Portrait de Ginevra de Benci – 1474-76 Léonard de Vinci

 

Léonard de Vinci (1452-1519)

 

Portrait de Ginevra de Benci

1474-76
Huile sur bois et détrempe sur du bois de peuplier
Dim 38,8 x 36,7 cm

Conservé à Washington à la National Gallery of Art

 

Le peintre

Léonard de Vinci est l’archétype de l’homme de la Renaissance. Il est peintre, sculpteur, dessinateur, architecte, ingénieur, inventeur et botaniste.

C’est l’artiste le plus imaginatif et le plus visionnaire de son temps.

Formé dans l’atelier du sculpteur et peintre Andrea del Verrocchio, L.de Vinci apprend auprès de son maître à observer les objets sous plusieurs angles en tant que forme tridimensionnelle et à esquisser des compositions.

En 1478, L.de Vinci quitte l’atelier et travaille à Florence avant d’être employé par le Duc de Milan, Ludovico Sforza en 1482. Il passera dix-sept ans à la cour des Sforza. Il rédige des traités sur l’anatomie et les machines, les phénomènes liés à la lumière, l’ombre et la perspective, le mouvement de l’eau, les chevaux et le vol des oiseaux. Il décrit nombre de ses idées dans ses dessins.

Au cœur du grand débat de la Renaissance, L.de Vinci considère la peinture comme le meilleur moyen de représenter la nature, avant la sculpture.
Ses descriptions des effets d’optique produits par l’atmosphère sont d’une précision remarquable.

 

Le tableau

Le Portrait de Ginevra de Benci date de ses années d’apprentissage. L.de Vinci fait preuve d’une étonnante maîtrise de la peinture à l’huile et de la technique du sfumato (absence de lignes et de contours produisant un effet vaporeux), mêlant des couleurs subtilement ombrées. Il utilisera cette méthode également pour la Joconde.

Ce portrait fut probablement commandé en l’honneur des fiançailles de Ginevra, fille d’un riche banquier florentin. L. de Vinci place son modèle en plein air, ce qui était nouveau à l’époque. Les femmes étaient généralement représentées dans des décors intérieurs.

Le panneau d’origine qui comprenait les bras et les mains a été coupé. Il manque 1/3 du tableau – attesté par des dessins préparatoires de Léonard.

 

Composition

La principale caractéristique du tableau est la répartition très serrée de l’espace pictural.

Ginevra est représentée de trois-quarts le visage presque de face.
Cette position produit une forte présence et dégage une dynamique.

La bouche est fermée. Les yeux fixent un point devant eux, elle ne regarde pas le spectateur, son expression est réservée.
Son visage a un teint de porcelaine, ses traits sont fins.
Elle porte une coiffe en velours noir dont les rubans retombent sur ses épaules en soulignant la coiffure.  Des boucles de cheveux, auxquelles Léonard apporte un grand soin, s’échappent de la coiffe.
Elle est vêtue sobrement et avec raffinement.
Sa tenue témoigne du rang social de la jeune femme.

Comme la plupart des portraits de la Renaissance, elle est issue d’une famille riche et éduquée.

Ginevra est assise devant un buisson de genièvre qui forme une couronne autour de sa tête.
Le feuillage chaud et foncé du genévrier est peint avec une grande précision.

Le premier plan décline des tons ocre, bruns et noirs.
A l’arrière-plan, à droite, Léonard a choisi des couleurs froides avec une dominante de bleus traités en dégradés conformément aux principes de la perspective atmosphérique.
(Technique picturale qui consiste à marquer en profondeur des plans successifs en leur donnant progressivement la couleur de l’atmosphère, du ciel).
Ce principe est utilisé par Léonard pour accentuer l’impression de profondeur et creuser l’espace représenté dans le tableau.

Le tableau frappe par la richesse de son chromatisme, il s’en dégage une atmosphère mélodieuse.

C’est un magistral « clair- obscur » où le peintre s’est davantage attardé sur l’obscur que dans ses portraits suivants.

La lumière joue un rôle important.
Elle arrive dans le tableau par le haut gauche.
Filtrée par le buisson de genévrier, elle éclaire la transparence du voile qui couvre la gorge de Ginevra et produit les reflets dans sa chevelure bouclée.
Derrière le buisson, la lumière se répand sur l’arrière-plan à droite, éclairant le tremblement des eaux où se reflète le feuillage des arbres.

