Évangéliaire de Saint-Médard -de -Soissons
La fontaine de vie (fol.6v)
Début du IXe
Pigments sur vélin
Dim 36,2 x 26 cm
L’ Évangéliaire de Saint-Médard -de -Soissons est un manuscrit enluminé contenant les évangiles offert en 827 par Louis le Pieux et sa seconde épouse Judith, à l’abbaye Saint-Médard -de -Soissons. Il est rédigé en latin sur deux colonnes.
Cette donation a eu lieu à Pâques de l’année 827, lors de la translation des reliques de saint Sébastien dans cette abbaye avec d’autres biens ayant appartenu à l’empereur.
II est actuellement conservé à la bibliothèque nationale de France à Paris.
Histoire du manuscrit
La reliure précieuse originelle est décrite dans le récit de cette translation rédigée par Odilon en 930 mais, probablement suite à un vol, elle a été remplacée en 1169 par l’abbé Enguerrand. Cette seconde reliure, en argent doré et filigrané, qui protégeait encore le manuscrit en 1663, fut à son tour remplacée au XVIIIe par la reliure aux armes de l’abbaye qu’il porte encore aujourd’hui .
Du fait de leur présence dans le trésor de cette institution, ces évangiles ne figurèrent pas dans le catalogue de la bibliothèque de Saint-Médard édité par Montfaucon.
Suite aux confiscations révolutionnaires, ces évangiles ont été apportés de Soissons à la bibliothèque nationale en août 1790 avec d’autres manuscrits de même origine.
Ils ont fait partie des manuscrits exposés à la fin du XIXe.
L’illustration : La fontaine de vie
Réalisée par l’école de Charlemagne, cette illustration de la Fontaine de vie comprend un cadre architectural qui s’inspire de modèles romains présents dans les fresques de Pompéi.
Elle fut exécutée à la fin du règne de Charlemagne, alors que les influences antiques étaient totalement assimilées.
Les animaux sont particulièrement réalistes.
L’emploi du fronton triangulaire de la fontaine, renvoie aux frontons des temples romains.
Il signifie le caractère sacré de la fontaine.
Ce manuscrit témoigne de la richesse d’inspiration de leurs auteurs, comme du souci de perpétuer des conceptions artistiques de la culture grecque et romaine.
La hiérarchie savante dans l’utilisation de la pourpre et des écritures d’or et d’argent, le luxe des peintures à pleine page et des lettres ornées, la variété infinie des encadrements, témoignent du niveau des moyens qui sont dédiés à ces évangiles.
Tout cela éclate d’une splendeur farouche, d’une magnificence de tons qui rappelle les émaux et les orfèvreries, la féerie des Mille et une Nuits.
L’exécution de cet évangéliaire est de très haute qualité, enluminé dans un style où domine les influences de l’Antiquité tardive.
Jamais le luxe de la calligraphie, l’élégance du décor, l’architecture de la page ne furent portés au degré où on les voit dans cet évangéliaire.
Il y a dans ce livre quelque chose d’impérial.
Il se dégage une étrange saveur antique.
L’Empire carolingien s’inscrit dans la continuité de l’Empire romain en passant par le royaume franc des Mérovingiens.
L’Empire romain a survécu dans sa partie orientale, dans ce qu’on appelle l’Empire byzantin, ensuite il a été recréé en 800 au profit de Charlemagne et a survécu en Occident jusqu’en 1806, tandis qu’il disparaissait en Orient en 1453.
Le pouvoir de Charlemagne, roi des Francs s’étendait sur une grande partie de l’Europe : depuis la Frise jusqu’au Nord de l’Espagne, de l’Atlantique à la Thuringe.
C’est le pape qui a couronné Charlemagne Empereur en 800.
Le trait essentiel de la personnalité de Charlemagne est son profond attachement à la religion chrétienne.
Charlemagne n’est pas un penseur ni un écrivain, c’est un homme d’action.
Charlemagne s’efforce de préserver cet empire d’abord en organisant sa succession en 806, puis en couronnant lui-même empereur son seul fils survivant, Louis le Pieux, en 813, sans l’intervention du pape.
L’empire carolingien n’ignore pas Rome, mais il n’est pas considéré comme romain du seul fait qu’il se désigne comme empire.
Dans son principe même, la Renaissance carolingienne fut une réforme d’Église, elle fut assumée par l’institution ecclésiastique, aucun enseignement n’était prévu hors de l’Église, pastorale et évangélisation paraissent impossibles en l’absence d’un clergé correctement instruit.
Sur l’ensemble du territoire de l’Empire et dans les zones limitrophes, la totalité des centres épiscopaux et monastiques ont disposé d’une école à partir du IXe.
