Le Parnasse – 1497 Andrea Mantegna

 

 

Andrea Mantegna (1431-1506)

 

Le Parnasse

1497

Tempera sur toile

Dim 158 x 191 cm

Conservé au musée du Louvre, à Paris

 

Le peintre

À l’âge de onze ans Andrea intègre l’école du peintre Francesco Squarcione, à Padoue. Ce maître lui donne le goût de l’art antique. Mantegna se forme à l’observation attentive et au dessin des marbres et se forge une conception sculpturale du corps humain.
L’atmosphère humaniste de Padoue, nourrie par son université de renommée internationale, et la profusion des vestiges romains dans le nord de l’Italie enrichirent ses études.
Il apprend les règles de la perspective qui est un élément majeur de ses tableaux.
Il admire le travail du sculpteur Donatello qui séjourne dix ans à Padoue, et profite du passage à Padoue de grands peintres florentins comme Paolo Uccello et Filippo Lippi.
Une fois sa réputation établie grâce à de nombreuses commandes reçues dès l’âge de dix-huit ans, il accepta en 1457, le poste de peintre à la cour de Louis III Gonzague, deuxième marquis de Mantoue.
Il demeura pendant un demi-siècle à Mantoue -sa patrie d’élection, où il réalisa fresques et retables et créa des reconstitutions historiques et des allégories.
Son œuvre la plus célèbre de cette époque est La chambre des époux-1466-74, dans le palais ducal de Mantoue.

 

Le tableau

Le thème du tableau puise sa source dans le poème épique Les Métamorphoses d’Ovide. Livre 4, V.167-189.

Dans la mythologie grecque, il existe une montagne située au centre de la Grèce. Cet endroit paradisiaque est le domaine des Muses et porte le nom de Mont Parnasse.

La toile représente les neuf muses dansant au son de la lyre d’Apollon tandis que Vénus et Mars, en surplomb, se tiennent devant une banquette sur laquelle ils viennent de s’accoupler.
À gauche du tableau, Vulcain, le mari trompé, émerge d’une grotte.
À droite du tableau, Pégase et Mars, surveillent.

Isabelle d’Este avait commandé deux tableaux à Mantegna pour orner son studiolo au Castello di San Giorgio.
Le Parnasse est la première œuvre commandée pour le studiolo.

Cinq ans après, Mantegna exécuta son pendant : La Minerve

Les deux tableaux furent achetés par le cardinal Richelieu. Saisis à la Révolution, ils quittèrent le château de Richelieu pour entrer au musée du Louvre.

 


Composition

C’est une composition harmonieuse et savamment équilibrée.

Elle est originale dans la mise en scène des figures et des rochers.

La perspective est audacieuse.
Les lignes de force conduites par la gestuelle des muses guident notre regard vers le couple triomphant.

La toile cadrée par des compositions minérales est l’illustration avec une profusion de détail du mont Parnasse, parcouru par des divinités.

Au premier plan
Un sol en pierre, des rochers épars et une source émergeant de la roche.
On repère le porc-épic et le lapin, les animaux symboliques qui accompagnent Mercure.

Au second plan
Les neuf muses dansent, bornées à gauche du tableau par Apollon jouant de la lyre assis et à droite du tableau, par un Pégase piaffant sur lequel s’appuie Mercure.
Mercure est là pour protéger le couple adultère.
Les neuf muses se tenant par la main dansent en arborant des robes aux couleurs chatoyantes, leurs gestes sont infiniment gracieux.
Leur ronde symbolise l’harmonie universelle.
Les muses occupent le centre de la composition souligné par un tertre élevé formant une arcade.

Sur ce tertre, Mars et Vénus se tiennent debout devant une banquette recouverte d’un tissu aux couleurs vives, bleu-blanc-rouge.
Ces couleurs sont celles des maisons d’Este et de Gonzague.
La banquette figure un lit symbolique. La baquette est adossée à une haie de citronnier au feuillage sombre, chargée de fruits -autre symbole.

