Giovanni Bellini (1430-1516)
Titien (1490- 1576)
Le festin des Dieux
1514/1529
Huile sur toile
Dim 170,2 x 188 cm
Conservé à la national Gallery of Art de Washington D C
Le tableau
Ce tableau est une peinture mythologique et raffinée de la Renaissance vénitienne.
Le tableau représente les dieux de la mythologie gréco-romaine réunis autour d’un banquet dans un paysage idyllique.
Souhaitant rivaliser avec les autres cours italiennes en matière d’art et de culture, le duc de Ferrare, Alphonso d’Este, commande un ensemble de tableaux représentant des scènes de bacchanales pour son camerino, un cabinet de travail conçu à l’image d’une galerie antique.
Loin de ses habituels thèmes religieux et portraits, Giovanni Bellini, peintre de l’école vénitienne, s’aventure dans cet univers mythologique peuplé de divinités antiques.
Après sa mort, le tableau est retouché par Dosso Dossi (1449-1542) la surface ayant été endommagé lors de son acheminement de Venise en 1516.
En 1525, Titien, élève de Bellini, peint la Bacchanale des Andriens à la demande du duc qui souhaite compléter la galerie mythologique.
Titien a inséré des détails qui font penser au Festin de son maître.
Les deux tableaux présentent une figure féminine allongée à droite et un verre de vin renversé au premier plan.
Dans les deux cas, des personnages masculins à dos nu portant des récipients sortent à gauche et, à proximité, des hommes dodus et enivrés boivent encore plus de vin.
Plus tard, en 1529, Titien repeindra l’arrière-plan de Bellini pour l’unir stylistiquement à d’autres de ses tableaux accrochés dans le camerino d’Alfonso d’Este.
À l’origine, Bellini avait composé une scène peu profonde pour ses personnages, derrière laquelle se trouvait une ligne continue d’arbres éclairés par la lumière chaude du soleil (dont le seul passage subsiste à l’extrême droite). C’est Titien qui a peint le paysage de Dosso avec un arrière-plan montagneux saisissant, ne laissant que le feuillage de Dosso dans l’arbre de droite.
Composition
Au premier plan Bacchus est représenté sous les traits inhabituels d’un enfant.
Une apparence tirée du livre Les Saturnales de l’écrivain antique Macrobius, dans lequel Bacchus apparait à d’autres stades de la vie aux solstices et aux équinoxes de l’année calendaire.
L’enfant Bacchus apparait devant son professeur Silène, qui s’appuie sur son attribut, son fidèle âne.
Derrière eux, le dieu des commencements, Janus, touche de sa main son attribut : les têtes de deux serpents, tandis que Mercure est adossé contre des pierres, son caducée contre sa cuisse droite.
Pan ,dieu de la nature, joue de la flûte à l’arrière-plan, tandis que Jupiter, accompagné de son aigle, trône au centre de la composition.
La scène se déroule dans un cadre bucolique composé d’un jardin fleuri, d’un bois verdoyant et d’un lac paisible.
La composition est organisée selon un plan horizontal qui suit la ligne du banquet.
Les personnages du premier plan sont des dieux assis ou couchés sur des coussins ou des drapés colorés. Ils portent des vêtements légers ou sont nus. Ils tiennent des coupes ou des fruits dans leurs mains. Ils expriment des sentiments variés : plaisir, surprise, amusement et colère.
A droite, Priape reconnaissable à son attribut phallique disproportionné, tente de s’approcher de la nymphe Lotis qui dort. Mais il est démasqué par l’âne de Silène qui pousse un braiment strident.
Certains personnages savourent leur verre avec élégance, tandis que d’autres succombent au effets de l’excès, le regard fixe ou même évanouis.
Au second plan, le regardeur voit les autres personnages qui assistent à la scène ou s’en détournent. On reconnait Silène, le compagnon ivre de Bacchus, Hermès le messager ailé des dieux, Pan, le dieu cornu des bergers, Diane, la déesse chaste de la chasse, Apollon, le dieu solaire de la musique, Venus, la déesse de l’amour, Mars, le dieu de la guerre, Jupiter le roi des dieux, Junon, son épouse jalouse, Neptune, le dieu des mers, Vulcain, le dieu du feu, Mercure, le dieu du commerce, Bacchus, le dieu du vin, Ariane, sa compagne abandonnée.
Au dernier plan on voit le paysage qui s’étend à l’horizon. On distingue des montagnes bleutées, des nuages blancs et un ciel clair.
La palette du tableau est richement harmonieuse.
Elle mêle des tons chauds (rouge, orange, jaune) et les tons froids (bleu et vert).
Les couleurs brillantes et riches, typiques de
l’école vénitienne, illuminent cette fête où des nymphes et satyres servent du vin aux divinités.
