La durée poignardée – 1938 René Magritte

 

René Magritte (1898-1967)

 

La durée poignardée  

1938

Huile sur toile
Dim 147 x 99 cm

Conservé à Chicago, Art Institute.

 

Le peintre

Magritte est un peintre belge.
De 1916 à 1919, Magritte fréquente l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles.
En 1927 il rencontre le groupe surréaliste de Bruxelles. Il expose à la galerie
Le centaure une cinquantaine de ses peintures dont Le jockey perdu –1926, qui est l’une de ses premières toiles surréalistes.
La même année Magritte rencontre les surréalistes parisiens (Breton, Éluard, Ernst et Dali) et participe à leurs activités. Il expose à Paris.
En 1933 il expose au Palais des beaux-arts de Bruxelles.
En 1936 il réalise sa première exposition à New-York à la galerie Julien Levy.
En 1937 À l’invitation d’Edward F.W. James, Magritte se rend pour la première fois à Londres. Il passe plusieurs semaines chez James. Ce dernier lui commande plusieurs tableaux. À partir de cette série de commandes Magritte s’imagine qu’un flux régulier de tableaux pourrait être envoyé à James qui deviendrait son mécène. Il lui écrit audacieusement : « Il se fait que par hasard vous en avez trop (d’argent) et moi pas assez…pour éviter toute question « commerciale » à l’avenir, je vous propose ce cérémonial : vous me ferez parvenir 100 livres à chaque début de mois d’août jusqu’en 19…, et en échange vous recevrez le meilleur tableau selon moi des tableaux récents que j’aurai faits. » James repousse ce projet de mécénat et Magritte est fort déçu.
En 1938 il expose à la London Gallery de Mesens.
En 1954 une première exposition rétrospective de son œuvre est organisée par Mesens à Bruxelles.
À partir de 1957 le succès arrive lentement
En 1965 il se rend pour la première fois aux États-Unis à l’occasion d’une exposition rétrospective au MoMA
En juin 1966 et juin 1967 il passe des vacances en Italie
Magritte meurt en Belgique au mois d’août d’un cancer à 68 ans.
Depuis 2009 sa sépulture est classée comme monument et site par la Région bruxelloise.

 

Le tableau

Le sujet du tableau : Une énigmatique locomotive lancée à toute vitesse surgit de la cheminée d’un intérieur bourgeois, tout en restant immobile.

La locomotive miniaturisée, fumante, provoque une impression onirique et fantastique de la scène.

James acquit La durée poignardée en 1939.
Avec une note de Magritte : « je pensais que la place idéale pour La durée poignardée était en bas de votre escalier et qu’ainsi vos visiteurs seraient poignardés au rez-de-chaussée, et pourraient se présenter d’une manière intéressante au premier étage. »

 

Composition

La composition est claire et nette.

Le regardant a une vue latérale et plongeante sur la toile.

Le cadrage est serré sur une scène qui se passe dans un intérieur, le coin-cheminée d’une salle de réception.
Le dessin établit un contraste saisissant entre les horizontales (du parquet) qui s’étirent en obliques vers la droite du tableau et les verticales rigoureuses (de la cheminée, du miroir et des lambris).

C’est un intérieur sobre mais de qualité, il y a des lambris au mur, le sol est recouvert d’un parquet de chêne à lames parallèles, sur le linteau de la cheminée en marbre blanc trône une parure de cheminée composée d’une pendule de marbre noir entourée par deux bougeoirs dorés, sans bougie.
Le linteau supporte également un grand miroir.

Toute l’attention se porte sur l’âtre muré d’où émerge une locomotive à vapeur de type Pacific dégageant un panache de fumée blanche.
La rectitude froide et figée de la locomotive s’oppose à son panache de fumée blanche et fluide.
Magritte joue avec les règles de la perspective.
La trajectoire de la locomotive imprime une ligne parallèle aux lames du parquet.  La perspective induite par cette construction tord la cheminée.
Le point de fuite se situe quelque part à droite de la toile.

La vue est décalée sur la gauche du tableau.
Comme dans un instantané photographique, le mouvement est arrêté.

La fumée semble être aspirée par le conduit. Ce détail renforce l’idée du train stoppé en pleine vitesse, l’instant de le représenter.

On note que le miroir renvoie un faux reflet du bougeoir. Hormis le reflet de la pendule, le miroir ne reflète rien d’autre. C’est un miroir aveugle.
Le miroir a perdu sa fonction optique.

Le rapport métrique entre la taille de la pièce et celle de la locomotive est tel que le train est interprété comme une miniature.

