Nu bleu avec épée -1979-80 Julian Schnabel

Julian Schnabel (1951-

 

Blue Nude with Sword (Nu bleu avec épée)

1979-80

Céramique, mastic, huile et cire sur bois

Dim 244 x 275 cm

Bichofberger Collection, Ma?nnedorf-Zurich, Suisse

 

Le peintre

Julian Schnabel est né à Brooklyn.
En 1965, la famille de Julian Schnabel quitte New-York. Julian a 13 ans, il passe son adolescence dans la petite ville de Brownsville au Texas où il découvre l’art mexicain et l’iconographie catholique dans l’école des frères maristes.
Il fait des études à l’université de Houston -où il obtient le baccalauréat en beaux-arts, complétées d’un programme du Whitney Museum.
En 1973, il retourne à New-York.
Il se lance spontanément dans la peinture à New-York durant un moment dévoué à la performance et à l’art conceptuel.
À la fin des années 1970, il participe à l’Independant Study Progam du Whitney Museum of American Art de New-York, ce qui lui apportera la popularité.
En 1978, il voyage en Europe. À Barcelone, il est particulièrement touché par l’architecture d’Antoni Gaudi.
En 1979, en février, sa première exposition personnelle de peintures a lieu à la Mary Boone Gallery.
Le peintre devient une figure de l’art contemporain.
L’artiste côtoie le glamour de Hollywood et les plasticiens.
Son style pictural alliant violence et émotion, compte des séries de toiles abstraites qui déroutent et fascinent.
Peter Brant, magnat de la presse est un collectionneur inconditionnel des œuvres de Schnabel.
En 1981, Schnabel a déjà exposé à la Tate Gallery de Londres, au MoCA de los Angeles et au Stedelijk Museum d’Amsterdam.
En 1982, le critique Harald Szeemann l’invite à participer à la Biennale de Venise. Puis Jean-Christophe Ammann le convie à Bâle.
En 1996, Il signe son premier long métrage : Basquiat. Le film est présenté dans la sélection officielle du festival de Venise. Puis il réalisa Avant la nuit (base sur la vie du romancier cubain exilé Reinaldo Arenas), d’autres films suivront, tous primés. Le scaphandre et le papillon –2007 remporte un vrai succès public et le prix de la mise en scène au Festival de Cannes.

Schnabel a bâti son « Palazzo Chupi » au cœur de Greenwich Village. Il abrite son atelier et son appartement à l’anachronisme baroque et vénitien.

Son style réalisé sur de grandes toiles le place aux côtés de Jean-Michel Basquiat, Éric Fischl et David Salle.
Schnabel est l’un des membres fondateurs du mouvement néo-expressionniste américain dont il est le plus célèbre.

 

Le tableau

Ce tableau appartient à la série des Plates Paintings, constituée d’assemblages d’assiettes brisées.

Schnabel a débuté cette série en 1978, à un moment où il réfléchit à la façon de rompre la surface.

Schnabel s’est inspiré du parc Güell de Gaudi à Barcelone.

Il confie : « …dernièrement je suis allée sur la tombe de Vincent van Gogh, à Auvers sur Oise ; il y avait beaucoup de fleurs aux alentours et j’ai relu ce corpus différemment. En m’approchant, ces éclats me sont apparus plus naturalistes, comme des pétales ».

Schnabel travaille vite. Il se fit à son instinct, quasi tellurique.

À propos de ses Plates Paintings il dit :  « Vous avez-vu comme elles ressemblent à des feuilles ? Elles recréent une partie de la nature… »

 

Composition

Schnabel représente un athlète vu de dos en équilibre sur des colonnes doriques, arc-bouté, tendant un arc, sur un fond bleu recouvert de bris d’assiettes.

Sa composition tient sur un seul plan.
À droite de la composition une fontaine composée d’une colonne dorique supportant une vasque d’eau, tempère la violence du tableau.
À gauche de la composition un poisson rouge (échappé de la vasque) recentre le personnage juché sur des colonnes doriques dans l’axe de la composition.
Plus je regarde, plus je vois un poisson, ses écailles, son œil et son sourire.
Mais cela est mon interprétation, peut-être voyez-vous une pivoine ou un morceau de viande !
C’est une tache rouge, une couleur primaire, un motif sur la faïence cassée dont la couleur contraste avec le bleu très bleu qui couvre la toile. Cette tache rouge apporte de l’équilibre à la composition.

Elle donne aussi une note d’énergie.