Les ombres portées discrètes dessinent le visage.
Le peintre utilise une lumière « voilée »
dont le principe est de diffuser davantage de lumière en atténuant l’ombre. Ainsi la frontière entre la matière et la lumière est gommée, les zones sombres du visage sont illuminées.
Ce sont les soupçons d’ombre qui façonnent la moue du visage.

 

Analyse

Cette œuvre précoce de Léonard est un portrait conforme à la tradition, statique et réservé, impressionnant par sa monumentalité et la précision des détails.

On reconnait deux influences, celle de son maître A. del Verrocchio et celle des peintres flamands.

Léonard a repris la pose de la sculpture La dame au bouquet de Verrocchio.
La parenté stylistique se retrouve dans la sévérité du modèle de Verrocchio reprise dans l’impassibilité du visage de Ginevra.
Partant de ce principe cela nous permet de reconstituer la partie manquante du tableau. Windsor conserve un dessin de Léonard représentant des mains croisées tenant soit un bouquet de fleurs soit une bague de fiançailles.

La précision des détails avec le modelé du visage, les effets de lumières sur les boucles des cheveux, le fini et l’éclat du paysage sont empruntés à la peinture flamande.

La présence du genévrier a été interprétée comme un jeu sur le prénom de la jeune femme. C’est aussi le symbole de la vertu féminine.

Avec ce portrait Léonard fait une démonstration de son sens de la mise en scène.

Le peintre alterne les zones très claires et très sombres, tout le paysage, par ses moindres détails participe activement au portrait dont il nuance l’expression.

Le paysage met en valeur le visage.
Le feuillage sombre ne parait être là que pour faire ressortir l’intensité lumineuse qui éclaire le portrait.

Ginevra développe autour d’elle sa propre atmosphère pleine de sous- entendus et cette projection d’elle-même laisse deviner ce que disent les lèvres fermées, le regard mélancolique. Léonard prête à la jeune femme une expression d’impassibilité troublante. Elle boude.

La beauté physique s’efface au profit d’une beauté intérieure, que Léonard met en valeur en insérant le portrait dans l’espace environnant.

La jeune-femme et le paysage sont liés au point de se fondre l’un dans l’autre grâce au jeu des ombres.

Serge Bramly : « Léonard invente une sorte de discontinuité de la matière… paysage et figure se rejoignent dans leurs parties les plus obscures en allant jusqu’au noir, qui est un noir unique ».
« Bientôt il fera pour les lumières ce qu’il ne fait ici que pour les ombres ».

La rigoureuse organisation de l’espace, l’aptitude à rendre l’atmosphère, l’aspect sculptural, la sensibilité intellectuelle, sont les attraits principaux de l’art de Léonard dans ce portrait.

C’est une œuvre précoce de Léonard et son premier portrait dont on connait le modèle -Ginevra Benci florentine de grande famille et son probable commanditaire, Bernardo Bembo (1433-1519).

Le tableau a été daté en 1474, l’année des noces de Ginevra, mais le rôle de Bernardo Bembo (ambassadeur de Venise à Florence, lié à Ginevra par un amour platonique) dans la commande du portrait pourrait décaler la date à 1475-76.

Au revers du tableau,

Sur un fond imitant le marbre, du porphyre, on retrouve, au centre, un rameau de genévrier , entouré d’une branche de palmier et d’une branche de laurier reliés entre eux par un phylactère portant l’inscription « la beauté est la parure de la vertu »
Il s’agit d’une devise qui peut exalter les qualités morales de la jeune femme. Le porphyre est un hommage à la fidélité. Le laurier et le palmier renvoient aux vertus intellectuelles et morales.

Les jeunes femmes de l’époque devaient se comporter avec dignité et modestie. La vertu était précieuse et gardée.

Avec ce portrait Léonard rompt avec la tradition florentine des portraits féminins représentés de profil et figés -des portraits de mariage.

Ginevra est représentée le buste de ¾ et le visage de face, attitude qui était réservée aux hommes.

C’est avec cette innovation que Léonard apporte à ce portrait et les suivants, cette « expression de l’âme ».

 

Conclusion

Je laisse la conclusion à Vasari :

« Léonard de Vinci qui, en plus de la vivacité et de la hardiesse de sa composition, en plus de son aptitude à imiter, de la manière la plus subtile, tous les détails infimes de la nature…donna du mouvement et du souffle à ses figures grâce à de bons principes, à une meilleure ordonnance, une juste mesure, une composition parfaite et une grâce divine ».