On est à l’intérieur d’une pièce, les ombres projetées sont nettes et sombres.
Elles indiquent que la source lumineuse est lointaine.
Magritte a peint en lumière du jour.
La lumière entre par la droite du tableau et se focalise sur la cheminée.
La lumière se reflète sur le devant de la locomotive et donne à la fumée un blanc surnaturel.
Si l’on observe l’heure de la pendule, on remarque que les deux aiguilles (l’une prolongée par l’ombre) ont la même taille.
La distorsion nous incite à voir qu’il est presque treize heures.
Des logiciels permettant des calculs précis ont permis de confirmer que l’heure solaire du tableau et l’heure de la pendule coïncident.

La gamme chromatique est restreinte, les couleurs sont unies.
La patine du mur au-dessus des lambris est d’une couleur froide, sa teinte beige cendré s’accorde avec les boiseries d’un marron noisette.
Le parquet de chêne plus foncé à ses lames colorées en marron-cuivré.
Le miroir est cerclé d’un bois jaune en harmonie avec la patine du mur et mettant en valeur le doré des bougeoirs.
Le cadran de la pendule est coffré dans un marbre noir qui tranche avec le blanc du marbre de la cheminée.
Les dégradés de gris du foyer de la cheminée mettent en valeur la locomotive d’un noir métallique et brillant.

La facture est  neutre.

 

Analyse

 I- Magritte a une conception si cohérente de la peinture qu’elle fait système.

 Plusieurs éléments entrent en jeu, le rapport entre les mots du titre et les choses représentées, le rapport entre les choses peintes.

Sa toile n’exprime ni idées ni sentiments ni inconscient.
Il ne projette ni affect ni pulsions.
Magritte refuse une interprétation réduisant son tableau à l’illustration d’une association d’idées.
Il affirme l’absence de tout contenu symbolique dans ses toiles.

Magritte conçoit sa peinture comme une pensée visible et comme une poésie visible. Le peintre dit « la poésie est une pensée inspirée ».

L’objectif de Magritte est d’évoquer le mystère de l’existence, d’ouvrir les portes avec des combinaisons poétiques d’objets.

En créant des associations d’objets qui posent un problème de pertinence et de cohérence, Magritte cherche à rendre visible une affinité secrète entre les objets qui relève d’un mystère à résoudre et d’un éveil à la poésie du monde.

Sa pensée visuelle arrange les objets et sa technique picturale les expose à notre regard. C’est ce qu’il appelle ses moments de présence d’esprit.

Dans l’univers des objets de Magritte, ceux-ci ne sont incohérents que par rapport aux habitudes qui gèrent notre système de pertinence du monde. Magritte libère les objets de leur intelligence habituelle et les remplace par une intelligence poétique permettant d’évoquer le mystère que recèle la réalité.

II –  Aucun des motifs de La durée poignardée est inédit dans l’œuvre de Magritte.

Les représentations de planchers de bois et de lambris sont fréquentes dans son univers. L’homme du large -1926-27 et Reproduction interdite –1937

La représentation des miroirs apparaissent dans Les liaisons dangereuses –1926, La querelle des universaux et dans L’usage de la parole -1928, pus dans Le miroir magique –1929.

La représentation du bougeoir apparait dans Le dormeur téméraire –1928.

Le motif de la pendule est plus rare. On le retrouve dans L’idée fixe –1928, Les reflets du temps –1928 et La clef des songes –1935.

Le modèle de pendule représenté dans Le Temps traversé est le seul modèle de ce type dans son œuvre.

La locomotive, à chaque fois un modèle Pacific, est représentée une première fois dans une composition cubiste de 1923 Composition avec locomotive. On la retrouve dans un dessin colorié Locomotive et poisson (non daté) et dans Le rossignol –1962.

III –  Une interprétation de la  La durée poignardée

Le peintre pose des questions philosophiques sur la nature de la réalité.

C’est le côté paradoxalement immobile de la locomotive qui ressort de la toile.
Le train et le décor sont des représentations métaphoriques des dimensions abstraites du temps et de l’espace.

La durée poignardée c’est le temps traversé.
La pièce est vide, déménagée, comme désaffectée.
La cheminée est une frontière.
La locomotive emmène le regardant dans un voyage sans horizon connu.
Elle sollicite de ce fait, une appréhension indéterminée chez le regardant.
La locomotive surgit de la cheminée comme un diable à ressort.

Magritte joue du trompe l’œil et de la connexion improbable entre une cheminée et une locomotive, pour titiller notre perception.
L’interférence entre l’extérieur et l’intérieur nous intrigue.

La toile s’inscrit dans le registre de l’interruption, de la castration.