L’athlète, le guerrier, de couleur bleu a les genoux fléchis, les pieds calés sur des colonnes doriques qui ont une fonction d’échasses. Son dos puissant, ses fesses musclées, ses mollets d’airain sont maintenus en équilibre par la position des bras. Le bras gauche du personnage est tendu, celui de droite dessine une courbe au-dessus de sa tête prolongée par l’arc. L’ensemble est gracieux et puissant.

La surface du tableau est couverte de fragments de faïence cassée.
Schnabel emploie la faïence cassée pour obtenir une surface à la texture riche.
Cette invention très décorative rend le dessin difficile et justifie l’intérêt du peintre pour sa composition.

C’est le mélange de violence et de douceur qui captive le regardeur.

La douceur est évoquée avec l’avalanche de morceaux de faïence cassée comme autant de pétales de fleurs.
Tout près de la toile, le regardeur entend les cliquettements des bouts de faïence qui chutent, le glouglou de la fontaine et le rire du poisson.
La violence est notre ressenti du guerrier dans une position d’attaque, tous les muscles bandés, en équilibre sur des colonnes, prêt à bondir, on entend son cri.

C’est à la fois une composition statique et mouvementée.

 

Analyse

 I-  Schnabel emprunte souvent son imagerie à diverses sources, de la pop culture aux beaux-arts, la réagençant de façon incongrue mais personnelle et expressive.

Ses toiles traitent à la fois de l’abstraction et de la figuration.

Schnabel : « J’étais différent de ce que l’on pouvait voir ailleurs. Donc certains ont pu m’assimiler à un goût du passé, même si je ne le faisais pas dans une forme de réaction, notamment à l’art minimal. Ensuite, des critiques ont posé des termes, à savoir si nous étions néo-expressionnistes ou post-expressionnistes…et cela a permis de nous regrouper, notamment avec Georg Baselitz. »

La peinture néo-expressionniste prend l’essentiel de son sens dans le contexte culturel de l’artiste individuel. Le néo-expressionnisme allemand influença une nouvelle génération d’artistes américains en quête d’une alternative au Pop Art, à l’art conceptuel et au minimalisme impersonnels dominants à New-York.
Le travail des artistes américains est souvent associé à l’ambiance consumériste des États-Unis des années 1960.

Julian Schnabel a peint sur tout, du velours, de la toile de jute, du linoléum et sur des assiettes cassées. Il combine ses méthodes d’application à l’aide de tuyaux, de bombes aérosol, des doigts et des tissus imbibés de peinture avec l’utilisation de matériaux non conventionnels mais ayant une histoire.

Il l’exprime : « je suis vraiment intéressé par l’idée de la façon dont une chose est imprimée, que ce soit par le temps ou par une tache ou par l’impression proprement dite -comment on applique une image sur une surface ».

Cette profusion désordonnée de styles et de sources, caractérise la peinture de Schnabel.

« Mes peintures prennent de la place, elles expriment un point de vue, les gens réagiront toujours à cela…certaines personnes sont inspirées, d’autres sont offensées. Mais, c’est bien. J’aime ça. » déclare-t-il à propos de son travail

Schnabel : « Comment peindre, Francis Picabia trouvait toujours quelque chose d’intéressant dans une image et le développait, tandis que certains artistes nourrissent une approche plus monomaniaque d’un sujet donné.
Pour moi c’est comme le cinéma, où l’on peut partir d’un sujet roman merveilleux et en faire un film terrible, ou l’inverse. »

Schnabel ne se place pas dans une relecture de l’histoire de l’art, il travaille sur la notion du temps.

Le temps constitue un thème récurrent dans sa carrière.

Julian Schnabel : « Considérant la vie comme un palimpseste, je réagis à cette situation, dans la continuité ou l’inverse ».

Julian Schnabel, Surface Mag, Nov. 2013 : « Peindre, créer des objets, faire des choses qui vivent – ça vous entraîne dans le présent éternel de ces choses-là. Si vous regardez Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica, c’est une découverte. Peu importe que le film ait été réalisé après la Seconde Guerre mondiale. Si vous observez une toile du Caravage, ça aussi c’est une découverte. Et si c’est la deuxième fois que vous la voyez cette toile, eh bien ça reste une découverte. »

Quand Schnabel réemploie des papiers peints, dont il fond les imprimés, c’est également en tant que matériau pur ou matière première. Les œuvres de Schnabel ne sont pas narratives, « parfois muettes » dit-il.