Bellini et Titien utilisent la techniques de l’huile sur toile pour créer des effets de transparence et de luminosité qui renforcent le réalisme et la poésie de la scène.
Ils soignent également les détails des personnages, des animaux et des végétaux qui témoignent de leur observation attentive et de leur imagination créative.
Analyse
Giovanni Bellini est le maître de Titien.
Pour le XVIe qui représente le plein épanouissement de l’école vénitienne, trois figures principales dominent : Titien, Véronèse et Tintoret.
Le banquet des Dieux, thème récurrent de la mythologie, connait un essor notable en peinture durant la Renaissance, particulièrement dans le courant maniériste du Nord.
Symbole d’abondance et de paix, il est souvent associé à des récits précis.
Ainsi la première représentation picturale renaissante d’Un festin des dieux, la célèbre peinture de Giovanni Bellini, achevée par Titien, est liée aux cultes de Bacchus et de Priape, s’inspirant directement des Fastes d’ Ovide (I, 393-440).
Derrière cette apparente allégresse, se cache une complexité iconographique que les historiens tentent toujours de déchiffrer. Certains spécialistes y perçoivent une célébration du mariage, tandis que d’autres y perçoivent un calendrier mythologique.
En s’appuyant sur le récit d’Ovide et la séquence picturale de Bellini, il est possible de proposer une lecture symbolique des mois de l’année.
Mais ce serait dédié à Maia, mère de Mercure, qui apparaît en or, tandis que juin serait associé à Priape, dieu de la fertilité avec son phallus renflé et sa faux suspendue à l‘arbre au-dessus.
Bellini raconte ici une histoire qu’Ovide relate deux fois, avec des victimes différentes : une nymphe, Lotis (janvier) ou la déesse du foyer, Vesta (juin).
Dans les deux versions, l’âne de Silène braie, réveillant la dame endormie et déjouant le complot érotique de Priape qui veut profiter d’elle.
À coté de Priape se trouve la déesse des moissons, Cérès, qui porte une couronne de blé, et le dieu de la poésie, Apollon, qui, avec sa couronne de laurier, tient sa lyre, peinte comme un instrument du XVIe, une lira da braccio.
On retrouve un couple, Cybèle et Neptune, qui illustre l’idée de l’union partagée et féconde suggéré par le geste lascif de Neptune sur la cuisse de Cybèle. Leur centralité vient résoudre la dissymétrie due à l’abus de vin crée par Cérès, qui, éméché, s’appuie sur apollon et par Priape qui n’a de regard que pour Lotis (ou Vesta).
Le festin des dieux incarne les caractéristiques de l’école vénitienne :
Située à la fin du banquet, on retrouve une sensualité raffinée, une attention portée à la beauté des formes et une maîtrise de la couleur.
Bellini et Titien en s’appropriant librement les mythes antiques, offrent une vision personnelle et jubilatoire de l’Olympe, loin d’une illustration fidèle des textes, la scène représentant la fin du banquet- dénote, par ailleurs, des habituelles représentations.
En juxtaposant grâce divine et grossièreté humaine, harmonie naturelle et désordre comique, érotisme subtil et grotesque burlesque, les peintres créent une tension esthétiques qui captive le regardeur.
Bellini et Titien sont des peintres vénitiens ils considèrent la couleur comme une qualité d’exécution majeure, dont la valeur est complémentaire de celle du dessin.
Roger de Piles met en avant le « merveilleux » des couleurs de Titien.
Roger de piles présente la couleur de Titien comme une contrepartie du dessin de Raphaël.
Les peintres de Venise se révèlent paysagistes en donnant de plus en plus d’importance à la nature environnante lorsqu’ils traitent des sujets religieux ou mythologiques. Ils confèrent de cette façon à leurs œuvres une valeur qui provient autant de la qualité du paysage que de celle du sujet représenté.
C’est à Titien que l’invention du paysage en tant que genre spécifique est souvent attribuée.
Léon Rosenthal en 1899 à la Sorbonne dit que pour les Vénitiens « un tableau…est, d’abord, un tapis : le dessin n’est qu’un prétexte à faire jouer les tons. »
Les peintres vénitiens sont plus portés vers la mythologie que vers la religion.
Leurs figures sont emplies de joie de vivre.
La peinture du XVIe à Venise, peut être louée, puisqu’elle représente une sortie de l’obscurantisme religieux.
Giovanni Bellini s’adresse avant tout à la pensée, au sentiment du regardeur.
Bellini a introduit la chaleur du coloris oriental à Venise.
La force décorative des couleurs des mosaïques byzantine, participe de l’accomplissement des Vénitiens en tant que coloristes.
Bellini et Titien s’adressent aussi à leur commanditaire et à leur public cultivé.
Ils évoquent les connaissances de l’art antique et de l’art contemporain, tissant un réseau de références savantes qui enrichissent la lecture du tableau.