Au IXe, la culture carolingienne se plie à l‘évolution de l’Église qui élabore un modèle culturel en réduisant le domaine de l’ascétisme sans le condamner, et reconnait une légitimité fondamentale à des pratiques intellectuelles fondées sur le « remploi » de disciplines profanes héritées de l’Antiquité et rejetées avec une plus ou moins grande vigueur durant les siècles précédents.
Disposer de l’écriture et d’une langue riche, c’était également posséder un instrument susceptible d’assurer l’accumulation, la reproduction et l’extension d’un savoir fondé lui-même sur la transmission, par l’écrit, d’une tradition ancienne. Des centaines de manuscrits encore conservés sont là pour attester ce phénomène caractéristique du développement intellectuel à l’époque carolingienne.
Que cet instrument ait reposé entre les mains des clercs a permis d’assurer à l’Église une position dominante dans la société carolingienne.
Profitant du dynamisme remarquable de la monarchie carolingienne, l’Église reprend à son compte la réforme qui en fait la seule détentrice de l’écriture et seule dépositaire de l’héritage du savoir antique tant chrétien que païen.
Seule, la transformation importante de l’organisation de cette société, marquée par une évolution des structures du pouvoir (XIIe et surtout XIIIe) mit fin à ce monopole, phénomène perceptible à la fois dans l’essor de l’écriture des langues vulgaires, d’un usage tant littéraire qu’administratif, et dans l’accroissement du nombre de ceux qui avaient accès à la culture latine.
Entre la seconde moitié du VIIIe et le premier quart du IXe, la liturgie telle qu’elle se déroule dans l’Église d’Occident depuis plus d’un millénaire n’est pas dans ses parties constitutives, de caractère purement romain, mais de facture hybride romano-franque et romano-germanique.
L’art de la Renaissance carolingienne
L’art carolingien est tributaire de trois techniques qui ont imposé à tous les autres arts leurs procédés de composition et leur style ornemental.
Ce sont l’orfèvrerie cloisonnée, les étoffes historiées, la calligraphie ou l’enluminure des manuscrits.
Sur le plan artistique la peinture byzantine a tenu pendant de longs siècles une place d’art-pilote dans la peinture du monde chrétien.
Les mosaïques, les portes de bronze, les techniques de la fresque sont de provenance byzantine. Les icônes, apportées de Grèce puis imitées à Venise et ailleurs, ont servi de modèles. L’influence byzantine se fait sentir à la cour des carolingiens. L’influence déterminante des byzantins vint se fondre très heureusement avec la vigoureuse école irlando-anglo-saxonne.
Quand Charlemagne succède à son père (768) l’élan est donc déjà donné.
Les principales sources du savoir sont connues ; Byzance, Italie, Irlande et Angleterre. Les grands monastères sont déjà très actifs, les contemporains de Charlemagne ont bénéficié des multiples expériences des époques précédentes.
La période carolingienne marque une étape majeure dans l’histoire des idées et de leur diffusion. Grâce au rôle joué par la cour et par les écoles, une grande partie des lettrés partage une culture commune, qui réussit à fusionner des influences très hétéroclites. Les apports orientaux, anglo-saxons, ibériques et italiens se greffent sur un socle franc et germanique.
C’est le premier grand épanouissement de la culture européenne.
Les prémices de la Renaissance carolingienne sont anciens, et sur les ruines de la culture romaine s’était déjà édifiée depuis longtemps une nouvelle culture d’inspiration chrétienne.
De Charlemagne à Charles-le Chauve, les empereurs carolingiens ont su donner une impulsion décisive et une véritable cohérence, à ces premières manifestations d’une culture nouvelle, en soutenant avec efficacité et enthousiasme les entreprises intellectuelles et artistiques de leur temps.
L’art carolingien découle de la Renaissance carolingienne, de 780 à 900, une période de renouveau culturel inspiré par Charlemagne, roi des Francs (768 à 814, empereur d’Occident de 800 à 814).
L’empire romain lui servait de modèle.
Dans son Palais d’Aix-la -Chapelle, savants et artistes insufflaient des idées nouvelles en puisant dans l’art chrétien et dans la littérature de la fin de l’Antiquité.
L’action personnelle de Charlemagne eut plus d’effet sur le retour à la culture des belles lettres et par là on apprécia davantage l’art classique. Il fit copier un grand nombre d’ouvrages aussi bien littéraires que liturgiques.
Un certain nombre d’œuvres d’auteurs latins ne nous sont connues que par les copies du temps de Charlemagne.
Les miniaturises travaillent, ils recherchent plus de mesure et d’harmonie, la figure humaine est plus fréquemment reproduite et ramenée à des attitudes normales. Ils cherchent à exprimer la vie. La faune elle-même se transforme et à côté des animaux hiératiques empruntés aux vieux thèmes persans, apparaissent des animaux aux formes plus réelles. Les sources auxquelles puisent les miniaturistes sont l’art byzantin, solennel et majestueux, mais aussi l’art des monastères de Syrie, de Mésopotamie, de Cappadoce et d’Égypte, art plus libre, plus naturel, plus humain où des scènes évangéliques et les vies des saints sont racontées de façon anecdotique.