Tandis que ses films à l’inverse, illustrent des histoires très fortes, tel Le scaphandre et le papillon tiré de l’ouvrage de Dominique Baudy.

Si l’histoire de la peinture rayonne dans ses œuvres où il invite, tour à tour, Le Caravage, Vélasquez, Goya, Franz Hals, Cezanne, Matisse, Manet, Picasso…  Schnabel est aussi un collectionneur compulsif.

« J’ai été l’un des premiers amis de Francesco Clemente à New-York, puis j’ai rencontré Blinky Palermo, dont je possède la toute dernière peinture. Sigmar Polke venait également me rendre visite à l’atelier à la fin des années 1970, et m’a présenté Imi Knoebel. Pour moi l’art n’est pas nécessairement autoréférencé et ne vient pas de l’art lui-même, mais des moments que nous vivons ».

Julian Schnabel connut un succès fulgurant grâce au savoir-faire de la galerie Mary Boone qui organisa sa première exposition en 1979. Cette exposition eut un vif succès.


II-   Julian Schnabel fit sensation lorsque ses premières pièces de céramique cassée furent montrées à New-York.

Fixés à la toile, les morceaux aux bords déchiquetés sont aussi expressifs que les coups de pinceau du peintre et, leur densité et leur poids donnent au tableau de grand format, une formidable présence.

Sa composition  est liée au ressenti de la fluidité qui accompagne ses recherches sur les surfaces et les matières.

Dans ce tableau, Schnabel cite de façon rudimentaire l’architecture classique et les découpages d’Henri Matisse.

Cette appropriation distingue son travail de l’expressionnisme du début du XXe et réapparaît souvent dans l’art postmoderne.

Ce tableau respire une liberté hypnotique, une sincérité profonde, un élan. Schnabel recherche « le vertige de la liberté ».
Son tableau témoigne de quelque chose de très sensuel.

La réalisation de ce tableau qui est une « peinture sur matériaux trouvés » est guidée par son goût de l’aléatoire et de l’improbable. Une sorte d’insolence.
La faïence, matériau solide devient légère et mobile comme un pétale de fleur.

« Je choisis à partir de quels matériaux je vais travailler et comment je commence, ensuite tout est inconnu – pas de répétition au programme », racontait Julian Schnabel dans le magazine Vogue en 2014.

 

Conclusion

Extrait de l’article : Orsay vu par Julian Schnabel – 2018
« En ayant recours à des matériaux et des images très divers, Julian Schnabel a créé des œuvres qui semblent contredire la trajectoire du modernisme au XXe, et réaffirmer que des manières différentes de peindre étaient possibles, au-delà de la polarité entre Duchamp et Picasso. »

« Ses œuvres ont été exposées dans de nombreux musées, et sont présentes dans les collections majeures, telles le Centre Pompidou à Paris, Tate à Londres, Museum of Modern Art, Whitney Museum of American Art, Métropolitan Museum of Art à New-York. »

Parfois considéré comme un artiste en avance ou en retard sur son temps, en marge ou en décalage, Julian Schnabel est définitivement un peintre de son temps, une figure à part dans l’art contemporain.
Sa peinture explose.
Son regard diffère de celui du regardeur, Schnabel a un regard d’avance.
Il peint ce qu’il a dans la tête.

Jean-Claude Carrière à propos d’un portrait de lui, réalisé par Schnabel :
« Il y a le modèle, il y a le peintre, et il y a celui qui regarde. On est trois toujours. C’est une expérience tout à fait fascinante. J’avais posé pour d’autres peintres, mais il y avait là comme une impulsion autre. »

Dans les années 1970, 1980, Schnabel est devenu un peintre très connu puis, dans les années 1990 Schnabel passe au cinéma. Après la gloire des années 1980, tout à coup il est devenu cinéaste.

Il a voulu traiter le mouvement en soi, le cinéma c’est le mouvement.

Jean-Claude Carrière : « Un bon peintre comme Julian, qui est aussi un excellent cinéaste, est toujours à l’affût, non seulement du réel – c’est tout à fait normal –, mais de ce qui est au-delà,  du réel. Il a bien un œil d’avance sur nous. Il voit dans la réalité qui nous entoure des choses que nous ne voyons pas encore, que lui distingue vaguement, et qui demain nous serons familières. »

Les citations de Jean-Claude Carrière  sont extraites d’un interview du 4 juillet 2018 réalisé à l’occasion de l’exposition Orsay par Schnabel du musée D’Orsay