Les références aux maîtres italiens et flamands sont présentes – notamment le style des vêtements inspiré d’un tableau du flamand Albert Dürer, de même que le goût pour les symboles ésotériques et les jeux intellectuels.
Bellini et Titien expriment leur vision personnelle de la mythologie en représentant une scène joyeuse et légère.
Les peintres ne cherchent pas à illustrer fidèlement le récit d’Ovide, ni à transmettre un message moral ou religieux.
Ils créent une œuvre originale et plaisante.
Ils soulignent le contraste entre l’érotisme subtil et le grotesque burlesque.
Les peintres transforment cet épisode mythologique en une représentation comique. Son contenu narratif burlesque est caché derrière un lexique visuel métaphorique et codifié qui suppose un public érudit. Le violon tenu par Apollon est disposé juste au-dessus de l’érection bien visible de Priape.
La cour d’Isabelle d’Este
Marquise de Mantoue, Isabelle d’Este fut l’une des rares femmes mécènes de la Renaissance. Sûre des ses goûts, elle harcelait Léonard de Vinci pour acquérir la moindre de ses œuvres. Elle rédigea des instructions détaillées pour Mantegna et Bellini et menaça d’emprisonnement le peintre Liombeni et les frères Mola, marqueteurs, en cas de retard dans la livraison de leur travail.
Grâce à ses émissaires répartis dans toute l’Italie, elle était au fait des cotes et des ventes de pièces antiques.
Issue d’une famille d’amateurs d’art, Isabelle d’Este (1474-1539) est la fille d’Eleanora de Naples et d’Ercole d’Este, duchesse et duc de Ferrare, mécènes et humanistes dont la cour était fréquentée par l’élite intellectuelle.
Son frère, Alphonse d’Este, est également un grand collectionneur d’œuvres d’art.
Isabelle conservait ses œuvres au sein du palais de Mantoue. Dans son studiolo elle exposait des peintures des plus brillants maîtres d’Italie. Isabelle avait une idée très précise des œuvres qu’elle recherchait : une série de tableaux de format uniforme réalisés par les meilleurs peintres qui se livraient à une concurrence féroce. Ces œuvres devaient posséder le même éclairage pour correspondre à celui de la pièce et illustrer les thèmes antiques spécifiés par son poète, Paride Ceresara. Elle fournissait aux artistes des consignes précises, voire des esquisses, et intervenait durant leur travail pour obtenir un résultat conforme à ses attentes.
Dans la mesure où les Vénitiens sont perçus comme les créateurs d’une peinture dont l’intérêt est principalement situé dans ses effets visuels, celle-ci n’atteint pas la même valeur que les œuvres investies d’un message historique ou biblique.
La négation des connaissances historiques, des textes religieux ou encore du dessin et de l’Idéal, autorise à désigner comme peinture de genre la peinture d’histoire vénitienne.
Au lieu de la peinture d’histoire, les Vénitiens auraient créé des œuvres dans lesquelles le pittoresque et l’anecdote prenez le pas sur le message religieux ou moral.
Conclusion
Le festin de dieux est une œuvre emblématique de la Renaissance vénitienne qui témoigne du talent artistique et culturel de Bellini et Titien
En 1514, le duc de Ferrare a aménagé un cabinet et, sur certains compartiments, exécutés par le peintre Dosso l’histoire d’Énée, de Mars et Vénus et, dans une grotte, Vulcain à la forge avec deux ouvriers.
Le duc avait conçu une galerie consacrée aux thèmes mythologiques et antiques , qui devait accueillir six tableaux représentant des scènes de bacchanales.
Cette œuvre est une commande d’Alphonse d’Este. Inspirée des Fastes, poèmes d’Ovide décrivant les rites religieux romains et leur cadre mythologique, elle dépeint un banquet donné par Bacchus et relate l’embarras de Priape.
Le duc s’adressa à Bellini qui peint Le festin des dieux.
Le tableau fut réalisé et peint de manière très soignée.
Le tableau fut achevé par Titien en 1529. Le jeune peintre était l’élève et le successeur de Bellini, mort en 1516. Titien a été chargé par le duc de compléter la galerie mythologique avec les cinq autres tableaux. Titien a également retouché de tableau de Bellini pour l’harmoniser avec les siens. Il avait notamment modifié les couleurs, les ombres et les détails.
Le tableau resta à Ferrare jusqu’en 1598, date à laquelle il fut transféré à Modène par le duc César d’Este. Il fut ensuite vendu à plusieurs collectionneurs avant d’être acquis par Andrew Mellon en 1936. Il fut finalement donné à la National Gallery of Art de Washington en 1937.
Sources :
Article de Louise Wagon dans Patrimoine –2024 : Le festin des dieux de Bellini et Titien