La pendule et son double reflété parlent de l’irrémédiable passage de l’autre côté du miroir.
L
a chaleur, la lumière, l’espace et le temps expriment la maîtrise que la maison moderne exerce sur les forces de la nature.
La cheminée et la locomotive relèvent d’un même genre, la fumisterie.
Il y a une affinité entre la cheminée et la locomotive, parce que la locomotive à vapeur fonctionne au charbon et qu’elle a une cheminée.
Pourtant l’âtre est obstrué.
La cheminée a perdu sa fonction de cheminée, elle est réduite à une décoration d’intérieur. Cette confusion des frontières entre l’intérieur (feu de cheminée) et l’extérieur (fumée du train) est propre à l’imaginaire du rêve et de l’inconscient.
L’irruption de la locomotive, élément étranger, peut être interprétée comme inquiétante.
Magritte stoppe la locomotive dans sa course.
Le dragon d’acier, la chaudière fumante de la locomotive, dilate la puissance moderne de l’engin ferroviaire signe de vitesse et de prestige.
Elle redéfinit le temps -la locomotive représente cette vitesse qui dépasse l’homme et exprime la conquête de l’espace.

L’année du tableau correspond à la sortie du film de Jean Renoir
La bête humaine.

L’irruption de la locomotive dans le salon place la machine au cœur de l’intimité.

L’espace et le temps sont homogènes.
Cette interpénétration est obtenue par un changement d’échelle, la locomotive est miniaturisée, ramenée aux proportions de la cheminée.
Mais ce n’est pas un modèle réduit, elle a un panache de fumée.
Magritte libère l’énergie contenue dans la locomotive .

Dans ce tableau deux images familières subissent un déplacement de contexte et d’échelle, mais les objets ne sont pas totalement contradictoires.
Magritte les relie soigneusement entre eux, d’une façon qui rappelle beaucoup les romans collages de max Ernst Lundi. Élément : L’eau –1934 (collage imprimé).
L’horloge de la cheminée devient une horloge de gare ; le train qui projette un ombre réaliste, émerge d’un tunnel présumé dans l’âtre ; la fumée est aspirée par le conduit.
La pièce est intacte.
Et cette situation impossible semble devenir tout à fait normale.

Si Magritte se défend de donner la clef de ses œuvres dans leurs titres, pour La durée poignardée la correspondance entre le titre et le tableau est une évidence.

 

Conclusion

Le surréalisme naquit à Paris et se propagea plus largement que toute autre mouvement artistique du XXe et s’attacha tout autant aux objets trouvés qu’à la peinture en passant par le cinéma.

Le surréalisme n’a aucun style esthétique. Il embrasse une idéologie qui prône la révolution dans tous les domaines de l’existence.

Les écrits du groupe parisien furent largement diffusés et critiqués en Belgique. Le surréalisme belge y demeura distinct et délibérément moins unifié.

C’est par ses tableaux à l’huile que le mouvement demeure le plus célèbre.

L’effet généré par les tableaux surréalistes peut-être comparé à celui d’un rêve, où l’étrange et l’impossible deviennent tout à fait crédibles.
Ils peuvent être lus comme des représentations naturalistes de rêves, dont les associations singulières sembles pourtant parfaitement réalistes en termes de perspective et de forme, tout en comportant des références politiques et philosophiques significatives.

Magritte a défini son projet d’art des images.
Il écrit en 1967 :
« Je conçois la peinture comme art de juxtaposer des couleurs de telle sorte que leur aspect s’efface pour laisser apparaître visiblement une image poétique. Cette image est la description entière d’une pensée qui unit, dans un ordre qui n’est pas indifférent, des figures familières du visible : ciel, personnes, arbres, montagnes, meubles, astres, solides, inscriptions, etc. Cet ordre efficace a été imaginé, mais il n’est pas irréel. La réalité de l’image poétique est la réalité de l’univers. Les images que je peins ne montrent rien d’autres que des figures du visible, mais dans un ordre qui répond à l’intérêt que nous éprouvons naturellement pour l’inconnu. L’invisible a une valeur inestimable, mais la peinture est absolument impropre à représenter l’invisible, par exemple : le plaisir et la douleur, la connaissance et l’ignorance, la voix et le silence, c’est-à-dire ce que la lumière ne peut éclairer. Les images poétiques ne sont pas tangibles. En conséquence elles ne cachent rien. Elles ne cachent notamment aucune signification symbolique. L’inanité des symboles en peinture étant évidente, les symboles n’ont aucun rapport avec la réalité poétique. Je nomme le mieux possible, avec des titres les images que je peins. »

L’histoire de la culture visuelle fournit une grande quantité de solutions au spectateur étonné qui voit dans ses images des œuvres fantastiques, imaginatives, symboliques, et même, surréalistes.

Magritte aura beau s’en défendre toute sa vie et lutter contre de telles interprétations, il n’est pas parvenu à les éviter et son œuvre est restée incomprise ou plus exactement comprise autrement.

Déesse UMAY – Religion des turcs de l’Orkhon des VIIe et VIIIe siècles

 

La déesse UMAY tient une place à part dans la mythologie turque.
Une place plus grande qu’elle ne tiendra jamais dans la suite des temps.

UMAY est l’être dans sa vie prénatale.
Elle représente la force motrice de l’individu, sa conscience profonde, son destin humain.

UMAY est le dieu qui protège les enfants et répand l’abondance sur terre.
Elle est le symbole des naissances et des fruits.