Les aventures d’Akbar-namé avec l’éléphant Hawa’i – 1590-1595 – Basawan

Basawan (actif de 1580 à 1600)

Les aventures d’Akbar-namé avec l’éléphant Hawa’i

1590-1595

Peinture à l’eau sur papier
Dim 33 x 20 cm

La miniature fait partie du manuscrit de l’Akbarnama et est actuellement conservée au Victoria and Albert Museum de Londres.

Le peintre

Basawan était un peintre en miniature indienne de style Moghol. Il était connu de ses contemporains comme un habile coloriste et un fin observateur de la nature humaine, ainsi que pour son usage du portrait dans les illustrations de l’Akbarnama, biographie officielle de l’empereur moghol Akbar, considéré comme une innovation dans l’art indien.

L’œuvre

La miniature intitulée Les aventures d’Akbar-namé avec l’éléphant Hawa’i est une œuvre majeure de la peinture moghole, illustrant un épisode de l’adolescence de l’empereur Akbar et commandée pour le Akbarnama, la biographie officielle de son règne.

Cette page qui représente Akbar domptant l’éléphant Hawa’i (métaphore du contrôle sur son empire) fut peinte par Basawan et fait partie d’une double page illustrant cette scène.

La composition de la scène est attribuée au maître Basawan, tandis que la coloration a été réalisée par un autre artiste nommé Chetar (ou Chatra). Cette collaboration était une pratique courante dans l’atelier impérial moghol.

L’œuvre illustre un incident survenu en 1561 devant le Fort d’Agra, où le jeune empereur Akbar (alors âgé de 19 ans) a dompté le féroce éléphant Hawa’i.
L’incident est également lié à une poursuite sur un pont de bateaux sur la rivière Yamuna.

La scène décrit l’aventure d’Akbar sur son éléphant Hawa’i, devant le fort d’Agra en 1561.
Selon Abu’l Fazl, Hawa’i était réputé pour être l’un des éléphants les plus forts et les plus difficiles à manier. Pourtant Akbar le monta avec aisance et le confronta à un éléphant tout aussi féroce, San Bagha.

L’illustration montre Akbar monté sur Hawa’i, poursuivant l’éléphant San Bagha à travers un pont de bateaux en ruine sur la rivière Yamuna.
Le pont s’effondre sous le poids des éléphants et plusieurs serviteurs d’Akbar ont sauté à l’eau pour suivre la poursuite.

Le récit du règne d’Akbar fut somptueusement enluminé par les plus talentueux artistes de la cour, du moins l’exemplaire destiné à l’empereur.

Le regardeur voit la moitié gauche d’une composition sur deux pages.

La miniature est conçue comme une double page, avec cette scène de gauche montrant le point culminant de l’action.

Basawan utilise une perspective en plongée et une vue plongeante pour mettre en scène l’intensité de l’action, montrant le pont qui s’écroule et la foule en bas.

Le regard est attiré par la diagonale du pont, qui traverse la composition et ajoute au sentiment de mouvement et de danger.

Basawan est un habile coloriste et un fin observateur de la nature humaine.

Analyse

Manuscrits moghols et hindous : du XVIe au XIXe siècle

On parle généralement de l’Inde musulmane pour la période allant du XVIe au milieu du XIXe. C’est là une vision réductrice qui passe sous silence les nombreuses dynasties hindoues contemporaines des grands Moghols (1526-1858) et le fait que même les souverains moghols, notamment Akbar (règne 1556-1605) allaient soutenir la fondation de temples hindous et commander la traduction et l’illustration de textes hindous.

Akbar installe à sa cour, des ateliers réunissants des copistes, des traducteurs et des peintres. On doit à ces ateliers une extraordinaire production de manuscrits, dont une histoire de son règne intitulée : Akbar-namé.
L’exemplaire impérial qui fut présenté à Akbar est parvenu jusque’à nous.
Il est fait mention des trois artistes qui se partageaient traditionnellement les différentes étapes : le premier était chargé du dessin et de la composition de la page, le deuxième de l’application des couleurs et un troisième peintre réalisait les portraits.

Les artistes travaillant à la cour du fils et successeur d’Akbar, Djahangir (1605-1627) poussèrent encore plus loin le souci du détail.
Djahangir hérita d’un empire suffisamment stable pour consacrer une grande partie de son temps aux arts. Il prétendait pouvoir reconnaitre le style de chaque artiste jusque dans les moindres détails et récompensait ceux dont il appréciait les œuvres.

L’art du portrait y compris la représentation des animaux exotiques apportés à la cour qui fascinait l’empereur, se développa sous le règne de Djahangir et continua à jouir d’une grande faveur sous son successeur, Chah Djahan (1628-1658).

