel Arasse : « Entre les mains des peintres la « science de la perspective » peut donc être un instrument d’une efficacité exceptionnelle puisqu’elle fonde à la fois la beauté proportionnée de l’œuvre, sa vérité géométrique et sa capacité de révélation théologique.
Or la représentation de l’Annonciation donne à la perspective l’occasion d’exercer à plein sa puissance « informatrice ». Si l’architecture est, en peinture, l’outil privilégié de la perspective linéaire, l’architecture elle-même est en effet traditionnellement le support de métaphores et de
« similitudes » désignant la Vierge Marie, tant dans ses vertus morales que dans la nature mystérieuse de son corps physique où l’Incarnation a pu avoir lieu, c’est-à-dire, à la lettre, trouver son lieu. Certes, les métaphores virginales sont légion et s’inspirent de l’ensemble du monde visible, mais celles qui s’inspirent de l’architecture ont, dans le contexte de l’Annonciation une importance et une pertinence particulières : Marie est une ville…mais aussi une maison…ses fondements solides signifient le Christ, ses murs élevés l’espérance et ses quatre terrasses la tempérance, la sagesse, la justice et la vertu. Marie est une porte (ouverte et fermée), elle est une fenêtre, elle est un trône…elle est aussi un temple dont chaque détail…manifeste « l’être ou les qualités propres de la Vierge » ; elle est en particulier le tabernacle où a pris corps le Dieu incarné. »
Conclusion
La peinture de Piero Della Francesca faite d’harmonie et de géométrie, de lumière, de perspective, de construction mathématique réglée, rationnelle, mesurée dans les moindres détails, a captivé des générations d’amateurs d’art.
Piero Della Francesca a été l’un des artistes les plus influents de son époque et son art a inspiré de nombreux peintres de la génération suivante, dont certains, comme Luca Signorelli et le Pérugin, ont été ses élèves directs, tandis que d’autres, comme Antonello da Messina, Giovanni Bellini et Raffaello Sanzio, sont toujours liés à Piero Della Francesca.
La réforme de Piero, c’est sa peinture rigoureuse et mathématique.
Il reste peu d’œuvres de Piero Della Francesca, la plupart se trouvent en Italie. Le plus grand noyau d’œuvres se trouve à Arezzo et dans ses environs.
Les Offices, à Florence, conservent les portraits des ducs d’Urbino.
À l’étranger, les œuvres sont à la National Gallery de Londres, à Gemäldegalerie de Berlin et au Musée du Louvre.
Sources :
Daniel Arasse –L’Annonciation italienne –1999
Chez Persée – Article de Cyril Gerbron : Les Annonciations de Fra Angelico, Pollaiuolo, Piero della Francesca et Robert Campin : questions d’ornementalité et de couleur.