Mars et Vénus dominent l’espace du premier plan.
Vénus est nue, tenant de sa main gauche un ruban de tissu jaune qui s’enroule joliment autour de sa jambe et de sa main droite, la flèche d’or de Cupidon sur laquelle elle prend appuie, amoureusement penchée dans une attitude de contrapposto vers Mars.
Mars porte sa cuirasse de guerrier et son casque.
Ainsi vêtu, il fait ressortir la nudité de Vénus.
Dans sa main droite il tient une longue lance. Il a passé son bras gauche autour du bras de Vénus, il est penché délicatement vers elle.

Cette mise en scène, la position dominante de Vénus et Mars, les couleurs, les attitudes -qui ne laissent aucun doute sur ce qui vient de se passer, met le couple dans la lumière.

Au troisième plan
Immédiatement sur la droite, derrière Pégase, se dresse la montagne de l’Hélicon (résidence des muses) d’où coule en cascades l’Hippocrène (source des muses).
Puis, une plaine et des montagnes -représentées en perspective atmosphérique, constitue le fond du tableau et la Terre où demeurent les mortels avec leurs villes et leurs maisons.

C’est une composition narrative.
Mantegna agence les épisodes en donnant force détails.
À droite du tableau Mercure est torse-nu, il porte son casque et ses jambières ailés, son intimité est enroulée dans une étoffe rouge, sa main droite tient un caducée qui prend appuie sur Pégase.
Le cheval ailé est constellé de rubis. Pégase frappe le sol de son sabot pour faire jaillir la source des muses, la source Hippocrène.
À gauche du tableau, en bordure de toile, dans le prolongement du tertre et, opposé à la montagne de l’hélicon -qui borde la toile à droite, s’élève un imposant rocher, percé d’une grotte aménagée en forge. Vulcain sur le seuil de la grotte, fait des gestes furieux à l’attention de Mars qui a séduit sa femme.
Au pied de Vénus et de Mars, Cupidon tient son arc dans sa main gauche et de sa main droite souffle dans une sarbacane qu’il pointe vers Vulcain pour le taquiner et l’exaspérer.
Derrière Vulcain, accrochée au rocher, une grappe de raisin symbolise l’intempérance des ivrognes.

La composition est colorée, vivante, abondant de détails et d’inventions.

L’exécution soigneuse révèle les formes précises d’une pléiade de détails réalistes et de symboles.

Les muses avec leurs gestes gracieux, ont des postures qui évoquent le style qu’on qualifiera plus tard de maniérisme.

La lumière entre par la gauche. C’est une lumière douce. Happée par le centre du tableau, elle rebondit sur les robes et la peau des muses et éclabousse le corps de Vénus.

La palette a des tons clairs qui harmonisent les couleurs.

 

Analyse

Mantegna s’en donne à cœur joie avec ce Parnasse qu’il a imaginé coloré, vivant, élégant, gaie et moqueur.
Le couple adultère trône !
Les neuf muses font une ronde !
Vulcain fulmine !
Apollon met l’ambiance avec sa lyre !
Mercure et Pégase assurent !
Cupidon se moque !

I – Le tableau célèbre sa commanditaire, Isabelle d’Este.

A / Le thème du tableau sert la volonté de pouvoir d’Isabelle, concrétisé par le sujet mythologique allégorique.

Isabelle d’Este appartient à la plus haute aristocratie italienne.
Elle éblouie Mantoue par son raffinement et marque la vie culturelle de son époque, qu’il s’agisse de littérature, de peinture, de musique ou de mode.

Marquise de Mantoue, Isabelle d’Este fut l’une des rares femmes mécènes de la Renaissance.

B/ Isabelle prenait très à cœur son rôle d’inspiratrice en poésie, musique et peinture.

Elle aimait être considérée comme la dixième muse.

Sûre de ses goûts, elle rédigea des instructions détaillées pour Mantegna et, conjointement avec le peintre elle réécrit le mythe.
Isabelle d’Este a voulu Vénus en bienfaitrice des arts.

Ce tableau représente le triomphe de Vénus, d’Apollon et des Muses.
Vénus, la déesse de l’amour pur et des plaisirs intellectuels resplendie.
Cette vénus céleste et sacrée apparait dans la pureté de sa nudité.
Elle s’élève en protectrice au-dessus des muses.