Si Chah Djahan est plus connu pour le soutien qu’il apporta à l’architecture (il fit construire le Tadj Mahall) il commanda des portraits de personnages importants de sa cour et se fit portraiturer lui-même régulièrement.
De petit format ces peintures n’étaient pas destinées à être exposées publiquement pour légitimer son pouvoir, à la différence des grandes statues publiques, mais réservées pour son propre plaisir et pour un cercle intime de courtisans.

Vers 1600 alors que le règne d’Akbar touchait à sa fin, d’autres styles de peinture, peut-être en écho aux ateliers de la cour moghole, firent leur apparition dans d’autres régions de l’Inde : dans les cours du Deccan, en particulier à Bijapur, dans les royaumes occidentaux du Rajasthan et dans la région pahari des montagnes de l’Himachal Pradesh.
Naturellement des peintres étaient déjà actifs auparavant, puisque des artistes originaires de ces régions travaillaient dans les ateliers d’Akbar.

L’illustration des modes musicaux dans les manuscrits de ragamala est un des thèmes les plus populaires de la peinture rajasthani et pahari.
On trouve également des textes religieux comme le Bhagâvatapurâna dont on connait des manuscrits enluminés plus anciens et de la poésie amoureuse chantant le désir d’union des amants séparés, qui est une allégorie du désir que l’âme a de l’union divine.

Analyse iconographique

La miniature est une composition dynamique qui utilise plusieurs éléments pour exalter le courage du jeune empereur.

Narration et symbolisme
Akbar en tant que héros : l’empereur est montré comme un individu audacieux et intrépide, capable de maîtriser les forces de la nature. Il est seul sur le dos d’Hawa’i, tandis que tous les autres observateurs s’écartent ou regardent depuis une distance sûre.

Hawa’i et l’autre éléphant : Hawa’i, l’éléphant principal, est représenté en pleine action, poursuivant l’éléphant rival, San Bagha., à travers le pont des bateaux qui s’effondre sous leur poids.

Akbar aimait tant Hawa’i que lorsque celui-ci mourut un jour de sa belle mort, il le fit enterrer solennellement dans l’enceinte de Fatehpur-Sikri et ordonna d’élever sur la tombe une extraordinaire tour, témoin de son amour pour le regretté et défunt pachyderme.

La foule et le regardeur : de nombreux serviteurs et courtisans sont représentés avec des expressions de peur et d’étonnement, ce qui souligne le danger de l’exploit et met en valeur le courage d’Akbar.

Signification historique et politique

Légitimité et pouvoir : la miniature n’est pas une simple illustration.
Elle sert de propagande politique, destinée à cimenter l’autorité d’Akbar et à renforcer son statut de dirigeant exceptionnel, capable de contrôler même les plus grandes forces sauvages.

Jeunesse et vigueur : Cet épisode de sa jeunesse montre la détermination et la force de caractère d’Akbar dès le début de son règne. La maîtrise de l’éléphant, symbole de puissance brute, est une métaphore de sa capacité à diriger un vaste empire.
Après des débuts difficiles et des guerres cruelles, Akbar devint le plus grand souverain de la dynastie et l’un des hommes les plus accomplis de toute l’histoire de l’humanité, symbole même de justice et surtout de tolérance et de tolérance religieuse.
Son animal domestique favori est un éléphant nommé Hawa’i, l’empereur le voulait toujours à ses côtés, surtout parce que l’éléphant lui servait aussi de, bourreau.
L’empereur avait construit, au nord d’Agra, la fabuleuse cité de Fatehpur-Sikri, granite rose, marbre blanc et noir, chef-d’œuvre d’architecture, de poésie, de beauté.
Dans la grande cour d’audience, nommée le Divan I Am, il donnait audience à son peuple et il rendait justice. Lorsqu’il prononçait une condamnation à mort, son vizir se chargeait de la paperasserie et appelait le gardien de l’éléphant Hawa’i. On posait la tête du condamné sur une pierre plate et, sur instruction du gardien de Hawa’i, celui-ci de sa patte écrasait la tête du condamné.

Style moghol : la peinture illustre le style moghol naissant, avec ses détails minutieux, ses couleurs vives et son approche naturaliste inspirée de la tradition persane et indienne.

Conclusion

Cette miniature est un exemple parfait de la collaboration artistique au sein de l’atelier impérial moghol et de la manière dont la peinture était utilisée pour raconter et glorifier le règne de l’empereur.

Elle est une source précieuse pour l’étude de l’histoire de l’art de l’Inde moghole.