Ainsi l’art devient réaliste et historique.
Les artistes carolingiens entretiennent et restaurent d’autres arts obtenus en travaillant le bronze, l’ivoire, les métaux précieux et le stuc. Dans ces matières ils réussissent à réaliser des figures en relief.
Les artistes carolingiens s’exprimaient à travers une gamme d’œuvres de plus en plus large : manuscrits, ivoires, fresques, travail du métal, sans oublier l’architecture. Seule la sculpture sur pierre n’était guère développée.
En 814 à la mort de Charlemagne, l’Empire carolingien couvrait la majeure partie de l’Europe occidentale jusqu’à l’Elbe, offrant ainsi des ressources matérielles et culturelles sans précédent depuis la période romaine.
Les lettrés étant rares, les monastères assurèrent la sauvegarde et la transcription des textes anciens. Le décor des manuscrits de la fin de l’Antiquité était reproduit grâce à des enluminures aux couleurs vives.
L’objectif n’était pas uniquement la copie des textes sacrés. Certains modèles iconographiques furent assez innovants.
Le monastère de Marmoutier, à Tours, joua un rôle clé dans la Renaissance carolingienne.
Alcuin de York, qui y fut abbé, fut l’un des plus grands savants de l’époque.
Les enlumineurs de Tours étaient des spécialistes de la bible.
Le monastère bénédictin de Reims produisait des psautiers et l’école palatine d’Aix-la-Chapelle des œuvres variées, dont les évangéliaires, comme celui de Saint-Médard de Soissons.
Des ivoires d’une qualité exceptionnelle ornaient certains diptyques consulaires (peintures jumelées à caractère religieux distribuées par les consuls romains à leurs partisans) ou d’autres modèles de la fin de l’Antiquité.
L’empire carolingien avait le monopole de l’ivoire d’éléphant , et les royaumes voisins devaient se contenter d’ivoire provenant de cétacés (en général du morse).
La tradition carolingienne fut perpétuée dans l’empire sous les règnes de Louis le Pieux (814-840), fils de Charlemagne, puis Charles- le Chauve (875-877), son petit fils.
En tant qu’Empereur d’Occident, Charles favorisa, dans son école palatine dont l’emplacement exact fait débat, un style plus dur, plus spectaculaire.
Après sa mort, la production de manuscrits connu un fort déclin, car elle était tributaire du mécénat du roi.
Néanmoins la cour carolingienne s’ouvrait aux arts avec des commandes accrues de mécènes laïques et non plus exclusivement du clergé.
Pendant la deuxième moitié du Xe les architectes s’efforcent de réaliser le problème du voûtement des églises et de remplacer les plafonds de charpente par des voûtes de pierre, ainsi insensiblement s’élabore, dès la fin de l’époque carolingienne, le programme de l’architecture romane.
Conclusion
Cette brillante Renaissance artistique commence à donner des signes de déclin dès la fin du IXe, minée par les dissensions internes de l’Empire puis par les invasions normandes qui font brutalement disparaître de nombreux foyers de création.
Au siècle suivant, privée du soutien royal, l’activité artistique connaît un net ralentissement, se poursuivant de manière sporadique dans quelques foyers situés aux lisières de l’Empire, ainsi qu’au sein de quelques monastères.
En mourant, Charlemagne laissa à son successeur Louis le Pieux, un empire troublé, d’où l’on ne parvenait pas à éliminer le désordre et les abus.
L’empire était devenu une sorte de machinerie trop vaste, trop compliquée, qui avait épuisé ses forces dans une extension démesurée.
À la fin du IXe, l’empire de Charlemagne n’était plus qu’une écorce vide. Il était incapable de résister à une grande secousse.
Charlemagne avait une très haute idée du pouvoir royal, mais c’est toujours la religion chrétienne qui donna à son pouvoir impérial sa consistance essentielle.
La théocratie pontificale du Moyen-Âge en germe dans les décombres de la Rome antique , prit son essor décisif sous Charlemagne.
Sources :
La « Renaissance carolingienne » BnF
Article de Paul Deschamps -1930 : L’art mérovingien et carolingien -chez Persée
Article de Michel Sot -2007 : Références et modèles romains dans l’Europe carolingienne
Article d’Anita Guerreau-Jalabert-1981 : La Renaissance carolingienne: modèles culturels, usages linguistiques et structures sociales- chez Persée
Article D’Erna Patzelt -1967 : L’essor carolingien – chez Persée