C/ Le Parnasse participe à la construction de l’image publique et politique d’Isabelle.

Image publique :
La beauté de Vénus sert le prestige de son ascendance.
Les contemporains ont vu dans la figure de Vénus celle d’Isabelle d’Este, reine d’un monde harmonieux, gouverné par l’amour et la musique.

Vénus et Mars font allusion au couple formé par la commanditaire de la toile, Isabelle d’Este et à son époux, François II Gonzague (descendant de Louis III Gonzague). Le tableau célèbre l’harmonie du couple.

Image politique :
Vénus interroge sur la place de la femme dans la société.
La figure de Vénus concorde avec le discours philosophique qui accorde à l’amour et à la contemplation de la nature un rôle actif dans l’acquisition et la transmission du savoir.

Les choix des tableaux commandés par Isabelle d’Este pour son Studiolo permettent de dire qu’elle est aussi sensible à la pensée stoïcienne qu’à certains courants philosophiques néo-platoniciens et néo-lucrétiens.

Le sens de ce tableau est Le triomphe de l’esprit sur l’amour charnel, ainsi qu’une célébration des arts.


II – Le thème du tableau renvoie à son espace d’exposition : le Studiolo

Isabelle d’Este commanda à Mantegna un deuxième tableau, Minerve chassant les vices du jardin de la vertu -1499-1502
Ce tableau proclame la nécessité de la sagesse et de l’activité intellectuelle pour combattre la barbarie et l’ignorance.
Il est le pendant du Parnasse.

Ces deux tableaux ont été peints pour se faire face comme en témoigne la lumière qui entre par la gauche dans Le Parnasse et par la droite dans La Minerve.

Tous les tableaux du studiolo s’accordent sur un même sens : la place de l’amour dans l’existence.

Le studiolo d’Isabelle, s’il a pour vocation d’être un lieu de recueillement et de détente, devient rapidement un lieu où les ambassadeurs, les aristocrates, les artistes, les hommes de lettres et les collectionneurs reçus à la cour, se croisent.

La renommée des collections d’Isabelle d’Este au sein des cours italiennes s’accrut grâce aux nombreux éloges littéraires qui associaient invariablement sa vertu à ses collections. Parmi ses hôtes figurent Pietro Bembo, grand collectionneur et l’un des plus influents hommes de lettres du XVIe.

Titien vint à Ferrare pour voir les collections artistiques des Gonzague.


III – Le tableau considéré d’un point de vue formel :

Si dans ses premiers tableaux on trouve la raideur et la sécheresse du gothique comme dans la Présentation au temple –1454 ou son Lamentations sur le Christ mort -1490, pour ne citer qu’eux.

Avec Le Parnasse, apparaissent les signes annonciateurs des coloristes vénitiens du début du XVIe et, avec l’invention de la danse des muses, l’harmonie
« olympienne » atteinte par Raphaël après 1510.

Avec Le Parnasse Mantegna s’est lâché. Les couleurs vives et les attitudes gracieuses sont probablement dues au jeu d’influence avec son beau-frère Giovanni Bellini.

Seuls Vénus et Mercure font référence à la statuaire antique. Cependant Vénus apparait comme une vraie femme au corps voluptueux, sa peau blanche est mise en valeur par l’armure de Mars.

Le Parnasse illustre les débuts de la Renaissance, loin de Byzance et avec un soupçon de gothique.

Tout est beau dans ce tableau.

 

 Conclusion

Mantegna est le principal représentant des peintres de la Renaissance en Italie du Nord.

C’est lui qui inaugure la recherche de la vérité historique dans la peinture.

L’emprise des modèles sculpturaux sur la peinture est très forte à Padoue comme l’illustrent son Saint Marc -1447-48 dont le cadrage à mi-corps rappelle les terres cuites de Donatello et sa Sainte Euphémie –1454 conçue comme une statue dans une niche.

Mantegna vit pleinement la fièvre de renouveau.

Loué par les poètes et les lettrés humanistes qui souhaitent se faire portraiturer par lui, Mantegna devient très jeune, célèbre et recherché des commanditaires importants.